Le retour de l'appétit du risque repose sur un scénario optimiste pour l'économie, l'inflation et les profits. (Source: 123RF)
L’année 2023 commence en force ce qui soulève autant les espoirs que la méfiance de la part des stratèges et des observateurs. Le S&P 500 a avancé de 6%, le Nasdaq de 11% et le S&P/TSX de 7,1% à ce jour en janvier.
Un tel rebond surprend peu puisqu’il survient après une année 2022 et un mois de décembre particulièrement noirs.
Plus décembre est déficitaire, plus «l’effet de janvier» est fort, notent les analystes techniques. Cette dynamique réfère aux rachats par les investisseurs des titres perdants vendus pour des raisons fiscales, en fin d’année.
Ce phénomène annuel explique en partie la remontée plus prononcée des titres de technologie, et des titres plus volatils et spéculatifs.
«Les investisseurs veulent croire à un atterrissage en douceur de l’économie et à un pivot par la Fed et aussi que la baisse des profits soit déjà escomptée. La couverture des ventes à découvert, la chasse aux aubaines et la peur de rater le train (FOMO pour fear of missing out) ont donc fait bondir les indices depuis le début de janvier», explique Martin Roberge, stratège quantitatif de Canaccord Genuity
Les vendeurs à découvert, qui avaient misé sur un début d’année difficile, rachètent des actions afin de limiter les pertes causées par l’élan boursier.
Certains investisseurs institutionnels achètent aussi puisque leur portefeuille frileux reflétait le pessimisme ambiant de décembre, comme l’ont démontré tous les sondages des pros de fin d’année et la prudence prônée par la majorité des stratèges, à l’aube de 2023.
Cette semaine, les amateurs de l’analyse technique avaient aussi à l’œil la fameuse moyenne mobile de 200 jours de l’indice S&P 500 en tant que signal d’achat. Si cette marque a été franchie, le S&P 500 n’a pas surpassé par contre le sommet de 4101 atteint lors du rebond au début de décembre. S’il passait au-dessus de ce seuil de façon convaincante, le nouvel élan boursier aurait le bénéfice du doute, a évoqué l’un de ces amateurs, cette semaine.
La remontée dépasse néanmoins les seules considérations de calendrier et les notions techniques puisque son ampleur est mondiale. Les Bourses d’Europe, d’Asie et des marchés émergents profitent le plus des nouveaux espoirs que l’économie mondiale échappe au pire en même temps que l’inflation se modère.
Le dé-confinement chinois, la résilience énergétique de l’Europe jusqu’ici, ainsi que le recul du pétrole, du gaz naturel et du dollar américain, alimentent ce que Martin Roberge, de Canaccord Genuity, appelle un «acte de foi» dans la possibilité que la Fed américaine réussisse l’exploit de mâter l’inflation sans trop endommager l’économie, le marché de l’emploi et les profits des entreprises.
Retour de Boucle d’or
La formule «Goldilocks» qui réfère au conte d’enfants «Boucle d’or et les trois our» s, dans lequel les ours préfèrent leur gruau ni trop chaud ni trop froid, refait même surface pour illustrer le scénario optimal d’une économie plus lente et d’une inflation plus modérée.
La plupart des économistes, stratèges et commentateurs aimeraient bien y croire aussi, mais plusieurs d’entre eux jugent qu’il est encore beaucoup trop tôt pour conclure quoi que ce soit.
«Pendant que les investisseurs embarquent dans le train de l’atterrissage en douceur, les données économiques ne sont pas toutes montées à bord. Le récent récit met l’accent sur la résilience des économies, mais des signes de ralentissement se multiplient dans la plupart des économies développées tandis que l’inflation reste inconfortablement surélevée», indique Douglas Porter, économiste en chef de la Banque BMO, dans son bulletin hebdomadaire.
L’économiste continue de prévoir une courte récession au Canada et aux États-Unis cette année, un scénario auquel il accorde les probabilités les plus élevées, soit de 50%.
Des taux officiellement contraignants
La Banque du Canada est la première grande banque centrale à faire une pause dans son resserrement monétaire et la Fed pourrait bientôt la suivre, entrevoit aussi Douglas Porter.
L’économiste note d’ailleurs que la progression de 2,9% en taux annuel du déflateur américain des prix sur trois mois se situe dans la fourchette de la Fed de 1 à 3% pour la première fois depuis le début de 2021.
D’autres observateurs font remarquer que l’indicateur préféré de la Fed, le déflateur des prix de base du secteur des services, sans le logement (à cause du décalage des données), atteint 4,09%, ce qui est inférieur au taux directeur de la Fed, qui oscille entre 4,25 et 4,50% et qui pourrait passer à 4,50-4,75% mardi prochain.
C’est un premier signe que la politique monétaire est devenue «contraignante» pour l’économie, un objectif cher à Jerome Powell qui veut casser le dos de l’inflation.
La remontée des marchés tient aussi à l’espoir, que plusieurs disent trop prématuré, que la Fed passe d’une pause printanière à une première coupe des taux plus tard en 2023.
Ceux qui jugent ce scénario irréaliste font aussi valoir que si la Fed en venait à baisser les taux c’est que l’économie et les profits se porteraient alors bien mal.
Pour l’instant, Douglas Porter de la Banque BMO estime que la lueur d’un scénario économique moins sombre qu’avant justifie le rebond «modéré» de la Bourse depuis le début de janvier. En revanche, «la moindre flambée du pétrole ou des prix des aliments nous rappellera que les banques centrales n’ont pas fini de combattre l’inflation», admet-il.
Déja-vu
Pour sa part, Hugo Ste-Marie, de Banque Scotia juge encore que les investisseurs complaisants se bercent de «douces illusions» comme il l’avait évoqué en août 2022.
Même si le dé-confinement chinois et la résilience européenne sont encourageants, l’analyste quantitatif doute que les prévisions de bénéfices des analystes aient assez baissé pour soutenir les cours. Pour 2023, le consensus table encore sur une hausse de 3,2% à 225$ US des bénéfices du S&P 500, suivie d’une progression d’encore 10% à 248$ US en 2024.
À son avis, la Bourse offrira de meilleures occasions d’achat au cours des prochains mois puisque tous ses indicateurs pointent vers un ralentissement prolongé.
Martin Roberge fait la même lecture de données qui se cachent derrière le PIB américain de 2,9%, du quatrième trimestre. La moitié de cette croissance provenait du rétablissement des stocks. De plus, les investissements privés fixes se contractent, un phénomène qui coïncide avec les récessions.
Les investisseurs regardent vers l’avant et peuvent ignorer le déclin imminent des profits, mais la Fed ne viendra pas à leur rescousse cette fois-ci contrairement aux récessions antérieures, tient-il à rappeler.
Le baromètre de la peur, l’indice VIX, reste aussi sous la marque de 20, un seuil qui a parfois servi de signal contraire annonçant une rechute en Bourse.
Si vous avez une impression de déjà-vu, vous avez raison. Ce même débat avait fait rage tout au long de 2022. Il risque d’être résolu en 2023, d’une façon ou d’une autre.