Logo - Les Affaires
Logo - Les Affaires
  • Accueil
  • |
  • Bourse: une semaine de renversements difficiles à décrypter
Dominique Beauchamp

La Sentinelle de la Bourse

Dominique Beauchamp

Analyse de la rédaction

Bourse: une semaine de renversements difficiles à décrypter

Dominique Beauchamp|Publié le 21 juin 2021

Bourse: une semaine de renversements difficiles à décrypter

Le S&P 500 a perdu 1,9%, mais reste tout près de son niveau record (Source: Advisor Perspectives)

Comme l’a si bien dit Thomas Lee de Fundstrat qui vend sa recherche aux négociateurs, il ne faut pas tirer de grandes conclusions de la semaine écoulée pour la suite. «Ce n’est que du bruit», a-t-il gazouillé.

Le stratège faisait ici référence ici au fait que les fluctuations du 18 juin aient été amplifiées par l’expiration simultanée des contrats à terme et des options sur indices et sur les actions individuelles (quadruple witching) qui incite certains investisseurs à clore des paris ou des mesures de protection (hedges).

En plus, la fin du mois et de la mi-année approche ce qui pousse parfois les gros fonds de répartition d’actif à re-calibrer leurs portefeuilles, en particulier lorsque les obligations et la Bourse dévient de leur trajectoire la plus récente, comme cette semaine.

Le Dow Jones a perdu 3,4%, le S&P 500 1,9% et le Nasdaq 0,3%, la semaine passée. Le S&P/TSX a bien résisté avec un repli de 0,4% mais l’indice a tout de même glissé sous la barre de 20 000 points.

Les taux américains de deux ans, qui sont les plus influencés par la Fed, ont grimpé à 0,25%. Par contre, les taux de 10 ans (1,44%) et de 30 ans (2,3%) ont reculé bien que la Fed prévoit que l’inflation atteigne 3,4% à la fin de 2021, nettement plus que son objectif de 2%.

Tous cherchent à interpréter ces brusques mouvements afin de se positionner pour le reste de l’année.

La Fed gagne du temps

Sept gouverneurs de la banque centrale s’attendent désormais à une première hausse du taux directeur américain dès 2022, selon la moyenne des projections de la Fed qui reflète les estimations individuelles du moment (dot plot).

Cette surprise a le plus secoué les marchés qui avaient atteint un record lundi.

Pour leur part, Lisa Abramowicz et John Authers, deux commentateurs prolifiques de Bloomberg, ont plutôt salué la «stratégie» de la Réserve fédérale qui a dégonflé les craintes inflationnistes sans toucher à sa politique monétaire.

La «réalisation» que la Fed veille au grain, même si elle croit que la poussée de l’inflation est surtout transitoire, donne à penser qu’elle ne laissera pas les prix s’enflammer.

Cette nouvelle interprétation a déclenché une énorme rotation en Bourse qui a vu les investisseurs se départir des paris sur l’accélération économique, dont les matières premières, et sur les titres cycliques et bancaires (le reflation trade dans le jargon de Wall Street).

Jeudi et vendredi, les capitaux sont donc retournés aux titres de technologie qui semblent combler deux besoins immédiats. Les titans de la techno ont une valeur refuge à cause de leurs avantages structurels et de leurs énormes liquidités. Le secteur de la technologie offre aussi de la croissance visible dans une économie qui pourrait peut-être perdre de sa vigueur, interprètent certains investisseurs.

Les premières indications par la Fed qu’elle songe à éventuellement réduire le rachat d’obligations et de titres hypothécaires sont aussi survenues au bon moment: plusieurs matières premières avaient commencé à décliner, diminuant la menace d’une surchauffe de l’inflation.

La hausse des taux à court terme, qui ont réagi à la possibilité que le resserrement monétaire soit devancé à 2022 ou à 2023, a aussi redoré le dollar américain, qui à son tour a contribué à affaiblir les cours des matières premières, dans un effet domino classique.

Un dollar plus fort diminue aussi le coût des importations américaines en augmentant le pouvoir d’achat de la devise américaine à l’étranger.

John Authers laisse entendre que la Fed a habilement gagné du temps dans le cycle économique en atténuant les attentes inflationnistes, et ce, sans poser lever le petit doigt.

Douglas Porter est du même avis. L’économiste de BMO Marchés des capitaux note que le ton plus «faucon» de Jerome Powell pendant la chute des matières premières a contribué à freiner la hausse des obligations à long terme qu’auraient pu entraîner les nouvelles prévisions pour l’inflation.

Partie remise pour les paris cycliques?

Ce sursis incite plusieurs stratèges à croire que ce n’est que partie remise pour les paris sur l’accélération économique, les titres cycliques et les matières premières. Jeff Currie, l’analyste principal des matières premières de Goldman Sachs, recommande de profiter du repli actuel pour racheter afin de bénéficier du «réel déséquilibre entre la forte demande et l’offre limitée».

Aux yeux de Martin Roberge, de Canaccord Genuity, le «subtil» changement de ton de la Fed, le recul des matières premières par rapport à leur sommet et le retour de la volatilité, confirment tous que le cycle économique est arrivé à mi-parcours.

L’indice des denrées de Bloomberg a reculé de 5%, mais certaines matières premières ont chuté bien davantage (Source: LPL Financial)

Le stratège quantitatif s’attend donc que les placements cycliques connaissent une autre phase haussière, après leur pause estivale. Les matières premières prennent souvent des vacances l’été, en particulier lorsqu’elles ont connu un début d’année éreintant.

«L’envolée de 23% de l’indice S&P 500 des matières premières jusqu’au 30 avril était la plus vigoureuse depuis les années 1970. En plus, la décision par la Chine de puiser dans ses réserves de cuivre, d’étain et d’aluminium pour casser la spéculation défavorise aussi les métaux à court terme», explique-t-il.

Les cours des matières premières pourraient se raffermir à la fin de l’été parce que les fabricants de biens voudront regarnir leurs stocks afin de répondre à la demande qui ne tarit pas. Cette phase de re-stockage devrait alimenter un nouvel élan des matières premières jusqu’au printemps de 2022, indique-t-il dans son plus récent bulletin.

Douglas Porter croit aussi qu’il s’agit d’une pause et non la fin du mouvement haussier des matières premières. Bien qu’il n’adhère pas à la thèse d’un «supercycle», l’économiste estime que la reprise mondiale soutiendra les cours encore un bon moment.

Entretemps, la Bourse devra passer le test des résultats du deuxième trimestre qui seront dévoilés en juillet, prévient toutefois Martin Roberge. On verra alors à quel point la hausse des coûts nuit aux marges et aux profits des entreprises.