Dans la nouvelle loi, l’obligation d’équité en matière de traitement de régime de retraite et de taux de salaire pour l’ensemble des employés, peu importe la date d’embauche et le statut d’emploi, soulève des appréhensions. [Photo: 123RF]
NORMES DU TRAVAIL. Faut-il se réjouir ou s’inquiéter des nouvelles mesures de la Loi sur les normes du travail ? Une chose est sûre, ces changements, qui touchent l’équilibre travail-famille, le harcèlement psychologique, l’équité et la réglementation des agences et des travailleurs occasionnels, auront inévitablement un coût.
Au moment de déposer le projet de loi 176, en juin dernier, le gouvernement estimait déjà que la facture de ces nouvelles mesures représenterait quelque 600 millions de dollars par année pour les employeurs de la province. «Un coût qui nous apparaît sous-estimé en raison des risques de conflits que ces changements vont entraîner», soutient Yves-Thomas Dorval, PDG du Conseil du patronat du Québec.
Révision des conventions collectives en vue
À ce propos, ça commence déjà à bouger dans les organisations syndiquées. «On peut s’attendre à des augmentations de griefs au sein des moyennes et grandes entreprises», soutient l’avocate Marie-Hélène Jetté, associée au cabinet Langlois Avocats. Plusieurs entreprises, poursuit-elle, doivent d’ailleurs revoir le contenu de leurs conventions collectives pour s’ajuster aux nouvelles normes.
Plusieurs ententes, dit-elle, incluaient déjà certains éléments de ces nouvelles mesures, notamment les deux journées de congé payées accordées pour des raisons familiales aux travailleurs qui comptent plus de trois mois de service. «Certaines conventions en prévoient déjà cinq, voire jusqu’à dix. Des syndicats ont toutefois laissé savoir qu’ils veulent profiter de ces changements pour bonifier les ententes déjà signées», ajoute cette experte en droit du travail. Elle dit d’ailleurs recevoir un bon lot d’appels de la part des employeurs soucieux à cet effet.
Certaines ententes ne respectent pas la nouvelle règle qui permet à l’employé de refuser de travailler si celui-ci n’est pas prévenu de son horaire dans un délai de cinq jours, soulève Éric Lallier, avocat senior spécialisé en droit de l’emploi et du travail au cabinet Norton Rose Fulbright. Ce qui suscite des incertitudes au sein des organisations.
Parmi les autres mesures qui tracassent les employeurs, notons l’ajout de la troisième semaine de vacances payées pour les employés comptant trois ans de service. L’obligation d’équité en matière de traitement de régime de retraite et de taux de salaire pour l’ensemble des employés, peu importe la date d’embauche et le statut d’emploi, soulève aussi des appréhensions. «Ce sont tous des avantages que l’on retrouve essentiellement qu’au Québec», fait remarquer le CPQ.
«Si les normes deviennent trop restrictives au Québec et que les risques financiers et administratifs qui sont externes à la mission de l’entreprise deviennent trop importants, il est clair que les décisions d’investissement des grands employeurs dans le futur avantageront d’autres juridictions», craint M. Dorval.
Un délai prolongé qui préoccupe
Toutes ces nouvelles mesures ne semblent pas tracasser l’avocat Yves Dulude, du cabinet Spiegel Sohmer. «Dans un contexte de pénurie de main-d’oeuvre, plusieurs PME ont déjà intégré la plupart de ces mesures à titre de facteurs d’attraction», soulève l’avocat qui travaille avec plus d’une centaine de PME de 10 à 100 employés.
En fait, le réel maillon faible de ces nouvelles mesures, dit-il, c’est le volet qui concerne le harcèlement psychologique et sexuel. «Déjà que le délai de 90 jours dont disposaient les employés pour porter plainte pouvait se révéler complexe en matière de quête de preuves et de témoins, le nouveau délai de deux ans causera des casse-têtes aux employeurs», soutient l’avocat.
M. Dulude craint – et il n’est pas le seul – que ce délai prolongé incite à une multiplication de plaintes. «Dès qu’une plainte va au-delà de la rencontre de médiation, elle représente aisément entre 5 000 $ et 15 000 $ de frais de justice pour l’employeur qui doit se défendre, et ce, que l’employeur soit dans le tort ou non», explique M. Dulude, qui traite déjà, depuis juin dernier, une dizaine de plaintes.
Étant donné que plusieurs entreprises craignent que ces plaintes ternissent leur réputation, enchaîne M. Dulude, les employeurs se verront forcés de négocier des ententes à l’amiable… que la plainte soit fondée ou non.