Banques: à quoi s’attendre au premier trimestre de 2023?
Dominique Beauchamp|Publié le 17 février 2023Les analystes prévoient une baisse de 4 à 11% des profits des six grandes banques, au premier trimestre (Photo:123rf)
On saura très bientôt si le nouvel élan d’optimisme des investisseurs à l’égard des banques se justifie.
À quelques jours du dévoilement des résultats du premier trimestre, les grandes banques se sont appréciées de 16% et ont surpassé la hausse de 13% de l’indice S&P/TSX, depuis le creux du secteur bancaire du 11 octobre 2022.
La Banque CIBC (CM, 62,23 $) ouvrira le bal trimestriel le 24 février tandis que la Banque TD (TD, 92,65 $) fermera la marche le 2 mars.
Les observateurs étaient pourtant nombreux l’an dernier à prévoir une première moitié d’année difficile en Bourse en raison de la menace d’une récession imminente et du déclin des profits qui l’accompagne.
C’est plutôt l’étonnante résilience de l’économie et des consommateurs à la flambée des prix et des taux jusqu’ici qui a propulsé la Bourse et les titres bancaires ces derniers mois.
Le sursis économique est favorable aux activités de prêts des banques à court terme, bien que la plupart des analystes tempèrent leur enthousiasme. Après tout, ils prévoient un recul moyen de 4 à 11% du bénéfice de base des six grandes banques au premier trimestre.
Essentiellement, l’ajout aux provisions pour pertes sur prêts par rapport à celles de l’an dernier contrecarre la croissance modeste des prêts et l’effet favorable de la hausse des taux sur les revenus et les marges d’intérêt. Les activités de gestion du patrimoine et celles des marchés des capitaux seront aussi en berne comparativement au même trimestre de 2022.
L’équipe de quatre analystes bancaires de BofA Securities résume bien la dynamique qui prévaut. «Compte tenu du ralentissement de la croissance des prêts, de la modération des marges d’intérêt et du retour à la normale des créances douteuses, les résultats ont peu de chance de donner un nouveau souffle à l’élan des banques en Bourse. Toutefois, leur évaluation bon marché et la possibilité que l’économie évite une récession classique pourraient tout de même entretenir l’intérêt des investisseurs», entrevoient-ils.
Les données économiques suggèrent qu’un atterrissage en douceur de l’économie est possible ou tout au moins une récession modeste de courte durée, ajoutent les analystes de BofA Securities. Dans ce scénario optimiste, le coût plus élevé des emprunts pour les ménages et les entreprises ralentit la croissance des banques sans embraser les mauvaises créances grâce au marché de l’emploi.
L’augmentation pour les banques de leurs propres coûts de financement et le renversement de la courbe des taux (les taux à court terme plus élevés que les taux à long terme) sont deux vents contraires pour les institutions qui doivent aussi composer avec les restrictions qu’imposent les autorités réglementaires sur les capitaux propres.
Ces contraintes expliquent pourquoi aucune banque n’a racheté d’actions en Bourse au cours du premier trimestre. Aucune hausse de dividende n’est prévue non plus.
Pas particulièrement bon marché
Chez Barclays, l’analyste John Aiken, prévoit un trimestre sans éclat qui verra les marges des banques bénéficier de la hausse cumulée de 425 points de pourcentage du taux directeur de la Banque du Canada. Le rebond marqué des marchés financiers en janvier pourrait aussi donner un coup de pouce aux revenus tirés des marchés des capitaux. Les réserves que constituent les institutions pour absorber les pertes sur prêts remontent un peu, dit-il, ce qui affaiblit les profits, mais en revanche la forte hausse des dépenses d’exploitation des banques pourrait se modérer un peu.
Mario Mendonca, de TD Valeurs mobilières, juge que l’évaluation actuelle des banques n’est «pas particulièrement attrayante» au moment où la croissance des bénéfices avant dotation aux pertes de crédit et charge d’impôts, soit l’étalon de leur performance fondamentale, se modère.
« On ne connaît pas encore le niveau de sévérité du cycle actuel de crédit. »
Les indicateurs économiques avancés suggèrent que les banques se constitueront graduellement plus de réserves incluant pour les prêts non performants tout au long de 2023.
Les titres s’échangent actuellement dans une fourchette de 10 à 10,5 fois les bénéfices de 2023 et 9,5 à 10 fois ceux de 2024. «Il sera difficile pour les banques de surpasser ces bornes parce que les bienfaits de la hausse des taux sur les revenus d’intérêts commenceront à s’amenuiser dès le deuxième ou le troisième trimestre. Les intérêts plus élevés augmenteront le coût des dépôts, accentueront la concurrence pour les prêts et les dépôts ainsi que les frais de financement interne des banques», entrevoit-il.
Les banques se négocient sous leur moyenne historique, mais en récession leur évaluation tombe bien plus bas. (Source: RBC Marchés des capitaux)
Chez Canaccord Genuity, l’analyste quantitatif Guillaume Arseneau, rappelle qu’en période de récession, l’évaluation des titres bancaires descend sous 9 fois. Le multiple a même dégringolé à 5,5 fois en 1990, à 6,8 fois en 2009 et à 7,2 fois en 2020. En 2002 par contre, une période qui avait vu le Canada éviter la récession américaine, le multiple n’avait pas baissé sous 9,4 fois.
Encore faut-il que les estimations de profits futurs soient justes. La hausse de 4% encore prévue dans 12 mois est probablement trop élevée, à son avis.
Les plus patients seront récompensés
Même s’il prévoit que les bénéfices du premier trimestre déclineront de 5% et que les provisions globales pour pertes sur prêts passeront de 472 millions de dollars à 2 milliards de dollars, Sohrab Movahedi, de Banque BMO, note que le ralentissement économique appréhendé «semble retardé», ce qui pourrait rehausser les prévisions annuelles de profits.
Et si en plus la hausse des provisions pour pertes se confinait aux mauvaises créances au lieu de s’étendre aux prêts encore performants, les estimations de bénéfices pour 2023 pourraient aussi augmenter.
L’analyste précise que les provisions de 28 points de pourcentage de l’encours des prêts qu’il prévoit au premier trimestre grimpent jusqu’à 42 points de pourcentage au pire du cycle économique.
Après leur rebond de 16% depuis octobre, les banques s’échangent à un multiple de 9,9 fois les bénéfices que prévoit l’analyste en 2024. Historiquement, lorsque les bénéfices augmentent de 3% ou moins, l’évaluation des banques est de 10,3 fois en moyenne, ce qui «laisse un petit espace d’appréciation», dit-il.
Les investisseurs qui auront la patience d’attendre une réévaluation potentielle des titres bancaires et une amélioration de la croissance des bénéfices après 2023 «seront récompensés», avance l’analyste de BMO.
Voici le consensus du bénéfice par action ajusté* pour les six grandes banques:
Banque/Bénéfice 1er trim. 2023/Variation
BMO/3,17$/-18,5%
BNS/2,02$/-5,6%
RY/2,92$/+1,7%
CM/1,72$/-15,7%
NA/2,40$/-9,5%
TD/2,21$/+6,3%
*Exclut les éléments non récurrents
Sources : Banque Scotia, Bloomberg