Ce consultant vise un coup de circuit en développement durable
Diane Bérard|Mis à jour le 11 juillet 2024Lorsque vous traversez le «vieux» pont Champlain en voiture, vous demandez-vous ce qu’il adviendra de sa carcasse lorsque le «nouveau» pont Champlain sera inauguré? Moi si. J’ai rencontré celui qui connaît la réponse. Vincent Guimont-Hébert est gestionnaire en développement durable pour Les Ponts Jacques-Cartier et Champlain (PJCCI). Il gère présentement les appels d’offres relatifs au démantèlement et à la gestion des matériaux du vieux pont. Je compte bien tout vous raconter dans quelques semaines, lorsque PJCCI aura elle-même une histoire à raconter.
Pour l’instant, j’ai rencontré cet ingénieur pour discuter de son autre emploi (qu’il exerce le soir et les fins de semaine). Il est consultant pour cabinet en développement durable Brundtland Minds, qu’il a lancé il y a deux semaines.
Brundtland Minds a une particularité. Ses consultants ne sont pas des employés. Comme Vincent, ils occupent tous un autre emploi. Brundtland Minds est une entreprise réseau. Elle repose sur un réseau de collaborateurs attitrés aux mandats selon leur expertise. Ceci tranche avec le modèle pyramidal traditionnel des grands cabinets- conseils où la base de la pyramide est occupée par une armée de juniors qui exécutent les mandats, pendant que les consultants seniors constituent l’interface avec les clients. Ces seniors sont aussi responsables du développement des affaires. On affecte des juniors à la réalisation des mandats, car compte tenu du taux horaire requis pour assurer la rentabilité, les seniors coûteraient trop cher. «J’ai vécu cette situation dans un grand cabinet, je voulais vivre la consultation autrement», explique l’ingénieur.
-L’entreprise réseau c’est attirant, mais vous êtes huit. Pour que le développement durable devienne un réflexe chez les entreprises, il va falloir multiplier les mandats, donc accroître votre bassin de consultants. Tôt ou tard, il faudra une structure de gouvernance plus formelle…
-C’est sûr. Pour l’instant, je reçois les demandes de mandats et je vérifie si nous avons les ressources pour les accomplir. J’ignore quelle forme prendra notre gouvernance. Mais je sais que c’est possible de fonctionner en réseau. La firme britannique de consultation en gestion Eden McCalllum y arrive avec 1500 consultants dont aucun n’est un employé. Eden McCalllum a un comité de gestion réduit où chacun se partage les responsabilités nécessaires au fonctionnement de la firme. J’ai découvert Eden MaCallum dans le livre «Business model generation», d’Alex Osterwalder et Yves Pigneur ( n.d.r.l. Les auteurs du business model canevas), lu dans mon cours de MBA à l’ESG.
Le modèle Brundtland Minds s’inspire aussi de l’OBNL américain BSR, pour les services. Brundtland Minds vise les grandes entreprises qui sont leaders de marché dans des secteurs où les marges sont minces: alimentation, commerce de détail, aviation, mode, etc. «On souhaite ainsi créer un effet d’entraînement sur leur secteur», explique l’ingénieur.
Le coup de circuit du développement durable
Brundtland Minds s’est donné un défi: faire travailler des concurrents ensemble. Vincent veut frapper un coup de circuit en développement durable. «Nous pourrions viser un seul gros joueur par industrie. Nous pourrions travailler avec Loblaw, par exemple, pour déterminer et dévoiler l’impact social et environnemental pour un ou plusieurs de ses produits de consommation courante. Mais pour un impact significatif, il faut asseoir Loblaw, Métro et Sobeys ensemble et que tout le monde investisse pour élever le niveau de l’industrie en établissant de meilleures pratiques dans la chaîne d’approvisionnement, par exemple. C’est ce qu’on appelle la préconcurrence. On utilise la force du groupe pour élever le niveau. Ensuite, les joueurs redémarrent la compétition» C’est ça le coup de circuit du développement durable.
-Et si ça ne fonctionne pas. Si les concurrents n’ont pas envie de s’asseoir ensemble…
-Je vais débuter par un premier joueur. S’il ne veut pas, je ne me gênerai pas pour aller voir son concurrent pour lui offrir le même service jusqu’à ce que j’en gagne un. On le dira ensuite aux autres. Je doute qu’ils aient envie de demeurer à la traîne. Si votre concurrent grimpe de niveau, tôt ou tard ça va vous rattraper.»
Vendre le développement durable en 2019
Brundtland Minds offre cinq services
1-Stratégie corporative et développement durable;
2-Changements climatiques et biodiversité;
3-Positionnement responsable de produits et services;
4-Chaîne d’approvisionnement responsable;
5-Design et ingénierie durable.
-Lequel de vos services sera le plus facile et le plus difficile à vendre?
-La stratégie, ça vend toujours bien, répond l’ingénieur. Mais, honnêtement, je souhaite ne plus offrir ce service dans cinq ans… J’espère qu’on parlera de stratégie tout simplement, parce que toutes les stratégies reposeront sur le développement durable. À l’opposé, vendre un programme pour réduire l’impact des changements climatiques, c’est difficile. Il faut en faire une des actions de la stratégie de développement durable.
Les programmes de changements climatiques se divisent en deux. La mitigation ou comment réduire ses émissions de GES. L’adaptation ou comment mettre en place des programmes qui réduisent la vulnérabilité de l’entreprise face aux événements climatiques. Il s’agit d’identifier les points chauds dans l’ensemble de la chaîne : approvisionnement, transport, vente, distribution. Prenons Fedex ou toute autre entreprise qui opère une flotte de véhicules. Certaines zones de livraison peuvent être affectées plus fréquemment par des ouragans, des inondations instantanées, des canicules extrêmes. Si ces sinistres se manifestent subitement, comment livrera-t-on les marchandises à destination? Et s’ils se manifestent de plus en plus fréquemment, comment ajusterons-nous de façon permanente le mode de livraison? Faudra-t-il carrément abandonner certains services ou pivoter?
En ce moment, le gouvernement du Canada subventionne les initiatives d’adaptation aux changements climatiques des entreprises, souligne le consultant. Il suggère de consulter la stratégie fédérale de développement durable.
-Et le service qui vous allume le plus?
-Facile! C’est la construction d’une chaîne d’approvisionnement responsable. Pour un passionné de développement durable, c’est l’action la plus stimulante, à cause de ses effets domino. On peut faire une réelle différence. Le problème: l’effet est à la mesure du défi. Pour tout donneur d’ouvrage, faire cascader sa vision en matière de développement durable sur l’ensemble de sa chaîne d’approvisionnement ce n’est pas gagné. Quelle est votre prise pour exiger certains comportements du 4e ou 5e niveau de fournisseurs? Mais si le donneur d’ordre y arrive, c’est probablement l’action la plus payante en développement durable. Vous gagnez un avantage direct sur vos clients. La France vient de passer une réglementation sur la responsabilité élargie des fournisseurs. C’est une étape. Il faut maintenant clarifier l’application.
-Brundtland Minds offre aussi un service de positionnement responsable de produits et service. Il me semble que vous ouvrez la porte toute grande au socioblanchimenent et à l’écoblanchiment…
– Pour l’instant, Brundtland Minds n’est pas notre gagne-pain. Si un client sollicite un service pour lequel aucun consultant du réseau n’est disponible ou ne dispose de l’expertise, nous n’accepterons pas le mandat. Si un client veut faire de l’écoblanchiment, nous n’accepterons pas le mandat non plus. Le service de positionnement responsable est destiné à un client qui a une information authentique à communiquer, mais qui n’est pas organisé pour le faire. Ce mandat n’est pas pour un ingénieur, il n’y a rien à développer ni à mesurer. C’est l’affaire de nos experts en communication.
-Et si un client vous aborde en confiant que son produit n’est pas top, mais qu’il souhaite qu’il le devienne…
-Ce n’est pas un mandat de positionnement de produit, c’est un mandat de chaîne d’approvisionnement. Nous allons l’orienter vers ce service. Parfois, il va falloir recadrer nos mandats.
Changer le monde
-Sur la page d’accueil de votre site, sous le nom Brutland Minds, il est écrit «changer le monde». Comment comptez-vous mesurer votre impact?
-Le nôtre ou celui de nos clients?
-Le vôtre.
-C’est une bonne question… Par le nombre de clients qui travailleront avec nous…
-Qu’est-ce qui vous assure qu’ils implanteront vos programmes?
-Nous sommes comme les urbanistes. Un urbaniste peut dessiner 25 plans pour réaménager un secteur, mais rien ne garantit qu’ils seront réalisés.
-N’est-ce pas frustrant?
-Oui, mais l’alternative l’est encore plus. Pour l’instant, je préfère offrir les services pour lesquels je suis passionné (le développement durable) à plus qu’une entreprise (mon employeur), quitte à vivre la frustration du consultant. Quand je l’aurai fait assez longtemps pour me faire une tête, on en reparlera.