Le président américain Joe Biden et le premier ministre Justin Trudeau (Photo: Getty Images)
ANALYSE — En novembre, la victoire de Joe Biden a été saluée dans les milieux d’affaires canadiens après quatre ans d’une administration Trump hostile et protectionniste à l’égard du Canada. Or, la lune de miel avec la nouvelle administration démocrate tire à sa fin, car cette dernière ne nous fera pas non plus de cadeaux.
Certes, le ton et la prévisibilité ont changé du jour au lendemain à Washington depuis l’élection de Joe Biden. Nous sommes revenus à la normalité dans les relations canado-américaines.
Pour autant, la realpolitik a déjà repris ses droits.
Deux cas récents nous rappellent que le protectionnisme américain est devenu une idéologie bipartisane (même si les démocrates étaient traditionnellement plus protectionnistes que les républicains, du moins avant la présidence Trump) et que Washington défend toujours bec et ongles ses intérêts commerciaux.
De l’huile sur le feu dans le bois d’oeuvre
Premièrement, le 21 mai, le département américain du Commerce a rendu une décision, proposant de doubler les tarifs sur le bois d’œuvre canadien (les droits compensateurs et les droits antidumping), pour les faire passer de 8,99% à un taux préliminaire de 18,32%.
L’industrie canadienne s’attendait plutôt à une baisse puisque les prix du bois ont quadruplé (une hausse de 300%) aux États-Unis depuis un an, et que les entreprises consommatrices de bois en pâtissent, sans parler des Américains.
Le 17 mai, 96 élus de la Chambre des représentants (74 républicains et 22 démocrates) ont même envoyé une lettre à la nouvelle représentante américaine au commerce, Katrine Tai, appuyant la position canadienne.
Ils lui ont demandé de trouver une solution pour diminuer les tarifs et réduire du coup le prix des maisons aux États-Unis.
Or, Washington a plutôt proposé de doubler les tarifs, dans un pays où le lobby des producteurs américains de bois d’œuvre, la U.S. Lumber Coalition, est très puissant.
Rien pour régler le conflit du bois d’œuvre canado-américain, qui a débuté en 1982 sous l’administration républicaine de Ronald Reagan, avec Lumber 1, comme on dit dans l’industrie —c’est l’administration démocrate de Barack Obama qui a lancé Lumber 5, en 2016.
Washington s’attaque (encore) à la gestion de l’offre
Deuxièmement, comme Donald Trump, l’administration Biden a lancé cette semaine une nouvelle procédure contre l’industrie laitière canadienne (assujettie à la gestion de l’offre), en activant un mécanisme de règlement des différends prévu à l’ALÉNA 2 (l’Accord Canada-États-Unis-Mexique), rapporte le Wall Street Journal.
Washington accuse Ottawa de ne pas avoir respecté sa promesse — faite sous l’administration Trump — d’ouvrir partiellement son marché laitier aux importations américaines.
Fondamentalement, les États-Unis affirment que la gestion de l’offre empêche les producteurs laitiers américains de vendre leurs produits sur le marché canadien.
Au Canada, l’industrie laitière est assujettie au système de la gestion de l’offre, tout comme les œufs et la volaille. Mis en place au début des années 1970, ce système permet de planifier la production pour répondre à la demande canadienne, et ce, à l’aide de tarifs douaniers élevés et de quotas.
L’Organisation mondiale du commerce (OMC) — le chien de garde des échanges internationaux — tolère la gestion de l’offre canadienne. En revanche, elle interdit au Canada d’exporter du lait de vache, puisqu’il bloque les importations de lait.
Ces deux épisodes — la hausse proposée des droits sur les importations de bois d’œuvre canadien et la dispute sur l’accès au marché laitier au Canada — montrent que la relation du Canada avec son voisin demeure complexe, même si le courant passe bien mieux entre Otrawa et Joe Biden qu’avec Donald Trump.