En dépréciant la Banque du Canada, les politiciens minent la crédibilité d’une institution pourtant essentielle au maintien d’une démocratie saine en régime monétaire fiduciaire. (Photo: 123RF)
EXPERT INVITÉ. Au cours des dernières semaines, la Banque du Canada (BdC) est sous le feu des critiques. Jugeant la politique monétaire de la BdC dévastatrice sur l’économie et les ménages canadiens, une poignée de politiciens des provinces sont intervenus sur la place publique pour demander à ce qu’elle cesse ses hausses de taux d’intérêt.
En Ontario, Doug Ford a accusé la BdC d’essayer de «tuer l’économie». Au Québec, le chef du Parti québécois, Paul St-Pierre-Plamondon, s’en est pris à la banque centrale en l’accusant d’être à la source de l’appauvrissement des Québécois. Ces critiques virulentes émises par nos politiciens à l’égard de la Banque du Canada vont-elles trop loin?
Une indépendance nécessaire
Le politicien est, par nature, populiste. En quête de capital politique dans le but d’assurer son élection, il a un incitatif à offrir des réponses aux revendications immédiates du peuple. Ainsi, leur préférence temporelle très élevée les amène à avoir une vision à court terme de l’économie et des affaires publiques en général. C’est ce qui explique que les politiques publiques inflationnistes ont toujours la cote auprès des politiciens même si elles s’avèrent désastreuses à long terme.
C’est d’ailleurs la raison pour laquelle la banque centrale du pays est dotée d’une certaine indépendance par rapport au politique. En éloignant le plus possible les politiciens des leviers de la presse à monnaie, l’objectif est d’éviter de politiser la gestion de la politique monétaire du pays.
Historiquement, l’ingérence politique dans les affaires des banques centrales est associée à des catastrophes économiques dramatiques. Lorsqu’une banque centrale subit des pressions politiques, cela conduit habituellement à la prise de décisions monétaires impulsives basées sur des considérations à court terme plutôt que sur une gestion prudente de l’économie orientée vers sa stabilité à long terme.
L’indépendance de la banque centrale représente donc un élément fondamental du système de freins et contrepoids essentiel à toute démocratie sérieuse. Parlez-en aux Vénézuéliens, aux Libanais, aux Turques ou aux Argentins.
C’est la raison pour laquelle le conseil d’administration de la BdC n’est pas, contrairement aux politiciens, élu. Le gouverneur de la banque centrale étant nommé pour un mandat de sept ans, il n’a pas à satisfaire les doléances du peuple pour assurer sa réélection. Son travail se trouve donc entièrement focalisé sur la mise en œuvre du mandat que lui a octroyé le gouvernement fédéral, soit de maintenir l’inflation à un niveau bas et stable dans une fourchette allant de 1% à 3%.
La menace politique
Or, pour la Banque du Canada, l’application de son mandat de politique monétaire ne peut se faire sans casser des œufs. Même s’il est vrai que les Canadiens ressentent, à court terme, les effets négatifs du travail de resserrement monétaire de la BdC, le combat contre l’inflation reste nécessaire. À long terme, les gains économiques d’une inflation basse et stable outrepasseront largement la souffrance actuelle endurée par les ménages canadiens.
Pour les politiciens, l’arbre cache la forêt. Les impératifs immédiats des ménages les amènent à critiquer la banque centrale qui, pourtant, ne fait que son travail. Bien qu’il faille reconnaître leur droit à la liberté d’expression, les hommes politiques critiquant la banque centrale font plus de mal que de bien. Si, dans les faits, la BdC conserve son indépendance relative en dépit des désapprobations politiques, celle-ci s’effrite petit à petit.
Par leurs interventions publiques invasives, les politiciens envoient le message qu’ils en savent plus que la banque centrale sur la façon dont la politique monétaire devrait être opérée. De plus, par leurs propos, ils sous-entendent que la situation des ménages serait meilleure si le pouvoir de gestion de la politique monétaire leur revenait. Or, rien n’est plus faux, étant donné que politiciens et politique monétaire, une fois mélangés, forment un cocktail toxique pouvant mettre en péril la stabilité économique d’un pays.
En dépréciant la Banque du Canada, les politiciens minent la crédibilité d’une institution pourtant essentielle au maintien d’une démocratie saine en régime monétaire fiduciaire.
Une crédibilité écorchée
Néanmoins, si la Banque du Canada se fait malmener par nos politiciens, c’est en partie de sa propre faute. En échouant à remplir son mandat avec succès, elle a ouvert la porte aux critiques.
D’abord, la BdC a monétisé des centaines de milliards de déficits fédéraux semant ainsi les germes d’une bombe inflationniste. Ensuite, alors que les taux d’intérêt étaient au plancher, elle a encouragé les ménages canadiens à s’endetter en les convainquant que les taux d’intérêt resteraient bas pour longtemps.
Puis, la BdC a été complètement myope devant tous les signaux pointant vers un éveil brutal du dragon de l’inflation endormi depuis plus de deux décennies. Finalement, pris de court, la Banque du Canada a relevé les taux d’intérêt à une vitesse record pour freiner la montée vertigineuse des prix précarisant au passage des milliers de ménages canadiens.
En ayant failli à accomplir son mandat efficacement, la Banque du Canada s’est elle-même rendue partiellement responsable de l’effritement de son indépendance et de sa crédibilité. Malgré cela, les politiciens qui se permettent de critiquer la BdC devraient faire preuve de retenue au risque de compromettre davantage l’indépendance et la crédibilité de la banque centrale. Après tout, c’est la stabilité économique du pays qui en dépend.