Le Parlement canadien à Ottawa. (Photo: 123RF)
Le chiffre du jour : 612 millions de dollars. C’est ce que coûtera au Trésor public cette élection, selon des chiffres d’Élections Canada. Un montant record de 100 M$ plus élevé qu’au scrutin de 2019, notamment parce que le gouvernement Trudeau a choisi de plonger le pays en élections alors que la pandémie de COVID-19 n’est pas encore complètement derrière nous.
Ça fait beaucoup de fonds publics qui ne serviront pas à la relance économique, à l’amélioration des services publics ou au maintien d’infrastructures de qualité.
Pour vous donner une petite idée, avec une telle somme, le gouvernement fédéral pourrait financer la construction de 470 centres de la petite enfance (CPE) de 60 places chacun ou la création de plus de 8 100 logements sociaux.
Dimanche, Justin Trudeau a justifié sa décision en disant que le pays avait besoin d’avoir une « discussion sur les suites à donner à la pandémie ».
Mais comme je l’affirmais récemment dans ce blogue, c’est probablement beaucoup plus parce qu’il entrevoit la possibilité d’aller chercher les 15 sièges qui lui manquent pour former une majorité que le chef libéral a demandé à la gouverneure générale de dissoudre le Parlement.
S’il avait vraiment envie d’entendre les Canadiens, le premier ministre aurait pu simplement organiser une énième consultation publique virtuelle à l’échelle du pays. Pas besoin de dépenser plus d’un demi-milliard de dollars dans des élections pour ça.
Surtout pas au moment où le spectre d’une quatrième vague plane sur le Canada.
Un gouvernement dépensier
Ces 612 M$ iront alourdir un peu plus la dette publique fédérale, s’additionnant aux 154,7 milliards de dollars (G$) de déficit déjà prévus au budget 2021-2022.
Depuis son arrivée au pouvoir en 2015, c’est plus de 400 G$ que le gouvernement Trudeau a ainsi porté à la « carte de crédit » des Canadiens et des générations futures.
Sous les libéraux, la dette publique a explosé, franchissant cette année la barre symbolique des 1000 milliards de dollars pour la toute première fois.
Ça représente près de 30 000 $ par personne. Et ce chiffre ne fera que grossir puisque le dernier budget Freeland ne prévoit aucun retour à l’équilibre budgétaire à court ou moyen terme.
Certes, le Canada a dû faire face à une crise sans précédent depuis l’an dernier.
Les investissements massifs des 18 derniers mois ont largement contribué à maintenir l’économie sous respirateur artificiel, le temps de traverser cette pandémie.
Mais force est de constater que la COVID-19 a eu le dos large, offrant au gouvernement minoritaire libéral une occasion de justifier la mise en place de coûteux programmes sociaux et, du même souffle, de remplir certains de ses engagements phares des dernières années.
Pensons entre autres aux 30G$ prévus sur cinq ans pour la création d’un réseau pancanadien de services de garde éducatifs à l’enfance inspiré du modèle québécois, une promesse électorale de Justin Trudeau en 2019.
D’ailleurs, dans son plus récent rapport publié à la fin juillet, le Directeur parlementaire du budget (DPB) estimait qu’avec les nouveaux programmes permanents mis en place sous le gouvernement Trudeau, Ottawa pourrait rester dans le rouge jusqu’en… 2070 si rien n’était fait pour corriger la situation fiscale.
Est-ce vraiment l’héritage que nous souhaitons léguer à nos enfants?
C’est peut-être là la question qu’il faudra véritablement se poser devant l’urne.
Le piège de la dette
Contrairement aux entreprises, un gouvernement ne peut pas fermer parce qu’il fait faillite. Ça ne veut toutefois pas dire qu’on peut dépenser sans compter indéfiniment. Si rien n’est fait, une explosion de la dette publique fédérale peut avoir des conséquences graves sur notre capacité d’emprunt et d’investissement à long terme.
Ce n’est pas sans rappeler le scénario qui s’est produit au milieu des années 1990 sous Jean Chrétien.
Après des décennies de déficits chroniques, la dette publique avait atteint un niveau jamais vu auparavant, son poids correspondant à plus de 67% du PIB du Canada.
Le service de la dette représentait à lui seul la plus importante dépense gouvernementale, soit plus d’un cinquième (22%) du budget total de l’État.
Le ministre des Finances de l’époque, Paul Martin, avait alors dû mettre en place des mesures d’austérité pour remettre les finances publiques à flot.
Lorsqu’il a quitté le pouvoir en 2006, Martin avait non seulement réussi à dégager des surplus suffisants pour rembourser des milliards de dettes, il était aussi parvenu à faire passer le Canada du rang de cancre à celui de premier de classe parmi les pays du G7 en matière de gestion des finances publiques.
Une situation qui a donné les coudées franches au pays lorsqu’est survenue la récession de 2008-2009 au Canada
Le gouvernement Harper avait ainsi toute la marge de manœuvre nécessaire pour intervenir et aider notre économie à passer au travers de cette crise sans trop de heurts comparativement à nos voisins du sud.
Comme quoi, économiser en prévision de périodes plus difficiles peut s’avérer payant.
La vice-première ministre et ministre des Finances, Chrystia Freeland (Photo: Getty Images)
Gare à la hausse des taux d’intérêt
Lors des élections de 2015, Justin Trudeau s’était engagé à réaliser des déficits « modestes » d’un maximum de 10 G$ par an, alléguant que l’important était de maintenir un ratio dette/PIB stable.
Or, depuis qu’il est aux commandes, ce ratio est passé de 32% à plus de 50% aujourd’hui.
Il faut dire que la frénésie de dépenses avait débuté bien avant la pandémie, avec des déficits totalisant 87 G$ de 2016 à 2019.
Pour la modestie, on repassera.
À l’heure actuelle, cela ne pose pas trop problème puisque les taux d’intérêt sont encore relativement bas.
Mais un jour ou l’autre, ils finiront par remonter et le problème nous rattrapera. La facture s’annonce déjà salée.
Selon des projections du ministère des Finances publiées l’automne dernier, la dette fédérale pourrait coûter jusqu’à 70% plus cher d’ici cinq ans, représentant un fardeau titanesque de plus de 34 G$ par année.
À l’évidence, le budget ne s’équilibrera pas par lui-même.
La simple croissance de l’économie ne suffira jamais à nous permettre de remonter la pente. Pour y parvenir, ça prendra d’abord une bonne dose de volonté politique. Et jusqu’ici, la rigueur budgétaire ne semble faire partie de l’ADN de ce gouvernement.
Des choix difficiles à prévoir
Le sujet n’est peut-être pas toujours des plus attrayants en campagne électorale. C’est beaucoup plus tentant de voter pour les leaders qui nous font rêver que pour ceux qui nous disent qu’ils vont être raisonnables.
Mais tôt ou tard, qu’on le veuille ou non, il faudra passer à la caisse. Et comme pour notre carte de crédit personnelle, plus on attend longtemps, plus on devra payer d’intérêt.
Qu’il décide de sabrer dans les dépenses ou d’augmenter les taxes et impôts, le prochain gouvernement fédéral aura assurément des choix déchirants à faire durant le mandat à venir.
On ne pourra pas éternellement pelleter la dette par en avant et reporter ces questions à demain.
D’ici les cinq prochaines semaines, l’un des plus grands défis qu’aura à relever le chef conservateur Erin O’Toole sera donc de positionner l’enjeu de la saine gestion des finances publiques dans cette campagne.
Réussira-t-il à s’imposer comme le champion de la responsabilité fiscale face à un Justin Trudeau au bilan pour le moins dépensier?
On aura la réponse le 20 septembre.
Si les libéraux décrochent les 170 sièges dont ils ont besoin à la Chambre des communes au terme de cette élection, d’aucuns seront peut-être tentés de les accuser de s’être offert une majorité aux frais de l’État.
Chose certaine, on risque encore de payer collectivement les intérêts sur cette élection dans cinquante ans. Comme contribuables, cela devrait nous préoccuper davantage.
Pour citer l’ancienne première ministre britannique Margaret Thatcher: « There is no such thing as public money, there is only taxpayers’ money. »