Ces entreprises qui s’impliquent dans la guerre en Ukraine
Philippe Labrecque|Publié le 19 octobre 2022La guerre en Ukraine est décrite par certains comme étant la «guerre des smartphones». (Photo: 123RF)
BLOGUE INVITÉ. Dans mon dernier blogue, j’explorais le récit digne d’un roman d’espionnage que fut celui de Wirecard, cette entreprise allemande qui servait de couverture pour les services de renseignements de différents pays et qui s’est retrouvée dans une guerre des ombres entre différentes puissances, incluant la Russie.
Plus récemment, au sein de la guerre en Ukraine, on peut également observer certaines entreprises qui œuvrent à visage découvert, cette fois-ci, et qui ont un rôle sur le champ de bataille et dans la compétition entre les grandes puissances de ce monde.
La guerre des téléphones intelligents
Starlink, l’entreprise d’Elon Musk qui offre une connexion internet par satellite aux confins des régions les plus éloignées, offre ces mêmes services aux forces ukrainiennes dans leur combat contre les forces russes.
Starlink a pris le relais d’une infrastructure ukrainienne de communications cellulaires rendu inopérante dès le début de la guerre par les frappes russes. Cet accès à internet permet d’effectuer plus que de «simples» téléconférences des soldats avec leurs proches. L’entreprise permet également à l’armée ukrainienne de coordonner ses frappes d’artillerie et de maintenir les communications entre les troupes déployées et l’État-major.
Surtout, l’accès internet de Starlink permet de mener la bataille de l’information, autant sur les médias sociaux et qu’à travers les médias traditionnels. Certains vont jusqu’à décrire le conflit comme étant celui de la «guerre des smartphones», tellement l’utilisation de ces appareils par les troupes sur le champ de bataille alimente les médias sociaux en commentaires, en images et en vidéos de tout genre.
Offrant les services de Starlink à ses frais, le coût encouru par Elon Musk et l’entreprise n’est cependant pas que financier. Depuis son implication dans le conflit, l’entreprise est devenue la cible de cyberattaques incessantes de la part de la Russie qui tente de mettre l’entreprise hors service — sans succès jusqu’à maintenant. Pas de quoi rassurer les usagers réguliers de Starlink.
Les satellites commerciaux: cet œil dans le ciel qui voit tout
Certains se souviendront de la diffusion des premières images satellites, en février dernier sur différentes chaînes de télévision comme CNN et dans les pages du New York Times et de l’agence Reuters, notamment. Celles-ci avaient capturé le déplacement des forces russes vers la frontière ukrainienne, avant même le début des hostilités.
Ces images ne provenaient pas de la CIA, comme à l’époque de la Crise des missiles cubains, mais de Maxar Technologies, une entreprise privée basée au Colorado qui est le principal prestataire de services de renseignement géospatial du Département de la défense américain.
Si l’immense majorité des images satellites qui nous parviennent par l’entremise des médias proviennent aujourd’hui d’entreprises privées, il ne faut pas oublier que celles-ci sont largement au service des appareils de défense des différents pays, surtout des États-Unis.
Maxar se présente d’ailleurs comme défenseur du «bien social et de la transparence mondiale», mais il est à parier que cette transparence s’arrête là où les intérêts américains requièrent une certaine discrétion.
«Les logiciels et l’héroïsme»
Alex Karp, un «patriote américain» de ses propres dires et PDG de Palantir Technologies, une entreprise spécialisée en extraction et analyse de données massives, a récemment déclaré que «les logiciels et l’héroïsme peuvent vaincre le géant» — en référence à une victoire ukrainienne possible contre les forces russes.
Par la collection et l’analyse de données massives, Palantir «permet aux utilisateurs d’identifier des dynamiques cachées dans les ensembles de données», et ce, dans l’objectif d’accélérer et d’optimiser les opérations d’une entreprise, d’une agence gouvernementale ou bien d’une armée sur le champ de bataille, comme on peut l’observer en Ukraine.
S’il doit rester discret sur la nature précise de sa contribution auprès d’opérations militaires et de défenses ukrainiennes, Alex Karp ne tarit pas d’éloges à propos de l’influence de sa propre entreprise. Lors d’un entretien récent, il laissait entendre que Palantir transformait la façon même de mener la guerre, alors que l’application de logiciels spécialisés peu coûteux et une forte dose «d’héroïsme» peuvent mettre en échec les grandes puissances qui pourraient penser — à tort — que le simple fait d’être quantitativement supérieures à de petites nations leur garantit la victoire.
Palantir n’en est pas à sa première contribution sur le champ de bataille alors que l’entreprise aurait aidé à dénicher Osama Ben Laden il y a plus de 10 ans.
Si l’on peut facilement imaginer l’effet significatif de telles technologies sur le champ de bataille, on répondra tout de même au PDG que les talibans et les Afghans ont réussi à humilier la première puissance mondiale (les États-Unis) et la plus grande alliance militaire (l’OTAN) avec des moyens plus que rudimentaires et une patience implacable, et ce, sans intelligence artificielle, sans data-mining et sans mégadonnées.
Cibles légitimes?
On peut applaudir l’implication de ces entreprises qui défendent l’Ukraine, mais ces dernières et leurs dirigeants deviennent-ils des cibles légitimes une fois impliquées dans un conflit?
Alors que le nom et le profil d’Elon Musk auraient apparu brièvement sur une kill list ukrainienne après que ce dernier ait suggéré à l’Ukraine sur Twitter d’accepter la perte d’une partie de son territoire pour mettre fin au conflit, il y a fort à parier que Musk se pose sérieusement la question.