Bourse: des renversements violents qui mènent nulle part
Dominique Beauchamp|Publié le 14 octobre 2022L'indice S&P/TSX de la Bourse de Toronto a flanché de 3,4% cette semaine. (Photo: 123rf)
Au bout d’une semaine folle secouée de renversements violents, les marchés terminent sur une note divergente : le S&P 500 a fléchi de 1,5%, l’indice Nasdaq et le S&P/TSX ont chuté de 3,1%, tandis que le Dow Jones s’est offert un gain hebdomadaire de 1,1%.
Les réverbérations de la crise monétaire, budgétaire et politique en Grande-Bretagne sur l’ensemble des marchés financiers, et surtout l’inflation persistante qui valide le resserrement de la Fed, ont semé l’émoi.
Les trois remontées de plus de 2% de la Bourse américaine lors des dix premières séances d’octobre – ainsi que la chute et le rebond de 5,5% du S&P 500 pendant la seule séance du 13 octobre – ont aussi fait jaser.
Le positionnement des pros et les fameux algorithmes des fonds mécaniques sont probablement derrière ces rebonds inattendus, mais Martin Roberge de Canaccord Genuity croit aussi le marché baissier mûrit en s’ajustant au nouveau régime des taux, aux futurs profits et au scénario de récession.
Cette semaine, une fois que les prix à la consommation et les prix à la production aux États-Unis ont écarté les derniers espoirs d’un pivot monétaire par la Fed, les contrats à terme sur les taux se sont ajustés à la nouvelle donne.
Le marché à terme prévoit désormais que le taux directeur américain terminera son ascension dans la zone de 4,75-5% en 2023 ce qui rejoint les orientations fournies par la banque centrale. Il y a un mois, le marché à terme entrevoyait plutôt un plafonds de 4,25 à 4,50%.
En d’autres mots, le marché obligataire, tout au moins, intègre en bonne partie la trajectoire probable des taux. «Pour certains, cela signifie que le durcissement de la posture de la Fed culminera bientôt», évoque le stratège quantitatif.
Joute de négociateurs et de robots
Des paramètres techniques semblent avoir provoqué les violents retournements en Bourse, le 13 octobre. Le retour de plusieurs indices à leur niveau d’il y a deux ans, soit avant la pandémie, a pu servir de point d’appui ou de zone d’achat, ont mentionné certains commentateurs.
Le S&P 500 avait aussi effacé la moitié tous les gains engrangés après le creux pandémique de mars 2020. Certains négociateurs espéraient que ce seuil allait offrir un petit répit à la chute boursière.
Martin Roberge cite aussi le fait que les vendeurs sont moins nombreux qu’avant puisque le S&P 500 a déjà flanché 24%. En même temps, les ventes à découvert, ces paris sur la baisse des cours, restent élevés. «Les vendeurs à découvert auront tendance à fermer leurs paris baissiers (en rachetant des actions) à chaque fois que la Bourse connaîtra une chute brutale, ce qui peut avoir l’effet de faire rebondir les cours momentanément», élabore le stratège.
S’inspirer des autres marchés baissiers
Plus fondamentalement, Martin Roberge conserve son plan de match qui consiste à ajouter aux actions en portefeuille en trois tranches en fonction de certains jalons. Ce fût le cas, le 3 octobre lorsque le S&P 500 a touché la barre des 3600 points.
« Le prochain jalon d’achat se situe à 3360, puis le dernier à 3100, soit des reculs d’encore 6% et 14% respectivement par rapport au cours actuel du S&P 500. »
Le dernier jalon de 3100 correspond à un recul de 35% pour cet indice et aussi à un multiple de 14,2 fois les bénéfices qu’il prévoit dans 12 mois (220$US pour le S&P 500). À ce niveau, le stratège redonnerait la préférence à nouveau aux actions dans sa répartition d’actif.
Ce scénario baissier est le plus probable à ses yeux lorsqu’il compare les forces en jeu aux autres marchés baissiers historiques. Le stratège divise les marchés baissiers en deux groupes, soit des chutes sévères de 48 à 57 % (en 1974, 2002 et 2009) et plus modérées de 27 à 37 % (en 1947, 1962, 1970 et 1982).
Le stratège Martin Roberge espère que la baisse ne dépassera pas 35% soit le parcours de la courbe jaune, (Parcours des 15 marchés baissiers depuis 1947, Canaccord Genuity)
Un plongeon de 48% comme celui de la crise pétrolière de 1973-74 n’est pas exclu, mais ce scénario noir lui semble peu probable parce que l’économie américaine consomme beaucoup moins de carburant qu’à cette époque pour générer de la croissance (5% par unité de PIB).
L’implosion de 48% de la bulle internet entre 2000 et 2002 peut aussi servir de précédent, étant donné les similarités avec la poussée techno de 2021, mais Martin Roberge juge que la fièvre a été moins aigue cette fois-ci.
«À l’époque, l’évaluation des titres de technologies-télécommunications-médias (TMT) avait touché 46 fois les bénéfices alors que cette fois-ci le multiple a culminé à 27 fois. Ce multiple s’est déjà dégonflé à 18 fois depuis, soit à peine un point de plus qu’au plancher d’octobre 2002», fait-il valoir.
Enfin, contrairement à la crise financière de 2008-09, qui avait vu la Bourse plonger de 57%, les banques sont en meilleure posture financière qu’alors pour continuer à prêter grâce à leurs capitaux propres réglementaires.
Après le mouvement baissier
La période de 1946-47 intrigue le stratège parce que le boom d’après-guerre avait fait grimper la demande pour les biens fabriqués aux États-Unis et avait poussé l’inflation fortement à la hausse, tout en faisant chuter la Bourse de 27%. Par la suite cependant, la Bourse avait évolué en dents de scie pendant deux années de plus.
Cette fois, «il est possible de devoir patienter encore deux ans pour que l’inflation atteigne la cible de 2% de la Fed ce qui pourrait garder la Bourse coincée dans un long tunnel», s’imagine le stratège.
Dans l’intervalle, la Bourse n’a pas fini de s’ajuster à la remontée des taux obligataires, à la réduction des prévisions de bénéfices, à la future trajectoire de croissance des bénéfices et à la récession probable de 2023. Ses propres estimations pour ces quatre facteurs aboutissent au plancher potentiel du marché baissier de 3100.
«La bonne nouvelle dans ces observations est que dans un horizon de 12 mois, les chances sont faibles pour que la Bourse soit plus basse qu’actuellement », conclut-il.