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«C’est juste des réseaux sociaux»

Katia Tobar|10 avril 2024

«C’est juste des réseaux sociaux»

«Je m’occupais de 15 comptes de réseaux sociaux pour cinq ou six clients de l’agence pour lesquels je devais préparer entre 20 et 30 publications par mois, pour chacun. J’ai signalé plusieurs fois à mes gestionnaires que c’était trop, mais il n’y avait pas beaucoup d’écoute au sein de l’entreprise. Ça a cassé ma confiance en moi», dit Sarah Oirdighi, 29 ans. (Photo: courtoisie)

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(Illustration: Camille Charbonneau)

ALGORITHMES. «C’est juste des réseaux sociaux, on va mettre le budget ailleurs.» Voilà la réponse qu’obtient Sarah Oirdighi, 29 ans, lorsqu’elle signale à ses gestionnaires une surcharge de travail et demande l’ajout de ressources pour l’aider. Elle travaille alors comme créatrice de contenus pour les réseaux sociaux (RS) et stratège en agence.

«Je me sentais rabaissée. D’un côté, on te dit ça, mais d’un autre, tu ramènes pas mal de revenus à l’entreprise [avec les stratégies de RS]», explique-t-elle.

En 2021, Sarah commence «au bas de l’échelle», aux réseaux sociaux, dans une grande agence de Montréal. Lorsque la personne au-dessus d’elle quitte son emploi à la suite d’un épuisement professionnel, Sarah obtient une promotion et la remplace. Sans augmentation de salaire, elle accepte les responsabilités supplémentaires et y voit une occasion de développer sa carrière.

«J’ai commencé à faire des semaines de 50 ou 60 heures, à travailler le week-end. Je m’occupais de 15 comptes de réseaux sociaux pour cinq ou six clients de l’agence pour lesquels je devais préparer entre 20 et 30 publications par mois, pour chacun. J’ai signalé plusieurs fois à mes gestionnaires que c’était trop, mais il n’y avait pas beaucoup d’écoute au sein de l’entreprise. Ça a cassé ma confiance en moi», confie la jeune femme.

Au bout de quelques semaines, Sarah craque. Crises de panique, pleurs, fatigue… Elle va jusqu’à faire des cauchemars de l’entreprise et de son employeur.

«Psychologiquement, je ne tenais plus la route […] Mon chum ne me reconnaissait pas. Et physiquement, je n’arrivais plus à me dire que je devais passer la porte de l’entreprise.»

Le diagnostic tombe: épuisement professionnel. Chômage ou non, Sarah décide de quitter son entreprise en septembre 2022. Si aujourd’hui elle témoigne, c’est pour dénoncer un manque de reconnaissance des gestionnaires de communauté dans l’industrie du marketing.

«On ne va jamais reconnaître les réseaux sociaux comme quelque chose qui va apporter de la valeur à une agence, observe-t-elle. Le milieu est très compétitif, cela participe à créer des cultures d’entreprise toxiques. Les agences se distinguent par les prix qu’elles gagnent pour les publicités télés par exemple, jamais pour leur expertise sur les réseaux sociaux. Alors il y a moins de budgets alloués.»

Emilie Perrier, 34 ans, a également accepté de se confier à Les Affaires à la suite d’un épuisement professionnel vécu l’année dernière. Elle travaillait alors comme gestionnaire de communauté pour une agence réputée du Grand Montréal.

 

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«Les postes de direction en marketing sont souvent occupés par des gens de la génération X. Ils ne comprennent pas trop ce qui se passe sur les RS. Ils en sont encore à des bannières, des impressions et des taux d’écoute», indique-t-elle.

Emilie s’occupait des comptes de 17 clients, de la stratégie, des calendriers de publication, des créations de visuels sur Canva et d’offrir du service-conseil.

«On sous-estime la charge de travail de ces postes-là, lâche-t-elle. Les pages dont on s’occupe sont liées à nos pages personnelles, alors c’est difficile de déconnecter le soir.»

 

Hyperconnectivité

En marge du Sommet gestion de médias sociaux organisé en février dernier, Marie-France Gosselin, cofondatrice des Rendez-vous de la création de contenu, décrivait l’hyperconnectivité induite par le métier.

«[Gestionnaire de RS], c’est le métier le plus difficile que j’ai fait dans le monde des communications, affirmait-elle en entrevue avec Les Affaires. Les gens, ils vont consommer [les RS] pour leurs besoins personnels. Nous, on pense toujours à notre ‘’job’’. Ça devient omniprésent», se désole celle qui coupe aujourd’hui toutes les notifications de son téléphone et se déconnecte régulièrement 24h à 48h de tout.

Pour Marie-France Gosselin, un gestionnaire de RS est constamment confronté aux regards des autres, du public, des collègues, des gestionnaires et doit toujours se renouveler.

«Ce sont des postes au bas de l’échelle […] et tu n’as pas le droit à l’erreur. Le métier n’est pas assez bien rémunéré, mais un jour ça va devenir des postes clés», affirme-t-elle.

 

Prévenir l’épuisement professionnel

Plusieurs pratiques peuvent être mises en place par les gestionnaires de l’industrie du marketing pour prévenir les épuisements professionnels de leurs équipes de RS. L’attribution d’un appareil — téléphone ou ordinateur — dédié à la gestion de communauté permet par exemple de limiter les notifications sur les appareils personnels, suggère Anaïs Lépine Lopez, doctorante à la Chaire d’étude et de recherche en santé mentale et travail.

«Il doit y avoir une séparation entre les activités professionnelles et personnelles, insiste-t-elle. Et les attentes de l’employeur doivent être claires. L’employé doit-il être en veille pour les réseaux sociaux 24h sur 24? Ce ne doit pas être nébuleux, sous peine d’augmenter la pression.»

Le rôle du patron est aussi essentiel dans le cas où un gestionnaire de RS revient au bureau à la suite d’un épuisement professionnel, notamment à cause des changements technologiques très rapides dans l’industrie. Dans ce cas, Anaïs Lépine Lopez suggère de désigner une personne-ressource au sein de l’équipe qui permettra d’adoucir la transition, tant sur le plan technologique que social.

 

«Se protéger»

Emilie Perrier travaille aujourd’hui dans une entreprise où elle «apprécie» ses deux téléphones qui lui permettent de décrocher. Elle suggère aussi aux gestionnaires d’éviter d’«écrire à leurs employés le soir pour préparer une stratégie de RS pour un client pour le lendemain matin».

Quant à Sarah, elle monte sa propre agence de marketing, «pour se protéger».

«Le pire qui puisse se passer ne sera jamais aussi pire que ce que j’ai vécu», conclut-elle, avec tout de même une crainte en tête, celle de perpétuer le même schéma et de ne pouvoir échapper à la culture toxique du milieu qu’elle dénonce.

Depuis six mois, l’organisme de bienfaisance NABS-Le bec, qui soutient la santé mentale des professionnels du milieu de la communication, traite une «augmentation des demandes d’aides», indique Libby Begg, directrice des communications. Elle rappelle que l’organisme propose une ligne d’écoute 24/7, ainsi qu’un soutien pour les problèmes personnels et familiaux, mais aussi une aide financière à court terme d’environ trois mois.

 

Si votre utilisation des réseaux sociaux vous a permis de rencontrer le succès sans passer tout votre temps à vous battre avec des algorithmes ou si vous avez décidé de vous en affranchir, partagez votre stratégie avec moi à katia.tobar@groupecontex.ca

 

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