CN et CP, la douce revanche de la «vieille économie»?
Dominique Beauchamp|Édition de la mi‑novembre 2022(Photo: 123RF)
Des revenus en hausse de 19 % pour Canadien Pacifique (CP, 101,17 $) et un bénéfice en hausse de 40 % pour Canadien National (CNR, 160,73 $) au troisième trimestre. Il y a de quoi faire rougir d’envie certaines vedettes fanées de la technologie.
Assistons-nous à la douce revanche des titres de la vieille économie comme ce fut le cas lors des années qui avaient succédé à l’implosion de la bulle techno de 2000 à 2002 ?
Ce n’est pas si simple. Si plusieurs sociétés technologiques s’adaptent difficilement à un régime économique plus lent après le boom pandémique qui a devancé la demande pour plusieurs de leurs services et produits, les chemins de fer profitent actuellement de facteurs favorables qui pourraient ne pas durer.
Non seulement les chemins de fer peuvent relever leurs tarifs en fonction de l’inflation, ils peuvent aussi imposer des surcharges de carburant aux clients lorsque son cours augmente.
Ce pouvoir d’imposer les prix est d’ailleurs l’un des attributs de l’industrie qui plaît le plus aux financiers à long terme, en plus des avantages concurrentiels durables de leur vaste réseau, dans un secteur essentiel.
De plus, lorsque la demande faiblit pour un segment de produits ou l’autre, tels que les biens de consommation, les wagons transportent plus de céréales, d’engrais et de charbon, par exemple.
De plus, cette année, les chemins de fer bénéficient de la dépréciation du huard qui gonfle la valeur des revenus réalisés en dollars américains, une fois convertis en dollars canadiens.
Tous ces facteurs se transmettent aux résultats des transporteurs où ça compte, soit les produits marchandises par tonne-mille commerciale, qui mesurent le contenu en tonnes des wagons remplis par la distance parcourue en milles. Cet indicateur de «rendement»interne qui inclut la surcharge de carburant a bondi de 22 % pour Canadien National et de 13 % pour Canadien Pacifique au troisième trimestre.
Deux gros bémols
Personne ne remet en cause la capacité éprouvée des chemins de fer de croître de façon rentable et de procurer un bon rendement à long terme, mais leurs titres se butent à un double passage à niveau:une évaluation élevée à l’aube d’une récession probable.
En récession, les volumes, les tarifs et les revenus de l’industrie baissent, bien que les deux chemins de fer canadiens résistent mieux que leurs rivaux américains parce qu’ils transportent plus de matières premières, indique Guillaume Arseneau, de Canaccord Genuity.
Le stratège quantitatif adjoint rappelle que les revenus de CN et de CP ont reculé de 5 % à 10 % lors des récessions canadiennes de 2015-2016, de 2008-2009 et de 2000.
«Or, le consensus mise encore sur une hausse de 29 % des revenus pour CP et de 6 % pour CN en 2023», précise-t-il. Les forts multiples auxquels s’échangent les deux titres deviennent un facteur de risque non négligeable pour leur performance en Bourse l’an prochain. Leurs actions s’échangent à 21 fois les bénéfices prévus dans 12 mois, par rapport à 11,6 fois pour l’indice S&P/TSX de la Bourse de Toronto.
Martin Roberge, stratège quantitatif de Canaccord Genuity, a d’ailleurs profité de l’appréciation des chemins de fer en octobre pour rétrograder le secteur dans sa répartition d’actifs.
Kansas City Southern dans la mire
Certains analystes tiennent compte des forts multiples d’évaluation dans leur recommandation. «CP est le chemin de fer à détenir pour la prochaine décennie, étant donné les synergies à tirer de l’achat de Kansas City Southern et son taux de croissance plus élevé que l’industrie, mais nous attendons une meilleure zone d’achat», note Benjamin Nolan, analyste à Stifel GMP.
«Nous sommes toujours d’aussi fervents admirateurs de CP et de son organisation de première de classe, mais nous sommes neutres envers le titre, qui s’échange à forte prime par rapport au marché boursier et à ses rivaux», écrit pour sa part Steve Hansen, de Raymond James.