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Bye bye les centres commerciaux?

Olivier Schmouker|Publié le 14 juillet 2020

Bye bye les centres commerciaux?

Leurs adeptes se font de plus en plus rares... (Photo: Freestocks/Unsplash)

CHRONIQUE. Frank and Oak, Davids Tea, Aldo, Reitmans, Sportium, Sail Plein Air,… La liste des entreprises de commerce de détail qui se mettent à l’abri de leurs créanciers n’en finit pas de s’allonger, jour après jour. À tel point qu’on peut légitimement s’interroger quant à la pertinence, de nos jours, des centres commerciaux; en effet, à quoi bon magasiner dans un espace gigantesque où s’additionnent les boutiques fermées et où l’on doit sans cesse veiller à ne pas attraper la COVID-19?

Cette interrogation, le cabinet-conseil Deloitte se l’est posée, et il en a tiré un rapport fracassant: à ses yeux, «la pandémie de COVID-19 a provoqué une onde de choc sans précédent dans le secteur du commerce de détail, où elle a eu des effets dévastateurs». En conséquence, les centres commerciaux sont appelés à connaître «une transformation radicale et permanente», sans quoi nombre d’entre eux pourraient bel et bien «disparaître». Regardons ça ensemble…

Même avant que les crises sanitaire et économique ne frappent, la fréquentation des centres commerciaux déclinait au Canada. Ainsi, dans les dix principaux centres commerciaux du pays, la fréquentation avait chuté de 22% entre 2018 et 2019. Et cette chute s’est accélérée en février 2020 (juste avant les fermetures imposées en raison de la pandémie du nouveau coronavirus), la baisse de fréquentation ayant atteint 42% par rapport au mois de février 2019. Une véritable dégringolade.

Comment expliquer ce désamour des Canadiens pour les centres commerciaux? Selon l’étude de Deloitte, les entreprises du secteur du détail qui éprouvent à l’heure actuelle les plus grandes difficultés présentaient, avant la pandémie de COVID-19, certaines caractéristiques communes: «absence de présence numérique ou de capacités de commerce électronique, diminution des revenus, faible niveau de liquidités, rentabilité en baisse, recul de la marque et détérioration de l’expérience client». Excusez du peu…

Et demain matin? C’est très simple, les Canadiens ne comptent plus vraiment y remettre les pieds: 24% d’entre eux indiquent qu’ils magasinaient dans les centres commerciaux une fois par semaine avant la COVID-19, et seulement 12% comptent encore le faire une fois les restrictions levées (ce qui n’est pas pour bientôt puisque Québec vient de rendre obligatoire le port du masque en lieu public fermé…). À cela s’ajoute le fait que 58% des consommateurs sont convaincus que les centres commerciaux seront moins populaires demain qu’auparavant.

«Une chose est sûre : une révolution se dessine dans notre approche du commerce de détail, dit Alexandra Genest, associée et leader, secteur de la consommation, Québec, de Deloitte. Il est évident que la pandémie a modifié la façon dont les gens souhaitent interagir avec le monde qui les entoure. Ce qui signifie que les détaillants et les propriétaires de centre commercial ont maintenant l’obligation de repenser le parcours du client de A à Z, de créer un tout nouveau genre de destination à même de fidéliser les visiteurs pour les années à venir.»

Une simple donnée met tout cela en lumière : 72% des consommateurs disent qu’avant la COVID-19 ils achetaient des vêtements principalement en magasin; seulement 55% s’attendent à le faire dans le monde post-pandémie. Comme quoi, les ventes en ligne sont appelées à un avenir florissant, au détriment des boutiques, en particulier celles des centres commerciaux. À moins que ces derniers ne parviennent à se réinventer…

Plus qu’une évolution, une révolution

De nombreux détaillants réévaluent actuellement la rentabilité des magasins physiques par rapport aux frais engagés pour les immeubles. Ils éliminent les magasins affichant un moins bon rendement et concentrent leurs capitaux sur les emplacements plus rentables ou prestigieux, dans l’optique de renforcer leur marque par l’interaction entre le magasin physique et les canaux en ligne.

D’ailleurs, la croissance du magasinage en ligne – 78% des consommateurs s’attendent à une augmentation de sa popularité après la pandémie – remet en question le besoin de disposer d’un réseau étendu de magasins, notamment pour les produits comme «les appareils électroniques, les livres, les magazines, les articles de sport et les modes éphémères (les produits jouissant d’une brusque popularité sur les médias sociaux, qui sont vite banalisés et dont les prix sont faciles à comparer)», selon l’étude de Deloitte.

«Cela fait maintenant un certain temps que le magasinage évolue, poursuit-elle. Il ne se limite plus à une visite en magasin. Il correspond aujourd’hui à une expérience globale des marques via une plateforme omnicanal: après avoir fait des recherches en ligne, les clients arrivent en magasin en sachant exactement ce qu’ils veulent (dans bien des cas, en connaissant mieux les caractéristiques et les avantages du produit que les vendeurs!). Ces comportements se sont sûrement renforcés pendant la pandémie. Résultat: le processus d’achat s’est à présent modifié de manière permanente.»

La conclusion saute aux yeux : «si l’expérience client n’est pas rehaussée, le magasin n’aura pratiquement plus de raison d’être».

«Le rôle du personnel de vente en magasin devra dorénavant être confié à une personne qui connaît parfaitement les produits qu’elle vend, et qui pourra comprendre les besoins du client et trouver des solutions pour y répondre. Le vendeur doit donc devenir un conseiller de confiance ou un ambassadeur de la marque, surtout dans les produits de luxe.»

Ce n’est pas tout. «L’expérience en magasin se doit également d’offrir quelque chose de différent.» L’étude met au jour le fait que les détaillants devront continuer d’investir dans la technologie pour soutenir les vendeurs et leur permettre, entre autres, de:

• récupérer de l’information sur les besoins et les attentes des clients (ex.: à l’aide de tablettes numériques en magasin,…);

• trouver instantanément des renseignements pointus sur les produits;

• élaborer des recommandations impromptues en se basant sur les réactions du client (ex.: à l’aide d’assistants robotisés pouvant apparier les produits et les besoins des clients,…);

• finaliser les commandes et prendre les dispositions pour la livraison (ex.: à l’aide du «concierge numérique centralisé» du centre commercial,…);

• utiliser facilement des fonctions de caisse automatique.

De tels changements sont-ils, en vérité, utopiques? Pas sûr. Deloitte cite en guise d’exemple le cas de la chaîne de vêtements Nordstrom Local…

«Ces deux dernières années, Nordstrom Local a commencé à déployer un nouveau type de magasin : de petites boutiques sans stocks. L’idée n’est plus de vendre directement des produits, mais divers services comme la collecte de commandes en ligne et les retours, des conseils en matière de style, des services de confection et de retouche, ou encore des soins esthétiques. Des mesures audacieuses et novatrices qui contribueront sans aucun doute au succès à long terme de cette entreprise.»

Innover, voilà donc la clé. L’étude a d’ailleurs demandé aux consommateurs eux-mêmes ce qu’ils aimeraient voir demain marin dans les magasins, les innovations qui les inciteraient à revenir faire un tour dans les centres commerciaux. Voici le Top 5 de leurs suggestions:

1. Savourer un bon petit plat

35% des consommateurs canadiens aimeraient un vaste choix de comptoirs et de restaurants offrant de la nourriture de qualité à manger sur place, dans une grande aire design, ou à emporter.

2. Acheter local

33% apprécieraient la présence de commerçants locaux ou d’articles fabriqués dans les environs, à tout le moins au Canada.

3. Relaxer dans la verdure

30% voudraient qu’il y ait de grands espaces verts à l’intérieur même du centre commercial, avec des arbres et diverses plantes, histoire de créer une atmosphère relaxante.

4. Stationner plus aisément

30% souhaiteraient bénéficier de diverses options de stationnement.

5. Retourner facilement les produits

26% voudraient un lieu centralisé où l’on puisse retourner des produits achetés dans les différentes boutiques du centre commercial, et donc, ne plus avoir à courir à gauche et à droite pour rendre ou se faire rembourser les achats décevants.

«Le centre commercial de demain sera une destination qui satisfera aux exigences fonctionnelles de nos vies, en plus de répondre à notre besoin de socialisation, estime Mme Genest. Ce sera une communauté florissante où les gens pourront librement vivre, travailler, s’amuser et se nourrir. On sera alors loin du centre commercial que fréquentaient nos parents, on ne parlera peut-être même plus d’un “centre commercial”, car sa vocation ne sera plus si “commerciale” que ça.»

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Un rendez-vous hebdomadaire dans Les affaires et Lesaffaires.com, dans lequel Olivier Schmouker éclaire l’actualité économique à la lumière des grands penseurs d’hier et d’aujourd’hui, quitte à renverser quelques idées reçues.

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