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Dominique Beauchamp

La Sentinelle de la Bourse

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Analyse de la rédaction

Bourse: un rebond mis en doute

Dominique Beauchamp|Publié le 10 avril 2020

Bourse: un rebond mis en doute

Le S&P 500 a gagné 12% cette semaine. Le S&P1TSX 9,5% (Source: Advisorperspectives.com)

Le rebond marqué des Bourses, en pleine pandémie, en surprend plusieurs et suscite de la méfiance.

Après tout, la récession sera pire que celles de la crise de 2008-09 et de la Dépression de 1929, à certains égards.

L’économie américaine pourrait dévaler de 40% au deuxième trimestre, alors que le taux de chômage pourrait grimper de l’actuel 14% à plus de 20% selon certains estimés.

Au Canada, la perte d’un million d’emplois en mars est pire que le total des mises en pied observées pendant toute la durée des récessions de 2008-09, 1990-92 et 1980-81.

Douglas Porter, économiste en chef de la Banque Scotia, prévoit une contraction de l’ordre de 4% aux États-Unis et de 4,5% de l’économie canadienne en 2020, dans l’hypothèse d’une reprise au deuxième semestre. Chaque semaine de confinement soustrait de 0,5 à 0,7% au produit intérieur brut annuel au pays, estime-t-il.

La sortie de crise est tout aussi incertaine puisqu’elle repose sur la maîtrise d’un virus très contagieux et planétaire qui requiert des mesures musclées que bien des organisations et des pays ne peuvent pas mettre en œuvre. Les marchés sont des «machines à anticiper» répètent les pros pour expliquer la récupération éclair de la moitié des pertes encaissées entre le 29 février et le 23 mars.

Et cette semaine, les bonnes nouvelles étaient plus nombreuses que les mauvaises, redonnant une lueur d’espoir aux investisseurs qui n’attendaient que ça.

La Bourse est plus disposée à se projeter vers l’avant, quand elle aperçoit la «lumière au bout du tunnel», même s’il sera nettement plus laborieux de rétablir l’économie qu’il a été de «fermer l’interrupteur», pour utiliser une expression d’Horacio Arruda, directeur de la santé publique du Québec.

En hausse de 12%, la Bourse américaine a connu sa meilleure semaine depuis 1974 tandis qu’à Toronto, la hausse hebdomadaire de 9,5% du S&P/TSX est du jamais vu depuis la crise de 2009.

Même ceux qui croient que le train de mesures sans précédent – de l’ordre de 6 à 10% du produit intérieur brut (PIB) selon les régions – évitera une calamité économique sont tout de même pris de court par la remontée en Bourse.

Le plans d’urgence sont plus rapides et surpassent déjà l’ampleur de ceux de la crise de 2008 (Source: OxfordEconomics)

«Certains de nos indicateurs d’appétit de risque, tels que les attentes inflationnistes, corroborent le rebond. En revanche, le S&P 500 et le S&P/TSX ont déjà atteint nos cibles annuelles (de 2800 et 1400)», écrit Martin Roberge, de Canaccord Genuity.

Le rapport risque-rendement de la Bourse «s’est détérioré», ajoute le stratège quantitatif en précisant qu’il revoit son plan de match, mais ne prévoit pas relever ces cibles pour autant.

Au niveau actuel de 2789, le S&P 500 n’est pas particulièrement bon marché, dit-il, dans l’hypothèse que les bénéfices baissent de 30% à 115 $US en 2020 avant de rebondir de 20% à 135$US en 2022, comme il le prévoit. L’indice s’échange à 20,6 fois les profits de l’an prochain.

Tom Lee, l’indomptable optimiste de FundStrat Global Advisors, qui avait prévu cette récupération de 50%, s’attend à d’autres gains en fonction d’un modèle qui repose sur la vélocité des dix dernières corrections de 30%.

Il prédit que la Bourse verra de nouveaux sommets entre juillet et septembre, soit une période qui correspond à trois fois les six semaines qu’a duré la chute de 34%.

M. Lee rappelle qu’en 1987, 2009, 2002 et même en 1974, la Bourse avait touché son plancher avant que les nouvelles demandes de prestation de chômage n’atteignent leur pic.

«En d’autres mots, les marchés ont déjà intégré le pire de la crise», a-t-il évoqué en entrevue à Yahoo Finance.

Les sources d’espoir

La semaine a donné plusieurs raisons aux investisseurs d’espérer.

Le décompte des décès dans les pays aussi meurtris que l’Italie et l’Espagne semble atteindre un plateau tandis qu’une poignée de gouvernements tels que le Danemark, l’Autriche, la Norvège et la République tchèque s’apprêtent à lever graduellement certaines mesures de confinement.

La vue des habitants de la ville de Wuhan reprendre une partie de leurs activités encourage aussi bien que les contrôles assidus et le port généralisé des masques rappellent qu’un retour à la normale est encore éloigné.

En Corée du Sud d’ailleurs, 91 patients guéris ont obtenu des résultats d’infection positifs lors de tests subséquents, ce qui soulève de nouvelles questions.

Une entente potentielle des producteurs de pétrole pour réduire les surplus au moment où la demande chute de 35%, a aussi contribuéà atténuer le climat de crise.

Aux États-Unis, les autorités ont aussi revu à la baisse le nombre potentiel d’infections, d’hospitalisations et de décès après avoir ajusté leurs modèles aux mesures de confinement.

Au Canada, le ton change alors que les gouvernements fédéral et québécois élaborent divers plan pour une reprise progressive de certaines activités. 

Toute recrudescence de la COVID-19 tuera bien sûr dans l’œuf ces premiers espoirs, mais les mesures de soutien aux travailleurs, chômeurs et entreprises visent justement à servir de filet économique pendant un minimum de quatre mois.

Le bazooka de plus en plus énergique

Tous s’entendent pour dire que les interventions colossales par la Réserve fédérale pour assurer le bon fonctionnement des marchés financiers, dégeler les transactions entre institutions et faciliter les prêts aux entreprises et aux particuliers, ont fait toute la différence en Bourse.

Le dernier bazooka annoncé le même jour que l’annonce de 6,6 millions de nouvelles prestations de chômage: des fonds de 2 300 milliards de dollars américains pour «prêter» aux États, aux municipalités et aux entreprises. Quelque 400 000 entreprises de taille moyenne employant 35 millions de travailleurs seraient admissibles à des prêts de 600 G$ US sur quatre ans.

Jerome Powell, le président de la Fed, a aussi promis d’utiliser les capacités à sa disposition «avec force, de matière proactive et énergique jusqu’à ce que nous ayons la conviction d’être solidement engagé sur la voie de la reprise», lors d’un discours diffusé le 9 avril par la Brookings Institution.

Pour la première fois, la banque centrale peut acheter des «titres de pacotille» dans le marché des obligations de sociétés, ce qui fait déjà grincer les dents de ceux qui préfèrent que la Fed priorise les travailleurs et les ménages plutôt que Wall Street.

En Europe, les ministres des finances ont aussi enfin approuvé un premier plan de soutien de 546 G$ US tandis que celui du Japon représente 7% du PIB.

Contrairement aux autres crises, les banques centrales fournissent rapidement des liquidités au système financier et les gouvernements offrent un filet social à leurs citoyens. C’est nécessaire pour que «la récession ne dégénère pas en dépression», dit M. Roberge, mais il est encore trop tôt pour établir à quel point les «pertes d’emplois seront temporaires ou non».

Les pertes d’emplois sont colossales, indique M. Porter, mais il faut se rappeler qu’elles proviennent d’un coma artificiel imposé à l’économie pour des raisons de santé et qu’elles pourront en grande partie se renverser.

Pour sa part, Brian Belski, de BMO Marchés des capitaux, recommande aux investisseurs de ne pas se tracasser de la nature qu’aura la reprise. «Que ce voit un V, un U, un W ou un L, laissez plutôt le marché revenir à la normale et les entreprises reprendre du service, à leur rythme. Les politiques monétaire et fiscale ne produisent pas le plancher boursier, mais elles appuient la reprise», a déclaré le stratège en chef à Yahoo Finance.

Cet optimisme sera certainement mis à l’épreuve à plusieurs reprises au cours des prochains trimestres, à chaque fois que le scénario consensuel de «récession sévère mais de courte durée» sera remis en doute.