«Ce budget marque un point de rupture important pour les finances publiques des prochaines années, voire de la prochaine décennie.» (Photo: La Presse Canadienne)
EXPERT INVITÉ. C’est le gouvernement lui-même, sans passer par quatre chemins, qui nous a prévenus que le budget allait être «largement déficitaire». Sans surprise, le report de l’équilibre budgétaire était un secret de polichinelle.
La surprise n’était donc pas le budget déficitaire — que le gouvernement estimait lors de la plus récente mise à jour économique d’il y a à peine quelques mois à peine aux alentours de 3 milliards de dollars (G$), mais l’immensité de celui-ci! Avec un déficit prévu d’environ 11G$, le budget du ministre Girard entre par la grande porte dans l’histoire, en offrant aux Québécois un déficit record!
Ce budget marque un point de rupture important pour les finances publiques des prochaines années, voire de la prochaine décennie. En plus de ce déficit abyssal, l’objectif du retour à l’équilibre budgétaire prévu pour 2027 est encore retardé, dans le scénario le plus optimiste, à 2030!
En toute franchise, c’est une énième tuile qui s’abat sur la CAQ arrivée au pouvoir en 2018 avec un joli surplus de 7G$ hérité des libéraux (merci l’austérité) et dont la marque de commerce a longtemps été celle du bon gestionnaire, de l’expert du monde des affaires, de «faire des deals». Plusieurs partisans se réveillent ce matin en se demandant quand le cauchemar sera terminé!
Après le fiasco notoire du troisième lien, la défaite cinglante dans le comté de Jean-Talon, le manque de jugement dans l’histoire des Kings de Los Angeles, la gestion catastrophique des négociations du secteur public et la saga Northvolt qui ne finit plus de finir, disons que François Legault doit avoir hâte d’annoncer une bonne nouvelle!
En prenant connaissance de ce budget, le constat est clair. Nous sommes en train de payer pour les décisions économiques et politiques prises au cours des quatre dernières années. D’ailleurs, coïncidence ou pas, le dévoilement de ce budget ainsi que le début de la pandémie (au Québec) partagent la même date, le 12 mars.
Il serait injuste de jeter l’entièreté du blâme sur le gouvernement actuel et trop facile de leur reprocher certaines décisions prises dans l’urgence face à une crise sans précédent. Cela étant dit, il ne fait aucun doute que certaines des décisions, prises en contexte électoral de surcroît, ont finalement été un très mauvais calcul politique… Et économique. Rappelons-nous de l’envoi tous azimuts, deux fois plutôt qu’une, de chèques (évalué à 3,5G$) et de la dernière baisse d’impôt (évaluée à 4G$), qui ont eu comme effets secondaires de nourrir l’inflation et de priver l’État de plusieurs milliards de revenus.
Pourtant, nous semblions être en contrôle il y a à peine un peu plus d’un an, avec les coffres de l’État débordant de surplus. À l’été 2022, le ministre Girard parlait même d’une «année remarquable». La reprise économique robuste, combiné à la hausse des revenus de l’État, principalement due à l’inflation, avait rapporté des revenus autonomes «surprises» de près de 5G$. Comme quoi la gestion des finances publiques est un exercice périlleux!
Face à cette situation budgétaire fragile, Québec n’a maintenant d’autre choix que de couper dans le gras. Le gouvernement parle d’optimisation, les cyniques d’austérité. Peu importe, il faudra se serrer la ceinture afin d’espérer un jour retrouver un certain équilibre dans les finances publiques.
Afin de vous éviter les quelques 434 pages du plan budgétaire, voici, en quelques mots, ce que je retiens de celui-ci:
Contradictoire
Après avoir décidé d’investir massivement dans la filière batterie électrique — nous promettant qu’elle représente pour le Québec la prochaine ruée vers l’or — le gouvernement décide de mettre fin aux subventions à l’achat de voitures électriques. Malheureusement, déficit et environnement semblent, du moins selon ce budget, incompatibles.
Espoir
Oubliez les analyses complexes et les calculs scientifiques, le gouvernement mise sur l’espoir afin de voir le portrait économique de la province s’embellir. L’espoir de recevoir des transferts fédéraux plus généreux, l’espoir d’une diminution du taux directeur de la part de la Banque du Canada et l’espoir d’une baisse de l’inflation.
Recyclage
Je ne parle pas ici d’environnement, mais plutôt de recyclage d’idées qui reviennent continuellement ici et là. Taxe sur le tabac, lutte à l’évasion fiscale, coupures (pardon, je voulais dire optimisation), et augmentation du budget de la santé (représentant des dépenses de plus d’un milliard par semaine). Blanc bonnet, bonnet blanc, espérons que les mêmes stratégies donneront de différents résultats!
Pré-électoral
L’objectif premier de l’univers politique d’aujourd’hui est, à mon grand désarroi, de se positionner pour les prochaines élections et non plus d’assurer une saine gestion des finances publiques. Ce budget, qui arrive 2 ans et demi avant les prochaines élections, est l’occasion idéale pour le gouvernement de vider son sac de mauvaises nouvelles afin de présenter, lors des deux prochains budgets, un portrait plus reluisant.
Ils pourront ainsi se présenter face aux électeurs comme un gouvernement qui a repris le contrôle des finances publiques, fait les bons choix, eu le courage de prendre les décisions difficiles et en voie d’atteindre l’équilibre budgétaire…
Il serait injuste de ne pas aussi souligner les bons coups notamment envers nos aînés souffrant d’invalidité, à la DPJ, le support supplémentaire en éducation et envers les banques alimentaires.
Cependant, je reste perplexe et me pose beaucoup de questions face au fait que ni le gouvernement ni ses experts n’ont vu venir il y a quelques mois à peine la rapide détérioration de la situation, faisant passer le déficit de 3 à 11G$ en un temps record. Le budget a été déposé, maintenant il va falloir comprendre ce qu’il s’est passé!
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