L'ex-PDG de Bombardier, Alain Bellemare (Photo: courtoisie)
BLOGUE. Bombardier a le don de mettre en rogne ses actionnaires. Alain Bellemare, qui s’est avéré incapable de relancer Bombardier, a quitté son poste de PDG avec une entente de séparation d’environ 17,5 M$ CA.
Cette somme comprend un montant d’environ 4,9 M$CA en récompense de la vente de Bombardier Transport à Alstom, qui doit se conclure bientôt. Les quatre autres haut dirigeants de Bombardier doivent aussi recevoir plus de 1,5 M$CA chacun pour les récompenser de cette transaction si celle-ci se conclut. Bref, ces dirigeants sont récompensés pour la vente d’une division qu’ils n’ont pas su relancer et qui a fait partie de la vente de feu de presque tous les actifs pour renflouer de la société québécoise.
Alain Bellemare a aussi eu droit à environ 9,5 M$ d’avantages additionnels, soit 24 mois de son salaire de base, sa rémunération incitative à court terme et un «rajustement de change», qui tient compte de la baisse du dollar canadien. Quant à la récompense accordée aux quatre autres hommes, elle représente leur salaire de base et leur rémunération incitative à court terme.
Et puisque ces quatre derniers pourraient quitter une fois terminées les ventes d’actifs, on a aussi prévu pour eux une indemnité de départ représentant deux ans de salaire et leur rémunération incitative à court terme, ce qui représente pour le groupe une somme d’environ 15 M$.
À terme, il restera à Bombardier la division des avions d’affaires. Il sera intéressant de vérifier de combien on réduira les rémunérations de ces «happy few».
Des intouchables
Même si le démembrement de Bombardier est éminemment décevant pour les actionnaires, qui qui ont subi de lourdes pertes, la désillusion la plus grande est sûrement de constater l’ampleur des avantages consentis à ces dirigeants, alors que celle-ci était en faillite technique (capital propre négatif de plusieurs milliards). En fait, la société n’a survécu que parce qu’elle était à la fois un fleuron et «too big to fail».
Malgré l’extrême précarité de la situation financière de la société dont ils avaient la responsabilité, les administrateurs de Bombardier ont maintenu en place un système de rémunération convenant à une riche multinationale. Cela s’est fait avec la bénédiction de la famille Bombardier, qui détient 50,9% des droits de vote rattachés à l’ensemble des actions même si celle-ci ne possède que 12,23% des actions émises.
À cause de cette structure de capital, les émoluments et les avantages donnés aux cinq hauts dirigeants de Bombardier ont été payés en réalité par les actionnaires non membres de la famille, qui possèdent 87,77% des actions de la société.
Les avantages versés aux hauts dirigeants de Bombardier ont été acceptés par son conseil d’administration sur recommandation de son comité des ressources humaines et de la rémunération, que préside un familier de ce système de rémunération abusif, soit Vikram Pandit, ex-PDG de Citigroup, une des plus grandes banques de Wall Street.
Ce comité comprenait un seul Canadien, Pierre Marcouiller, qui a décidé de se retirer du conseil d’administration de Bombardier, après y avoir siégé trois ans, renonçant ainsi à une rémunération annuelle de plus de 200 000$.
Les actionnaires de Bombardier seront consultés sur son système de rémunération par un vote non contraignant lors de l’assemblée des actionnaires du 18 juin prochain, mais ils ne pourront rien changer malgré le fait que la famille Bombardier ne détienne que 12,23% des actions.
Une structure de rémunération de riches
La structure de rémunération de Bombardier est un copié-collé de l’abusif modèle nord-américain de rémunération des hauts dirigeants de grandes sociétés. Ce système, qui fait le bonheur des dirigeants de Wall Street et des grandes corporations américaines, est bien implanté au Canada, toutes les grandes sociétés ayant recours aux mêmes consultants pour établir leur structure de rémunération.
Ce système, qui semble immuable, est un cercle vicieux, qui contribue année après année à creuser l’écart entre la rémunération des hauts dirigeants et celle de l’ensemble des employés. Or, il perdurera aussi longtemps que l’État n’y mettra pas un frein, personne ne voulant réduire sa rémunération au-dessous de celle de son vis-à-vis dans le groupe d’étalonnage établi par les consultants.
Heureusement, une lueur d’espoir apparaît outre atlantique, où plusieurs pays prennent différents moyens pour contrôler la cupidité des grands dirigeants de sociétés.
* Jean-Paul Gagné est co-auteur, avec Daniel Lapointe, de l’ouvrage «Améliorez la gouvernance de votre OSBL : un guide pratique» (Les Éditions Transcontinental, 2019, 282 pages)