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Jean-Paul Gagné

Défis de gouvernance

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Analyse de la rédaction

Boeing a risqué le plus important: sa réputation!

Jean-Paul Gagné|Publié le 13 janvier 2020

Boeing a risqué le plus important: sa réputation!

Tous les 737 Max fabriqués par Boeing sont cloués au sol depuis bientôt un an. Leur production vient d’être arrêtée, entraînant des mises à pied ou des reclassements pour quelque 12 000 employés. (Photo: 123RF)

BLOGUE. Des courriels d’employés de Boeing datant de 2015 à 2018 montrent à quel point l’avionneur de Seattle a joué avec le feu lorsqu’il a conçu son 737 Max. 

« Cet avion est conçu par des bouffons qui, en retour, sont supervisés par des singes », a écrit l’un d’eux en visant la Federal Aviation Administration (FAA), l’agence américaine qui certifie les nouveaux avions. On a appris depuis qu’il y avait du copinage entre Boeing et la FAA. 

Transport Canada s’est fié en passant à la FAA pour autoriser le 737 Max à voler dans le ciel canadien. Ce lien de confiance étant maintenant brisé, Transport Canada fera désormais ses propres vérifications avant d’autoriser un avion à voler au pays. 

Pour sa part, un ancien pilote d’essai de Boeing, Mark Forkner, a révélé « avoir menti aux régulateurs » pour ne pas avoir informé la FAA des problèmes sur le simulateur de vol du 737 Max. Le simulateur dont on parle ici est un logiciel de formation sur ordinateur destiné aux pilotes de 737 NG appelés à piloter des 737 Max. Cette façon de faire a été acceptée par la FAA en 2017. L’idée était de réduire substantiellement (on a parlé de 1 M$) le prix du 737 Max. 

«Mettrais-tu ta famille dans un avion entraîné par le simulateur du [737] Max? Moi je ne le ferais pas.»

Un autre employé a écrit à un collègue : « Mettrais-tu ta famille dans un avion entraîné par le simulateur du [737] Max ? Moi je ne le ferais pas ». Réponse : « Moi non plus ». 

Boeing vient d’informer la FAA qu’elle est prête à défrayer le coût de la formation des pilotes sur de vrais simulateurs (comme ceux de CAE), ce qui, selon Bloomberg, pourrait coûter à Boeing environ 5 G$ US, soit presque autant que la provision de 5,6 G$ US déjà prise pour compenser les avionneurs qui ont acheté des 737 Max et les familles des victimes des accidents.    

Plusieurs témoignages d’employés de Boeing confirment celle-ci a coupé les coins ronds, après s’être engagée dans une course contre la montre pour doubler le A320neo d’Airbus, un avion plus économique équipé de moteurs plus économes et plus silencieux.   

Réputation amochée 

En se précipitant pour protéger ses parts de marché, Boeing a mis à risque sa réputation, qui était pourtant excellente. On a accusé son PDG, Dennis Muilenburg, d’avoir priorisé la rentabilité sur la sécurité et d’avoir mal géré la crise. Il a été congédié.

Les dégâts sont majeurs : tous les 737 Max fabriqués par Boeing (estimés à environ 750 appareils) sont cloués au sol depuis bientôt un an, à la suite des écrasements subis par des avions de Lion Air d’Indonésie (octobre 2018) et d’Ethiopian Airlines (mars 2019), qui ont causé 346 pertes de vie. Aucune date n’est avancée quant à une reprise des vols. Leur production vient d’être arrêtée, entraînant des mises à pied ou des reclassements pour quelque 12 000 employés. 

L’action de Boeing, qui valait 446 $ US en mars 2019, s’échangeait récemment à 330 $ US, un recul de 25 %. Pour les actionnaires, la perte de valeur boursière s’élève à 64 G$ US.

En octobre, Boeing a doublé, à 9,5 G $, sa marge de crédit en prévision des dédommagements énormes qu’elle devra verser aux sociétés aériennes qui ont acheté des 737 Max et aux familles des victimes des accidents. La notation de crédit de sa dette a subi deux baisses depuis juillet.

Alors qu’Airbus a livré 863 avions commerciaux en 2019, Boeing n’en a livré que 345 de janvier à novembre. 

L’actif le plus important 

La réputation est l’élément d’actif le plus important d’une personne ou d’une société. Un dommage causé par un accident qui ne résulte pas d’une négligence et qui est bien géré contribue à limiter l’étendue des dommages. 

Il en va autrement dans les cas de malversation, de non-respect de politiques d’entreprise, de négligences causant des dommages importants et d’écarts de conduite, surtout si ces cas mettent en cause les PDG. 

«Il faut 20 ans pour bâtir une réputation, mais cinq minutes pour la détruire.» – Warren Buffet

Parce que ceux-ci sont les figures de proue de leur société, les conseils d’administration ne lésinent plus aujourd’hui avec leur mauvaise conduite, les abus de pouvoir, le harcèlement et même les relations sexuelles consentantes avec des subalternes.

« Il faut 20 ans pour bâtir une réputation, a dit le grand financier Warren Buffett, mais cinq minutes pour la détruire ». Une parole d’un sage que personne ne doit oublier.

 

* Jean-Paul Gagné est co-auteur, avec Daniel Lapointe, de l’ouvrage «Améliorez la gouvernance de votre OSBL : un guide pratique» (Les Éditions Transcontinental, 2019, 282 pages)