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Philippe Labrecque

Politique et philosophie en entreprise

Philippe Labrecque

Expert(e) invité(e)

Bientôt la «liberté 80»

Philippe Labrecque|Mis à jour le 11 avril 2024

Bientôt la «liberté 80»

Les changements de carrières seront probablement la norme pour une carrière de 60 ans. (Photo: 123RF)

BLOGUE INVITÉ. Si l’on vous offrait de prendre votre retraite à 60 ans ou bien de poursuivre votre carrière sur une durée de 60 ans, que choisiriez-vous? Alors que l’espérance de vie ne cesse de grimper, le choix pourrait bientôt ne plus être hypothétique.

Au-delà de vos préférences personnelles sur le sujet, collectivement, cette question permet d’identifier les trajectoires qui définissent déjà le monde du travail.

Cette perspective d’une carrière de 60 ans — et de vivre jusqu’à 100 ans — semble également indissociable des questions liées à une société vieillissante comme celle du Québec et du contexte de pénurie de main-d’œuvre.

Autrement dit, notre conception de la retraite est en pleine mutation.

 

«Liberté 55»

Si certains trouvent leur épanouissement dans le travail, il est évident que la retraite fait encore rêver. Après tous, certains nous offrent la retraite avant 60 ans, comme le célèbre slogan-plan de retraite «Liberté 55» le démontre.

En ce moment même, en France, une réforme qui repousserait l’âge de la retraite à 64 ans — elle est de 62 ans présentement — est vivement contestée, comme quoi le plus tôt est le mieux pour plusieurs en ce qui concerne la retraite.

Il est cependant difficile de concilier l’idée d’une retraite à 62 ans alors qu’au même moment, comme l’annonçait déjà une étude publiée dans la revue scientifique The Lancet en 2009, intitulée Ageing populations: the challenges ahead, ont prédit qu’une portion significative de la population peut espérer vivre jusqu’à 100 ans et travailler en santé pendant 60 ans, soit jusqu’à l’âge plus que respectable de 80 ans, approximativement.

A priori, une retraite à 65 ans, âge de la retraite au Québec, ou encore plus tôt, à 55 ans, semble difficile à défendre collectivement d’un point de vue économique et fiscal. Elle nous ferait entrer dans une ère où — si les prédictions d’une espérance de vie approchant des 100 ans se confirment — la durée de la retraite (35 ans, soit de 65 ans à 100 ans) serait similaire à celle d’une carrière de 40 ans.

Deux questions s’imposent donc naturellement quand la durée de la retraite est à peu près la même que la vie active au travail. En premier lieu, comment financer le tout collectivement? Finalement, qui fournira les services nécessaires à cette population ultra-vieillissante si une portion significative de celle-ci est déjà à la retraite ou vise même une retraite «en bas âge»?

Au Québec, on constate déjà les conséquences du vieillissement de la population sur notre système de santé. Il s’agit d’un exemple parmi tant d’autres, alors que la demande sur ce dernier ne peut qu’augmenter proportionnellement au nombre de personnes âgées (qui nécessitent plus de soins en moyenne) dans la province, alors que le bassin de travailleurs disponibles reste le même ou diminue.

Il semble donc évident qu’il faut favoriser l’allongement de la carrière par différentes mesures pour ceux qui le souhaitent et le peuvent.

 

Repenser le concept de «carrière»

Travailler pendant 60 ans quand on se sent surmené n’est pas réaliste et certainement pas souhaitable. On peut déjà envisager les problèmes de santé mentale qu’une si longue vie professionnelle engendrerait.

Comme l’indique Laura Carstensen, directrice au Stanford Center on Longevity, la carrière de 60 ans pourrait bien être ponctuée de périodes plus ou moins actives, où le nombre d’heures consacrées au travail fluctuerait en fonction des obligations personnelles, notamment familiales.

On pourrait donc travailler moins lors des premières années de la formation d’une famille et augmenter ses heures au travail par la suite au sein d’une carrière allongée.

De plus, si les changements de carrières sont aujourd’hui le sujet de divers articles en ressources humaines, ils seront probablement la norme pour une carrière de 60 ans.

Cette mutation imposerait des périodes de formation professionnelle à des âges avancés, qui demande une certaine adaptation de notre approche envers la formation continue tant au sein du système d’éducation public qu’en entreprise. Une carrière de 60 ans pourrait bien vouloir dire plusieurs changements de carrière sur une si longue période.

Les changements seront nombreux pour tous, de l’employé à l’employeur. Faut-il rappeler qu’une portion significative des emplois aujourd’hui n’existait pas il y à peine 20 ans? Imaginez l’ampleur des changements sur 60 ans!

Il sera donc impératif de fournir les outils pour s’assurer de garder ces travailleurs actifs et productifs dans un environnement qui risque de changer massivement et rapidement d’un point de vue technologique, notamment.

 

Quête de sens et la société du loisir

Au-delà des analyses technocratiques portant sur les contraintes financières et de main-d’œuvre, notre société envoie des messages contradictoires.

La «société du loisir», invention de l’époque d’après-guerre des trente glorieuses qui s’est mutée en un divertissement permanent, certains diraient «abrutissant», de nos jours, se traduit souvent par un consumérisme dévoyé qui en demande toujours plus.

Prolonger de 20 ans la durée d’une carrière impose une refonte en profondeur de notre conception du travail et de la carrière au sein d’une économie fortement axée sur la croissance sans fin, d’une maximisation de l’efficacité sans limites et du rendement, et ce, tout en monnayant notre temps et notre attention. Deux décennies de plus au boulot pourraient bien ne représenter que la prolongation d’une façon de vivre qui manque déjà de sens pour plusieurs.

Les décennies de travail supplémentaire n’y ajouteront peut-être pas plus de sens.