Certaines PME — mais pas toutes! — misent sur la carte historique, car la longévité inspire confiance. (Photo: Museums Victoria pour Unsplash)
Elles font rarement les manchettes. Pourtant, ces PME ont réalisé tout un exploit en passant au travers de nombreuses crises économiques, transformations sociales et révolutions technologiques depuis un siècle. Leur stratégie ? Elles s’adaptent, demeurent fidèles à leurs valeurs et sont résolument tournées vers l’avenir.
C’est entre autres le cas d’Urgel Bourgie, une entreprise de services funéraires fondée à Montréal en 1902. «Notre longévité tient à notre flexibilité et à notre capacité à nous adapter aux tendances. On essaie même de créer les tendances», soutient Patrice Chavegros, vice-président au développement des affaires chez Athos Services commémoratifs, propriétaire d’Urgel Bourgie depuis 2012.
Patrice Chavegros, vice-président au développement des affaires chez Athos Services commémoratifs, propriétaire d’Urgel Bourgie (Photo: courtoisie)
Au fil des décennies, la PME s’est adaptée à plusieurs reprises aux changements socioéconomiques au Québec. De 1902 jusqu’aux années 1980, Urgel Bourgie a exploité un salon funéraire dans la plupart des quartiers de Montréal. Proximité était le mot d’ordre, alors que l’Église gérait les obsèques. Toutefois, le déclin de la religion a transféré ce pouvoir aux familles, incitant l’entreprise à offrir des services combinés dans un même lieu – funérailles, fleuriste, traiteur, parc commémoratif (cimetière et columbariums) – afin de faciliter la vie aux proches endeuillés.
Aujourd’hui, pour être en phase avec une société de plus en plus diversifiée, l’entreprise fait une vigie internationale afin d’observer les tendances, incluant l’humusation, un processus de remise en terre durable.
Des centenaires
La longévité d’Urgel Bourgie est loin d’être unique au Québec. Seulement dans le classement Les Affaires des 300 PME les plus pérennes, près d’une vingtaine ont soufflé 100 bougies. Sans parler de celles qui n’en sont pas loin, comme la firme indépendante de comptabilité et de conseil Richter, fondée en 1926.
Aux yeux de Tasso Lagios, associé directeur chez Richter, la longévité de la firme tient à plusieurs facteurs.
Outre l’adaptabilité à l’environnement d’affaires, l’entreprise a toujours misé sur la formation de la relève et le transfert du savoir-faire à la prochaine génération, «sans oublier ses valeurs fondamentales», insiste-t-il. «Nous innovons, nous avons un esprit entrepreneurial et nous aidons nos clients à mieux gérer leur business .»
Parmi ses «coups de circuit», la firme souligne son incursion dans la gestion de patrimoine des familles fortunées, il y a une vingtaine d’années, en offrant divers services tels que le transfert intergénérationnel. «On devient une extension des familles. C’est une passion, c’est très important», explique Justine Delisle, associée chez Richter et directrice de la Division de la gestion financière familiale.
La PME est fière de son histoire, mais elle n’est ni nostalgique ni conservatrice dans sa stratégie d’affaires. «Oui, l’histoire est importante, mais on regarde devant», laisse tomber Tasso Lagios. Le livre commémoratif que Richter a publié en 1996 s’intitule d’ailleurs A 90-Year History of Our Future.
Des points communs
Les vieilles entreprises partagent certains points en commun, selon les spécialistes.
Yan Cimon, professeur de stratégie à la Faculté des sciences de l’administration de l’Université Laval, affirme que ces entreprises affichent un équilibre entre les pôles de l’exploitation – gérer les produits existants – et de l’innovation – lancer de nouveaux produits.
«Si une entreprise mise trop sur l’exploitation, elle passera à côté de tendances dans son industrie et ne verra pas la direction du marché», prévient-il.
Les entreprises familiales ont aussi un avantage concurrentiel qui leur permet de réussir dans la durée, souligne Isabelle Le Breton-Miller, professeur de management à HEC Montréal. «Si on lance une entreprise et qu’elle est familiale, elle a de deux à fois trois plus de probabilité d’avoir du succès», affirme celle qui est également titulaire de la Chaire sur la relève et sur l’entreprise familiale.
Dans l’essai Réussir dans la durée : leçons sur l’avantage des grandes entreprises familiales, publié en 2010 avec Dany Miller, Isabelle Le Breton-Miller explique que les entreprises familiales à succès ont quatre priorités qui les aident à demeurer compétitives. Elles ont une vision à long terme axée sur la continuité et sont bien ancrées dans leur communauté. Elles sont fidèles à leurs partenaires à l’étranger. Finalement, elles ne sont pas les «serviteurs» des actionnaires ; elles jouent plutôt un rôle d’«intendants», donc elles sont plus indépendantes envers eux.
UV Assurance, une société d’assurance et de produits financiers de Drummondville fondée en 1889, présente certaines de ces caractéristiques. Ainsi, son PDG, Christian Mercier, souligne que la longévité de l’assureur tient «à la détermination et à la vision» à long terme.
«C’est dans l’ADN de l’entreprise : une forme de conservatisme, accompagné d’un souci de prudence et de sécurité», explique-t-il.
«La firme affiche un ratio de solvabilité supérieur à 200, alors que la moyenne dans l’industrie oscille entre 130 et 140», précise Luc Pellerin, premier vice-président et actuaire désigné. Cette solidité financière a permis à UV Assurance de procéder à 18 fusions et acquisitions depuis le début des années 2000.
La PME mise aussi sur la carte historique, souligne Christian Mercier. «Dans le secteur de l’assurance, la longévité inspire confiance», note-t-il.
Toujours allumée après plus d’un siècle
Certaines entreprises préfèrent toutefois ne pas jouer cette carte. C’est le cas du détaillant de meubles et d’électroménagers Gagnon Frères, une PME fondée en 1904 à Chicoutimi par les frères Joseph et Louis Gagnon.
L’actuel président de l’entreprise, Frédéric Gagnon, estime que de trop miser sur son histoire peut être une arme à double tranchant. «On risque d’être perçus comme une vieille entreprise, voire une entreprise dépassée», fait-il valoir.
Pour ne pas tomber dans ce piège, la PME se remet constamment en question, confie l’entrepreneur. «Il faut avoir la capacité de se réinventer, car quand tu te penses bon, c’est le début de la fin.»
Depuis deux ans, l’entreprise a par exemple investi 10 millions de dollars pour centraliser ses activités de distribution afin d’alimenter ses six magasins situés au Saguenay-Lac-Saint-Jean et sur la Côte-Nord. Frédéric Gagnon estime que ce projet figure parmi les «bons coups» du parcours de l’entreprise.
La société spécialisée dans les technologies de l’électronique imprimée e2ip Technologies – propriété de GGI Solutions, une PME fondée en 1894 – estime aussi que les plus belles années de sa longue histoire se passent sans doute en 2020.
«Le vrai point tournant, il est maintenant», insiste Éric Saint-Jacques, PDG d’e2ip Technologies, née en 2019 du regroupement de GGI Solutions, de ClickTouch et de Bergquist (GGI demeure toutefois le coeur de la nouvelle entité).
Après avoir fait partie de la première vague d’entreprises à faire de l’impression sur métal au tournant du 20e siècle, l’entreprise fait aujourd’hui partie des pionniers de l’impression électronique, c’est-à-dire des circuits que l’on installe à l’intérieur de systèmes dotés de surface tactile.
«C’est l’invention la plus importante de l’histoire des systèmes de contrôle», assure Éric Saint-Jacques, en précisant qu’e2ip Technologies détient un «portefeuille de brevets unique» qui lui permettra d’être au coeur de la transformation des surfaces en surfaces intelligentes.
Selon lui, la longévité et le succès de GGI Solutions s’appuient sur quatre piliers : l’innovation, les talents (chercheurs et spécialistes très diplômés), l’excellence opérationnelle, ainsi que les partenariats avec des clients et le Conseil national de recherches Canada.
Quatre piliers qui lui permettent aujourd’hui de réaliser des contrats pour les entreprises qui sont des chefs de file dans des secteurs aussi variés que les équipements médicaux et les transports.