Cette plante qui nous évitera une pénurie de papier de toilette
Alain McKenna|Publié le 16 mars 2020(Image: wikipédia)
Même en situation de catastrophe, l’actualité fait parfois drôlement les choses. Rencontré la semaine dernière afin de parler d’innovation ouverte, Carl Blanchet, le directeur corporatif de l’innovation chez Cascades, à Saint-Bruno-de-Montarville, en a profité pour revenir sur quelques mesures sanitaires de base, tout en permettant de clore pour de bon un débat qui revient de temps en temps sur les réseaux sociaux (tout ça au bas de ce présent billet).
On ne dira jamais assez comment de bonnes pratiques hygiéniques peuvent aider à réduire l’impact du coronavirus et de la maladie Covid-19.
Pour plusieurs, ça peut demander de changer certaines habitudes ancrées dans son quotidien. Et, ironiquement, on peut dire la même chose de l’innovation ouverte. Car c’était là le but principal de notre visite chez Cascades: celle-ci sort d’un processus de plusieurs mois où elle a ouvert ses portes à des entreprises en démarrage de tous les horizons, afin de voir si elles pouvaient l’aider à régler un enjeu d’une façon à laquelle n’aurait pas pensé sa direction.
Cascades a amorcé ce projet à la fin 2018. Un an et demi plus tard, il s’avère un bel exemple d’innovation ouverte réussie. «On a ciblé un enjeu de fibre alternative. Dans nos produits, nous utilisons des fibres recyclées provenant de journaux, d’emballages et d’autres papiers qui sont en décroissance partout dans le monde. Alors on s’est dit, il doit exister quelque part d’autres fibres, ou des technologies, qui nous permettront de produire le papier de demain», résume M. Blanchet.
Cascades a initialement reçu 102 propositions, provenant de start-ups établies dans différents pays. L’entreprise québécoise a ensuite sélectionné 30 de ces projets. Certains proposaient des technologies permettant d’améliorer la production avec les ressources actuelles, d’autres avaient plutôt en tête le recours à des sources de fibres complètement inédites pour Cascades.
«Il y avait deux choses: des fibres ou des technologies. Parfois, il y avait les deux ensemble. À la fin, on en a retenu dix, incluant, notamment, le miscanthus», explique Carl Blanchet.
Auprès d’une bonne partie des gens qui le connaissent, le miscanthus n’a pas très bonne réputation. Certains l’apprécient car la longue plante est une vivace facile à cultiver, qui pousse sur des terrains peu fertiles, et qui peut atteindre une hauteur de plusieurs mètres très rapidement. Ses détracteurs notent toutefois que le miscanthus a pour ainsi dire pris la place des quenouilles dans les fossés en bordure des autoroutes partout dans la province.
Cela dit, le bon côté de la culture du miscanthus est qu’il est peu énergivore, et qu’il produit une fibre qui peut être facilement transformée en papier.
Deux projets envisagés
À la fin de son projet, Cascades n’a conservé que deux projets. Le premier consiste justement à récupérer les résidus de plantes comme le miscanthus, mais aussi des résidus agricoles, comme les tiges des plantes qui deviennent inutiles après la récolte de fruits ou de légumes. Tout ça peut être recyclé dans la production des fibres permettant de produire du papier. «Ça vaudrait pour tous les plants de maïs qui poussent au Québec», illustre M. Blanchet. On pourrait aussi récupérer certains déchets domestiques.
Un autre matériau envisagé se trouve dans les cartons de lait, par exemple, où le papier-carton est ciré. Il peut être aisément traité pour en retirer la fibre qui sera ensuite recyclée afin de produire du papier ou des emballages.
Tout ceci peut sembler pointu, mais comme bien d’autres industries, le secteur des pâtes et papiers est en pleine réinvention, ces jours-ci. L’actualité des dernières semaines risque de ralentir le virage, mais ne l’arrêtera pas. Si ça se trouve, il pourrait même l’accélérer.
«C’est le temps de réinventer les produits en papier», assure le dirigeant de Cascades. «C’est une industrie qui existe à peu près inchangée depuis une centaine d’années. Ce maillage avec des start-ups nous a apporté une culture d’agilité dans un contexte de grande entreprise. Les petites entreprises, elles, ont eu accès à un gros client et à un coup de pouce qui accélère leur croissance.»
À la fin du projet, Cascades a finalement réduit à deux les partenaires avec lesquels elle compte continuer son développement. La fibre alternative qui remplacera les matériaux recyclés dans ses opérations demandera du temps avant d’être massivement introduite dans sa production, mais au moins, l’entreprise a des pistes concrètes à étudier.
Innovation ouverte 101
L’innovation ouverte peut sonner comme un autre de ces mots-valises populaires auprès des directions d’entreprises qui veulent se donner un air branché. Bien des projets ont certainement échoué par manque de volonté de réellement aller jusqu’au bout d’un tel programme.
Chez Cascades, on admet que ça n’a pas été de tout repos, mais l’expérience semble positive. En tout cas, on a retenu quelques détails importants pour améliorer les chances d’en sortir gagnant. «Il faut se concentrer sur un enjeu précis», dit Carl Blanchet. «On peut savoir rapidement si ça fonctionne bien ensemble. Si ce n’est pas le cas, on peut rapidement passer à autre chose.»
Aussi, il faut que les gestionnaires, habitués au rythme de décisions longuement mûries par des directions composées de nombreux dirigeants, se rappellent que les jeunes entreprises rêvent plutôt de changer les choses rapidement. La clé est de concilier ces deux extrêmes.
«Ça prend une bonne ouverture d’esprit. La start-up n’est jamais prête comme on le voudrait. Il ne faut pas avoir tendance à rejeter les idées qui ne sont pas tout à fait prêtes, légalement, techniquement, ou autre. Le rôle de l’entreprise est d’aider les plus petits à améliorer leur façon de faire.»
D’ailleurs, Cascades est encore en mode exploratoire avec les deux nouveaux partenaires qu’elle a trouvés dans son programme d’innovation. À la différence que désormais, ces deux-là sont des partenaires d’affaires avec lesquels le fabricant pourrait éventuellement signer des ententes sérieuses.
Carl Blanchet remarque d’ailleurs que Cascades a préféré devenir partenaire avec les deux entreprises, plutôt que de devenir propriétaire de leur technologie. Ça peut être tentant, vu les tailles relatives des trois sociétés, mais c’est aussi un moyen d’assurer la croissance et la rentabilité de nouveaux entrants dans le secteur que de leur laisser la chance de trouver d’autres clients également.
«La collaboration n’est pas encore finale, mais on finira par être leur client, ou un partenaire d’affaires. Toutes les possibilités sont sur la table», conclut M. Blanchet, qui indique qu’un second projet d’innovation ouverte sera lancé dans les prochaines semaines.
Dans ce second cas, l’enjeu sera probablement plus opérationnel, lié aux processus d’affaires. Mais cette deuxième tentative semble prouver le succès d’un projet d’innovation ouverte réussi.
Et probablement que cette fois, on ne trouvera pas la solution au problème en bordure d’autoroute…
La réponse finale à un éternel dilemme
Cascades produit du papier de toilette et du papier essuie-mains. Le fabricant est bien placé pour profiter de la demande accrue des dernières semaines, provoquée par une réaction des consommateurs à l’émergence du coronavirus, ainsi que par les mesures sanitaires mises de l’avant, incluant un lavage des mains plus soigneux, dont le séchage avec du papier est encouragé.
L’entreprise ne surfe pas sur ce fâcheux événement pour vanter ses produits, mais livre la réponse à une question qui turlupine les médias sociaux depuis des années: dans quel sens doit-on installer le rouleau de papier? Le bout vers le haut ou vers le bas?
Carl Blanchet a une réponse toute simple pour clore le débat: «La coupure doit aller vers le haut. Ça permet d’utiliser une feuille de moins.»
Voilà.