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ANALYSE. La reprise économique n’est pas comme les autres, car elle dépend entièrement d’un virus qui n’en fait qu’à sa tête. Pour les marchés, toutefois, la reprise ne fait aucun doute.
La grande question est de savoir à quel point les Bourses ont déjà anticipé la relance économique espérée au moment où le S&P 500 s’échange à 23 fois les bénéfices prévus en 2021.
D’un côté, la hausse des attentes inflationnistes est favorable aux actions par son effet bénéfique sur les revenus et les profits des entreprises. De l’autre, une hausse de taux (de 19 points de base aux États-Unis depuis un mois pour les taux obligataires repères de 10 ans) peut déprécier la valeur accordée aux futurs profits, particulièrement pour les secteurs et les titres les plus follement évalués.
Pendant que la Bourse est ballottée à court terme par ce débat récurrent, les investisseurs sont de plus en plus nombreux à miser sur les industries et les sociétés qui profiteront le plus de la reprise et sur les retardataires de 2020, dont l’énergie et les banques.
Les analystes sont dans une course pour relever leurs estimations de bénéfices et leurs cours cibles pour les producteurs de pétrole et de matières premières ainsi que pour le secteur industriel depuis que la victoire des démocrates au Sénat fait espérer des plans de relance costauds.
La consommation de base fait les frais de ce déplacement cyclique et pourrait continuer de perdre de son élan en Bourse, à moins que les vaccins ne viennent pas à bout de la COVID-19 aussi rapidement qu’anticipé.
Malgré les nombreux exemples de frénésie en Bourse que les énormes liquidités attisent, les actions gardent la cote si ce n’est que par défaut. Après tout, les obligations échéant en 2030 ont procuré un rendement négatif de 1,62% au Canada et de 2,26% aux États-Unis, jusqu’au 12 janvier 2021. Après inflation et impôts, ce déficit est pire, ce qui ternit l’attrait des obligations dans la répartition des portefeuilles.
Les actions résistent habituellement mieux à une remontée des taux, surtout quand cette progression est accompagnée d’une accélération économique. Même si la majorité des experts entrevoit une bonne année économique en 2021, grâce aux vaccins et au déconfinement, plusieurs stratèges redoutent un accident de parcours. Les revers pourraient survenir si le gouvernement démocrate ne réussissait pas à imposer ses politiques budgétaires, si la propagation du virus repoussait le retour à la normale ou si, au contraire, une pointe d’inflation faisait craindre la fin prochaine du rachat d’obligations par la Réserve fédérale américaine (Fed).
Récemment, des avertissements de pénurie de puces automobiles et de conteneurs de transport maritime, par exemple, ont alimenté cette préoccupation qui pousserait les taux vers le haut.
À cet effet, Capital Economics s’attend à ce que le rebond du pétrole enfle l’inflation ce printemps, car on comparera alors les cours avec ceux de la chute en avril 2020, mais le groupe d’experts économiques s’attend à ce que la banque centrale américaine considère ces pressions transitoires, surtout qu’elle est désormais à l’aise de dépasser sa propre cible de 2 %. Il est fort possible que le déconfinement stimule la demande au-delà de la capacité de la chaîne d’approvisionnement, ce qui ferait remonter les prix et provoquerait des spasmes en Bourse, reconnaît Jonathan Golub, de Credit Suisse. Le stratège américain croit toutefois que c’est en 2022 que le marché commencera à s’inquiéter d’une hausse plus soutenable de l’inflation et d’une remontée plus prononcée des taux. Entre-temps, il voit le S&P 500 grimper jusqu’à 4200 points.
Bras de fer entre l’évaluation et les profits
Bien que la Fed restera accommodante et les gouvernements, dépensiers, le parcours de la Bourse dépend plus que jamais de la trajectoire des bénéfices des entreprises, soutient Michael Wilson, stratège de Morgan Stanley. Au niveau actuel de la Bourse américaine, Michael Wilson juge que le rendement des profits (l’inverse du ratio cours/bénéfices) fournit peu d’appui aux actions, même si les taux d’intérêt sont historiquement faibles.
En fonction des taux d’inflation historiques, l’évaluation du S&P 500 est revenue au niveau de la bulle techno de 1999-2000, prévient le stratège. Le multiple du S&P 500 dans son ensemble a probablement plafonné, dit-il, mais les industries et les titres dont les bénéfices prévus augmentent le plus continueront à mener la charge. Les secteurs plus cycliques et les titres à faible capitalisation devraient encore profiter de cet élan.
Depuis le 4 novembre, les prévisions pour 2021 ont augmenté de 13,2 % pour le secteur de l’énergie, de 3,5 % pour le secteur de la finance et de 3,1 % pour celui des matériaux, précise le stratège américain.
Pour sa part, Stéfane Marion de la Financière Banque Nationale, rappelle que lorsque la pente des taux (l’écart entre les taux à court et à long terme) s’accentue comme c’est le cas actuellement, les secteurs cycliques performent mieux en Bourse. Le stratège signale que l’écart d’évaluation entre le S&P/TSX (17 fois les bénéfices prévus) et le S&P 500 (23 fois) n’a jamais été aussi grand. «Nous sommes prudemment optimistes, écrit-il, et nous nous attendons à ce que toute faiblesse économique transitoire reçoive un nouvel appui de mesures monétaires ou budgétaires.»
Même si la majorité des experts entrevoit une bonne année économique en 2021, plusieurs stratèges redoutent un accident de parcours.