(Photo: NathB)
ENVIRONNEMENT. En 1999, à Sorel-Tracy, le Centre de transfert technologique en écologie industrielle (CTTEI) voyait le jour, résultat d’une longue reconversion pour cette ancienne cité spécialisée dans la construction navale et l’industrie métallurgique.
En effet, au début des années 1990, dû aux rejets industriels, le taux de pollution dans le Saint-Laurent à hauteur de la ville montérégienne commence à se faire de plus en plus préoccupant. On procède à la mise en place d’un grand plan d’assainissement des eaux. Un nouveau problème fait vite surface : que faire de tous ces résidus qui ne sont plus déversés dans le fleuve ?
La Ville décide alors de transformer sa faiblesse en force, faisant de l’environnement son vecteur de relance et de renouveau stratégique. «La meilleure façon de s’en sortir… c’était de rester dedans !» ironise Jacques Thivierge, commissaire industriel de Sorel-Tracy et président de la nouvelle zone industrialo-portuaire.
Transportons-nous en 2012. La région de Sorel-Tracy est officiellement reconnue comme Technopole en écologie industrielle par l’association Zones Québec innovation.
Essoufflement
Huit ans plus tard, quel bilan peut-on tirer de cette initiative ?
«Les résultats de la technopole sont mitigés. C’était très avant-gardiste comme projet, mais il semble que le rythme se soit progressivement essoufflé», estime Marc-André Houle, dont la thèse doctorale porte sur la reconversion industrielle de Sorel-Tracy. L’ancien chercheur – aujourd’hui agent du fonds Écoleader, à Victoriaville – mentionne plusieurs raisons pour expliquer le phénomène : guerres de clochers, changement d’acteurs économiques et politiques, absence de véritable écoparc ou d’un positionnement fort et revendiqué par la Ville… «Je ne suis toutefois pas convaincu qu’une autre municipalité aurait fait mieux. C’est une stratégie longue à mettre en place», nuance-t-il.
Contamination saine
Pour Hélène Gignac, qui fut directrice du CTTEI pendant 17 ans, les résultats sont paradoxalement plus visibles à l’échelle de la province. «Ce que l’on voulait développer à Sorel-Tracy s’est plutôt répandu un peu partout au Québec, sous la forme des symbioses industrielles que l’on voit aujourd’hui.» Comme si la graine initialement plantée au confluent du Saint- Laurent et de la rivière Richelieu avait finalement germé ailleurs. «Je ne vois toutefois pas cela de manière négative, poursuit-elle. Nous avons été un laboratoire. Il fallait convaincre au début et nous avons fait des tournées au Québec pour présenter le modèle et essaimer cette approche.»
Épauler les entreprises
«Sorel-Tracy est le berceau de l’écologie industrielle et d’autres régions ont développé ensuite ce créneau», résume Marc-André Houle. Certes, l’écologie industrielle ne s’est pas encore durablement imposée dans les pratiques des entreprises de la région, mais la ville garde malgré tout des avantages indéniables en la matière. Le CTTEI demeure un organe de référence au Québec. L’an passé, le centre affilié au Cégep de Sorel-Tracy affichait d’ailleurs un chiffre d’affaires record de 2,2 millions de dollars, une hausse de 38 % comparativement à 2018. Une centaine de projets ont été réalisés dans le but d’accroître la performance en écologie industrielle de ses clients.
Animateur de la communauté de pratique de Synergie Québec, le CTTEI s’est vu attribué, en juin 2019, la Chaire de recherche collégiale sur l’écologie industrielle et territoriale par le Conseil de recherches en sciences naturelles et en génie du Canada. Celle-ci est dotée d’un financement de 500 000 $ sur cinq ans.
«Elle a pour but d’aider les entreprises à faire tendre leurs pratiques d’affaires vers l’économie circulaire», décrit Julien Beaulieu, chercheur du CTTEI et titulaire de la Chaire. Parmi les six grands projets de recherche, notons l’analyse pour mieux calculer le coût de revient d’un déchet, la création d’un guide pour favoriser la mise en place d’une symbiose industrielle sur un territoire ainsi que le développement de «Valoripédia». Cette base de données collaborative centralisera les différentes solutions de mise en valeur des résidus afin d’aider à détecter de futures synergies industrielles potentielles.
«On est vraiment dans une démarche de laboratoire vivant, indique Claude Maheux-Picard, la directrice générale du CTTEI. Les animateurs de Synergie Québec vont nous alimenter en données afin de dresser un portrait concret de la situation, et nous, on fait de la recherche de débouchés innovants et on partage les bonnes pratiques… C’est donnant-donnant.» Le CTTEI est également en train de construire un nouveau laboratoire sur les technologies propres qui sera livré en janvier prochain.
La crise actuelle peut-elle toutefois freiner cette dynamique ? «C’est à double tranchant : on voit des clients affectés par la situation qui décident d’allouer moins de ressources à l’innovation, tandis que d’autres se disent au contraire que c’est une occasion à saisir», constate Claude Maheux-Picard.