Laurent Ferreira, le PDG de la Banque Nationale, a promis aux analystes de rester discipliné dans sa gestion des risques, du capital et des coûts. (Photo: Romeo Mocafino)
Les bons résultats des banques canadiennes au deuxième trimestre ont redonné un peu de vie à leurs titres boudés en Bourse. Il n’est toutefois pas clair combien de temps ce soupir de soulagement d’environ 5% durera.
Les grandes institutions ont fait bonne figure avec une hausse de 4% des revenus et de 4% des profits avant impôts et provisions pour mauvaises créances. Cinq des six plus grandes banques ont surpassé les prévisions (par 6%) et ont relevé leur dividende de 3 à 7%. Les dépôts et l’encours des prêts totaux ont bondi de plus de 10%, un sommet depuis 2016, tandis que le rendement de l’avoir des actionnaires a atteint 16% en moyenne.
La posture à adopter envers les banques de la part des analystes dépend en bonne partie de leur optimisme ou de leur pessimisme au sujet de la trajectoire de l’économie.
Un ralentissement ou même une récession technique auraient vite fait de malmener la résilience manifestée par les banques.
Déjà, la hausse des taux hypothécaires modère le marché résidentiel au moment où les consommateurs sont très endettés. L’accélération de 16% des prêts aux entreprises au deuxième trimestre a procuré un solide coup de pouce, mais ce segment pourrait perdre de sa vigueur si la croissance des revenus des emprunteurs venait à ralentir en même temps que la hausse des coûts gruge les marges des entreprises.
Bon marché
Les titres bancaires sont bon marché si l’on se fie au multiple de 10,2 fois les bénéfices prévus, au ratio de 1,6 fois leur valeur comptable et au dividende de 4,2%. De telles balises ont offert de bons signaux d’achat dans le passé, mais les facteurs fondamentaux importent beaucoup plus pour la performance des banques en Bourse.
Un multiple de 10 fois les bénéfices est historiquement une zone d’achat, mais les perspectives de l’économie importent plus. (Source: Canaccord Genuity)
«L’économie a commencé à casser en mai. Les prêts aux entreprises vont commencer à se modérer cet été et à fléchir davantage au deuxième semestre alors que les indicateurs d’activité économique PMI se rapprocheront du niveau de 50 parce que la hausse des taux se fera de plus en plus sentir», entrevoit Martin Roberge, de Canaccord Genuity.
Ce stratège quantitatif et sectoriel estime que le premier semestre de 2022 pourrait marquer le pic des variables fondamentales pour les banques ainsi que la fin de la baisse des provisions pour pertes sur prêts qui dope les profits.
Son modèle laisse entrevoir une «récession des profits en 2023», aux États-Unis tout au moins ce qui aurait un effet sur le moral. «Le Canada devrait toutefois mieux s’en tirer grâce à la performance des matières premières», dit-il.
Pour toutes ces raisons, il recommande à ses clients institutionnels une posture neutre dans les titres bancaires dans leur portefeuille, soit une place équivalente à leur poids de 22% dans l’indice de la Bourse de Toronto.
Le scénario de Martin Roberge fait écho au risque de ralentissement économique cité par le PDG de la Banque Nationale (NA, 97,57$) Laurent Ferreira, lors de la téléconférence du deuxième trimestre.
En fait, toutes les institutions font preuve de prévoyance face aux risques de crédit et à la hausse marquée des coûts internes des banques, signale Gabriel Dechaine, de la Financière Banque Nationale. Cette prudence n’est pas étrangère au fait que le ratio des capitaux propres de 12% en moyenne (ajusté pour les acquisitions récentes par les banques BMO, Royale et TD) des six grandes banques est encore nettement plus élevé qu’il ne l’était avant la pandémie.
Deux choix défensifs dans l’immédiat
Pour sa part, Sohrab Movahedi, de BMO Marchés des capitaux, reconnaît que la hausse des taux est une arme à double tranchant pour les banques. Elle augmente les marges d’intérêts, mais peut affaiblir la demande pour les prêts ainsi que la qualité des prêts allongés aux emprunteurs.
L’analyste juge cependant que le rendement de dividende moyen de 4,2% des banques procure aux investisseurs de quoi patienter pendant le cycle actuel de hausse des taux. «Si les taux canadiens de 10 ans approchaient de leur sommet pour ce cycle-ci, les titres bancaires pourraient alors surpasser que l’indice de marché», entrevoit-il.
Son collègue Meny Grauman, de Banque Scotia, reste confiant que l’économie évitera un ralentissement majeur au cours des prochains trimestres. Si une récession technique devait survenir par contre, le chômage devrait bien résister étant donné la pénurie de main-d’œuvre, fait-il valoir.
Malgré son optimisme, Meny Grauman s’attend à ce que les incertitudes économiques continuent de peser sur l’évaluation des banques à court terme. Dans l’immédiat, il continue de privilégier la Banque Royale (RY, 132,77$) pour son ratio de capitaux propres élevés, un bon levier aux taux d’intérêt et la capacité de gestion des coûts.
Gabriel Dechaine, de la Financière Banque Nationale, estime aussi que la Banque Royale aura une valeur refuge pendant les remous économiques. La Banque CIBC (CM, 70$) attire aussi son attention parce qu’elle a accru les prévisions pour pertes sur prêts encore performants au deuxième trimestre, contrairement aux autres banques. Cela lui fait dire que l’institution se positionne en avant de la vague à cet égard.