Les architectes peuvent contacter les organisations pendant le processus d’appel d’offre pour demander des clarification, mais cette démarche n’est pas sans risque. (Photo: 123RF)
ARCHITECTURE. Comment expliquer les écarts de 30 % à 50 % qui surviennent régulièrement entre les prix que soumettent les différentes firmes d’architectes participant aux appels d’offres publics, notamment ceux des municipalités ?
«Ces écarts relèvent généralement d’une mauvaise expression des besoins architecturaux de la part du client, ce qui se traduit par une mauvaise compréhension du projet de la part des firmes d’architectes», affirme Lyne Parent, directrice générale de l’Association des architectes en pratique privée du Québec (AAPPQ). Une situation qui est principalement attribuable au manque d’expertise en architecture au sein des organisations qui développent le contenu des appels d’offres, soutient-elle.
«Ces mauvaises expressions des besoins impliquent par conséquent de mauvaises évaluations de budget et d’échéancier, ainsi que des défis de négociations entre les deux parties une fois que l’appel d’offres est octroyé», poursuit-elle en soulignant que mieux aider les municipalités à ficeler leurs mandats architecturaux «était pourtant une recommandation de la commiss ion Charbonneau».
Des discussions sont d’ailleurs en cours au sein du ministère des Affaires municipales et de l’Habitation pour mettre en place un pôle d’experts en architecture capable d’aiguillonner les villes et autres entités publiques à mieux ficeler leurs appels d’offres, et ainsi éviter les mauvaises surprises. «Un pôle – que nous souhaitons indépendant – qui aidera les gestionnaires, peu habitués à ce type de projets, à mieux évaluer et définir leurs besoins», ajoute Mme Parent.
Apprendre à composer avec les écarts
En attendant la création de ce pôle d’expertise, plusieurs firmes d’architectes de la province doivent composer avec cette réalité. C’est notamment le cas de STGM Architectes, à Québec. «Il arrive fréquemment de constater dès la première rencontre que le budget du projet que nous venons de remporter ne correspond pas aux attentes du client en matière de besoins. C’est ce qu’on appelle dans notre jargon des « mandats mous ». S’ensuivent alors des discussions complexes pour définir ou préciser le projet», signale l’architecte Jean-Yves Montminy, associé chez STGM. Les mandats publics, poursuit-il, sont généralement des dossiers qui exigent au minimum de trois à quatre semaines de travail. Ce qui représente entre 5 000 $ et 10 000 $ d’investissement par proposition, estime l’architecte. STGM, qui compte plusieurs centaines de projets publics dans son portfolio, emploie l’équivalent de cinq personnes à temps plein afin de répondre aux divers appels d’offres qui l’intéressent. Plusieurs de ces appels proviennent des municipalités et demandent aux architectes de soumissionner en proposant un prix forfaitaire pour l’ensemble des services demandés, précise M. Montminy.
«L’expérience nous montre que les projets visés par plusieurs de ces appels d’offres n’ont pas fait l’objet d’études préparatoires détaillées et d’analyses sur leurs modes de réalisation. Par analogie, c’est comme si ces clients pensent avoir les moyens de s’acheter une Mercedes-Benz neuve… avec un budget de 25 000 $ en poche.»
Au gestionnaire de faire ses devoirs
Même discours à la firme Héloïse Thibodeau Architecte, à Montréal, qui a réalisé plusieurs centaines de projets publics. «Ces situations ambiguës relèvent souvent du gestionnaire de la municipalité, qui a mal exprimé les réels besoins architecturaux du projet», constate son directeur des opérations, l’architecte Philippe Cazanave. Il souligne qu’il est arrivé que sa firme contacte une organisation durant le processus de soumission, pour la questionner et soulever certains doutes sur les modes de réalisation et les échéanciers.
«Malheureusement, ces appels comportent leurs lots de risques. Certes, nos conseils peuvent nous aider à obtenir le contrat, mais ils peuvent aussi servir nos concurrents ou encore nous mettre à dos le gestionnaire, que nous confrontons à ses mauvaises évaluations», concède M. Cazanave.
L’Ordre des architectes du Québec (OAQ), dont le mandat est de protéger le public, est conscient de cette situation frustrante que vivent à la fois les architectes et les clients qui ont des comptes à rendre à la population. «Nous demandons à nos membres de proposer un prix en toute bonne foi [à la suite de la lecture des projets]. Nous demandons également aux clients de clarifier leurs commandes», indique Nathalie Dion, présidente de l’OAQ.
Au printemps 2018, l’Ordre a d’ailleurs publié un livre blanc qui réclame auprès du gouvernement l’adoption d’une politique nationale de l’architecture. Celui-ci recommande entre autres la création d’un groupe de travail chargé de définir la qualité architecturale à laquelle la province doit aspirer et l’instauration de mécanismes d’accompagnement destinés aux municipalités désireuses d’améliorer la qualité architecturale sur leur territoire. Peu après, Québec lançait les travaux d’élaboration d’une Stratégie québécoise de l’architecture, qui devraient se clore cet automne.