Lysiane Roy Maheu (Photo: Éric Labonté)
ENVIRONNEMENT. Avez-vous déjà goûté aux pleurotes d’Hochelaga ? Le quartier montréalais est le lieu de production des champignons de l’entreprise d’agriculture urbaine Blanc de gris depuis 2015. «Personnellement, je n’aime pas les champignons, lance dans un éclat de rire Lysiane Roy Maheu, sa cofondatrice. C’est vraiment l’aspect environnemental et le fait de pouvoir récupérer des déchets en ville dans une démarche d’économie circulaire qui m’ont plus dans ce projet.»
Blanc de gris fait en effet pousser ses pleurotes grâce aux drêches des microbrasseries voisines – les résidus de céréales qui ont servi à faire de la bière. Ses déchets à elle sont livrés à TriCycle, entreprise d’Ahuntsic productrice d’insectes comestibles, qui s’en sert pour nourrir ses ténébrions. Voilà un double avantage économique : au lieu de payer pour se départir de leurs rejets, les agricultrices les revendent !
Des acolytes
Par ailleurs, Blanc de gris s’est entendue avec une autre entreprise de son secteur, Fermes urbaines Ôplant, productrice de micropousses, pour mutualiser leurs parcours de livraisons. «On avait quasiment les mêmes clients dans la restauration, donc je me suis proposé pour livrer leurs produits en même temps que les miens, explique Guillaume Salvas, son fondateur. C’est super bénéfique, car cela diminue les coûts de chacun tout en faisant du référencement croisé de clients.»
La synergie est même allée plus loin. «Guillaume avait besoin d’un espace pour développer un nouveau prototype. Nous avions de la place, donc nous lui avons loué une partie de notre local. Il a aussi proposé des heures de travail supplémentaires à nos employés, sans que cela nous marche sur les pieds», ajoute Lysiane Roy Maheu.
Ce type de maillage d’entreprises locales qui s’échangent des ressources matérielles et immatérielles s’appelle une symbiose industrielle. «C’est l’application de l’écologie industrielle sur un territoire, entre des entreprises ou des collectivités qui créent des synergies», définit Claude Maheux-Picard, directrice générale du Centre de transfert technologique en écologie industrielle (CTTEI).
Les répertorier
Plus d’une vingtaine d’initiatives de symbiose industrielle sont ainsi recensées au Québec par le réseau Synergie Québec, une communauté de pratique animée par le CTTEI qui regroupe 45 animateurs dans toute la province. «Notre rôle, c’est de connaître tout ce qui bouge sur notre territoire pour être capables de mailler des entreprises ensemble», témoigne Karine Thibault, coordonnatrice en économie circulaire de Synergie Estrie.
Il est intéressant de noter qu’une symbiose industrielle peut comporter des synergies qui ne sont pas toujours à proprement parler écologiques. Certaines sont plus proches de la consommation collaborative, tel le partage de main-d’oeuvre ou d’expertise. «On a voulu élargir le concept d’écologie industrielle en parlant désormais davantage d’économie circulaire», explique Antoni Daigle, coordonnateur de la symbiose industrielle de Sherbrooke au sein de Synergie Estrie.
Constatant qu’«il est toujours un peu difficile d’entrer dans les entreprises par le volet environnemental», l’organisme tente donc de mettre de l’avant le gain économique. «C’est souvent leur préoccupation première et ce qui va aider à prendre les décisions, note Antoni Daigle. Le terrain sera ensuite plus favorable pour s’attaquer aux résidus industriels.»
Un avis partagé par sa collègue Karine Thibault. «Il y avait un désir de mettre l’économie en avant. On est là non seulement pour détourner des tonnes de matières de l’enfouissement, mais aussi pour créer des réseaux.»
Bienfaits économiques
Toujours est-il que cette mutualisation des ressources au sens large représente une occasion pour de nombreuses entreprises, surtout dans le contexte économique tendu lié à la COVID-19. Pendant le confinement, le lunetier montréalais BonLook a par exemple dû mettre à pied 400 salariés. L’entreprise a alors établi un partenariat avec GoodFood, qui livre des boîtes de repas prêt-à-cuisiner. Cette dernière, qui voyait ses ventes progresser de 10 % à 15 % par semaine, a embauché temporairement certains anciens de BonLook.
Le partage de ressources humaines peut aussi se révéler pertinent pour diminuer l’effet de la saisonnalité sur le besoin de main-d’oeuvre d’une entreprise ou encore permettre l’embauche d’une compétence spécifique. Cinq entreprises de la MRC des Sources, dans les Cantons-de-l’Est, se sont ainsi réunies en février pour embaucher à temps plein une consultante en ressources humaines qui compte 15 ans d’expérience. «Ensemble, on a été capables d’aller chercher une personne experte dans son domaine qui va nous aider à gérer cette période d’incertitude», se réjouit Noémi Garneau, directrice de Pantoufles Garneau. Seule, cette PME de 10 salariés n’aurait jamais pu se payer ces services.
«Le partage de main-d’oeuvre, c’est l’avenir, estime Karine Thibault. Cela répond à un besoin des entreprises, même si ça prend une certaine ouverture d’esprit. Il ne faut plus se voir comme des compétiteurs, et plutôt créer un lien de confiance.»