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CHSLD: vouloir faire, c’est bien. Faire vouloir c’est mieux

Robert Dutton|Édition de la mi‑juin 2020

CHRONIQUE. La pandémie de COVID-19 a révélé le gouffre qui sépare la vision des dirigeants politiques de la réalité...

CHRONIQUE. La pandémie de COVID-19 a révélé le gouffre qui sépare la vision des dirigeants politiques de la réalité du terrain des CHSLD : information tardive et de mauvaise qualité en provenance du réseau, directives ministérielles non suivies, etc. Il n’est pas besoin d’une commission publique d’enquête pour comprendre que le réseau des CHSLD souffre non seulement d’un manque criant de personnel et de ressources, mais aussi d’un sérieux déficit de gestion. D’ailleurs, à la lecture du rapport de l’armée canadienne sur son intervention dans 25 CHSLD de la région montréalaise, on comprend que sa valeur ajoutée a été autant dans l’organisation du travail que dans la fourniture des « bras » réclamés par le premier ministre. La crise n’a pas créé ce déficit de gestion : elle l’a brutalement éclairé.

Je sais. Pour chaque histoire de négligence, voire de maltraitance survenue en CHSLD, il y a plusieurs histoires soulignant l’admirable dévouement de préposées aux bénéficiaires. Mais ceci ne compense pas cela. C’est justement un symptôme du problème : le service en CHSLD devrait échapper à l’anecdote, pour être d’une qualité prévisible, élevée et relativement uniforme partout au Québec. Si on y parvient avec le réseau qui nous vend de l’alcool, a fortiori on devrait y parvenir avec le réseau qui prend soin de nos citoyens vulnérables. Les citoyens y ont droit, les employés des CHSLD le méritent.

Le réseau des CHSLD peut se concevoir comme une entreprise de service à succursales. Le caractère distinctif d’une telle entreprise, c’est que la qualité du « produit » n’est jamais acquise ; cette qualité repose généralement sur les employés les moins qualifiés et les moins rémunérés de l’organisation. En l’occurrence, les préposées aux bénéficiaires. C’est le défi quotidien du dirigeant de faire en sorte que, dans ce contexte, son engagement de qualité devienne la réalité sur le terrain. Certaines entreprises y parviennent. Beaucoup d’autres, non.

Ce que le dirigeant veut faire, il doit le « faire vouloir » par l’organisation, au premier chef par les employés de première ligne. Il faut donc choisir ceux-ci avec soin, même pour les postes qui demandent peu de qualifications formelles. Il faut les former, les acculturer aux valeurs de l’organisation, les motiver, les informer. Quant aux dirigeants, ils doivent connaître, comprendre et épouser les valeurs et la culture de l’organisation ; et connaître, en temps réel, l’état des lieux en matière de qualité de service.

C’est difficile. C’est un chantier jamais terminé. Chaque entreprise doit trouver ses propres solutions, mais celles-ci comportent généralement trois composantes : une structure adaptée, des systèmes d’information performants et une culture d’organisation forte, centrée sur le client, qui valorise la qualité du service.

1. Une structure adaptée

La crise a révélé combien les CHSLD étaient dans l’angle mort de notre système de santé. On a dit que c’était lié à sa culture hospitalo-centrée, mais c’est aussi un problème de structure : ceux qui se préoccupent des CHSLD ne décident pas ; et à l’échelle du réseau, ceux qui décident ne s’en préoccupent manifestement pas. Je ne sais pas s’il faut chambouler à nouveau tout le réseau de la santé, mais des changements structurels s’imposent pour que les CHSLD deviennent la préoccupation dominante de personnes capables de décider à l’échelle du réseau.

2. Des systèmes d’information performants

La crise a mis en lumière la vétusté et l’archaïsme des systèmes d’information utilisés dans le réseau des CHSLD. Le problème dépasse de beaucoup la compilation et la transmission du nombre de décès dus à la COVID-19 : on ne peut pas gérer à l’aveugle. On doit mesurer ce qui est mesurable. Et évaluer ce qui ne l’est pas. Dans un service aussi relationnel que le soin d’une personne vulnérable, « ce qui compte ne peut pas toujours être compté », pour citer Einstein. Mais ce qui compte peut être évalué. À condition, toutefois, de l’observer. Depuis 2004 (seulement !), quelques fonctionnaires du ministère de la Santé et des Services sociaux effectuent des « visites d’évaluation » dans les établissements. Selon les observateurs du milieu, ces visites sont trop peu fréquentes, interdisent les entrevues impromptues avec le personnel et seraient même complaisantes dans leurs diagnostics. Pour savoir vraiment ce qui se passe, il faut une présence sur le terrain. Dans le secteur privé, et même dans le secteur public, des entreprises de service évaluent ce qui ne se mesure pas : des détaillants envoient des clients mystères dans leurs magasins, effectuent des enquêtes de satisfaction auprès des clients réels ; des entreprises enregistrent les conversations de leurs agents téléphoniques pour exercer un contrôle de qualité. Il est difficilement concevable que l’évaluation des CHSLD ne soit pas continue et ne comporte pas systématiquement de visites inopinées ni d’enquêtes auprès des usagers et de leurs proches. Pas pour punir : pour savoir, pour former, pour améliorer.

3. Une culture forte, centrée sur le patient et la qualité du service

La culture est un puissant outil de gestion. Elle ne se subit pas : elle doit se décider, se vouloir et se gérer. Pour cela, il faut d’abord la définir. Quelles sont les valeurs qui promeuvent la prestation de services de qualité ? Il faut façonner cette culture dès la sélection d’employés. L’entretien d’embauche doit vérifier l’adéquation des valeurs des candidats, peu importe le rang hiérarchique du poste. La culture s’entretient, par son intégration à toutes les actions de formation continue, par une communication soutenue qui valorise les comportements et attitudes attendus et, surtout, par l’adoption par la hiérarchie d’un comportement et d’attitudes conformes aux valeurs recherchées. La compassion, le care doivent être au cœur de tous les emplois, même administratifs. La qualité doit devenir l’obsession de toutes et tous, depuis la première dirigeante jusqu’au gestionnaire de premier niveau. Trop souvent d’ailleurs, on ignore le rôle crucial de ces gestionnaires qui doivent, plus que quiconque, incarner tous les jours la culture et les valeurs de l’entreprise. Elles sont les premières gardiennes de la qualité.

En CHSLD comme ailleurs, la qualité ne peut reposer sur le seul dévouement des « anges gardiens ». Elle est le produit d’une gestion rigoureuse : une structure efficace, des systèmes d’information performants et une culture forte, centrée sur le bien-être du client.

Pas dans certains CHSLD. Dans tous.