Eliezer Sherbatov. (Photo: Sergey Seryodkin)
BLOGUE INVITÉ. C’est pendant les cinq secondes, qui lui ont paru les plus longues de sa vie, que s’est manifesté le destin du joueur de hockey québécois Eliezer Sherbatov qui a dû quitter précipitamment Kyiv lorsque l’invasion russe s’est enclenchée. Cinq secondes pour décider s’il allait, oui ou non, embarquer dans le seul train qui pourrait le mener vers la Pologne, d’où il pourrait regagner le Canada. Un train dont personne ne pouvait savoir s’il allait devenir celui de la liberté ou de la mort.
La journée s’annonçait pourtant normale pour l’athlète professionnel avant que tout bascule vers un plan d’urgence improvisé au beau milieu d’une gare. Devant l’inconnu et l’imprévisible, il devait choisir entre partir ou rester. « Si Dieu le veut, le train va venir, même s’il est en retard, même s’il est mitraillé… », avait lancé son père au bout du fil après un soupir rempli d’émotion. Voyant certains de ses coéquipiers rebrousser chemin, le jeune père de famille a tout de même décidé de monter dans le train qu’il hésitait à prendre. Abasourdi et ébranlé, il s’est mis à trembler dans son siège lorsque toutes les lumières des wagons se sont éteintes afin d’éviter que le train ne soit repéré. Plongé dans l’obscurité, l’inimaginable, qu’on ne croit possible que dans les films, était en train de se matérialiser.
Puis, à un moment donné, il a senti que les étoiles semblaient commencer à s’aligner. Arrivé sain et sauf à la première étape de la destination, il a poursuivi sa route en prenant en charge, tel un bon capitaine de hockey, des gens qui, tout comme lui, avaient fui la guerre. Tous sont finalement arrivés à bon port… Dieu merci!
Chance ou destin?
Parfois, il arrive un paquet d’affaires bizarres qu’on n’est pas capable d’expliquer. Ce matin-là, pour une raison qu’il ignore totalement, Eliezer Sherbatov avait quitté son appartement en apportant son passeport, chose qu’il ne faisait jamais. Sans cette pièce certifiant son identité et sa nationalité, jamais il n’aurait pu embarquer dans le train pour tenter de revenir au Canada. C’est à se demander si c’était juste un coup de chance ou le destin.
Chose certaine, ce jour-là, Eliezer Sherbatov n’a pas pris ce train juste pour fuir le danger. De toute façon, rester ou partir lui offrait la même chance sur deux de risquer sa vie. Il a pris la décision qui pourrait le ramener potentiellement vers l’essentiel de sa vie, c’est-à-dire sa famille.
On prend toujours un train pour quelque part…
En affaires, est-ce que ça existe le destin? Certains disent que oui, d’autres pensent que non. Mais nos vies demeurent tout de même définies par nos décisions… celles qu’on prend et même celles qu’on ne prend pas.
Même si on n’est pas vraiment appelé à risquer notre vie comme Eliezer Sherbatov, on devrait toujours tenter d’aller de l’avant en ne s’éloignant jamais de l’essentiel. Même en temps de crise. Même devant l’inconnu. Même devant l’imprévisible.
La vie c’est ça. Un train s’en va, un autre s’en vient. Et peu importe notre plan de carrière ou d’affaires, l’essentiel, c’est d’être heureux en se réveillant le matin. C’est de sentir qu’on est à la bonne place. Un jour, les derniers jours viendront. Il n’y a pas une seconde à perdre.
Et c’est exactement les propos que le célèbre et regretté joueur de hockey Guy Lafleur a tenus peu avant de prendre son dernier wagon: « Vivre, c’est un privilège qu’on a, c’est quelque chose qu’on doit vraiment savourer à chaque moment… ».