(Photo: 123RF)
EXPERT INVITÉ. En août prochain, COTE 100 offrira aux enfants de ses clients la possibilité d’assister à une séance de formation sur l’investissement. Je dois avouer qu’il est toujours complexe d’expliquer simplement le processus d’évaluation d’une société. Voici comment j’aime l’expliquer.
Une proposition alléchante
Léo est un jeune homme de 21 ans. Le jour de son anniversaire, il a acheté une lampe dans un bazar. En arrivant chez lui, il s’est empressé de la nettoyer et, à sa grande surprise, un génie s’est échappé de la lampe. Le génie n’avait pas de souhait à lui accorder, mais lui fit une proposition intéressante. Le génie lui dit : «Je suis prêt à t’offrir deux millions de dollars aujourd’hui, en échange de tous tes futurs chèques de paye.» Même si l’offre semblait alléchante, Léo était confus. Devrait-il accepter? Pour résoudre ce problème, il faut considérer deux éléments.
1. Son salaire annuel
La première étape consiste à estimer son salaire annuel. Combien gagnera-t-il d’argent chaque année? Voici un scénario hypothétique. Léo terminera ses études dans deux ans, donc ses revenus débuteront lorsqu’il aura 23 ans. Durant les premières années, son salaire pourrait augmenter rapidement, car il gagnera en expérience. Dans la trentaine et la quarantaine, il aura potentiellement quelques promotions, ce qui accélérera la croissance de ses revenus. Puis, dans la cinquantaine, son salaire pourrait se stabiliser et croître à un rythme suivant l’inflation. À 61 ans, il prendra sa retraite. Voici le parcours salarial selon ce scénario.
Sur la base de ce scénario, nous estimons que Léo gagnerait un salaire annuel de 215 000 $ dans 40 ans. Certains estimeront ce revenu annuel élevé, mais il est important de comprendre que 215 000 $ dans 40 ans n’auront pas la même valeur que 215 000 $ aujourd’hui. Ce qui nous amène à discuter du deuxième élément à considérer; le taux d’actualisation.
2. Le taux d’actualisation
Le taux d’actualisation est un taux d’intérêt que nous utiliserons pour ramener tous les chèques de paye en valeur équivalente d’aujourd’hui. Le tableau ci-dessous illustre deux situations.
Lorsque nous utilisons un taux d’actualisation de 2%, un salaire de 215 000 $ dans 40 ans équivaut à un salaire de 97 371 $ aujourd’hui. Pour faciliter la compréhension, disons que vous gagnez 50 000 $ aujourd’hui et que l’inflation est de 2%. Vous devrez donc gagner 51 000 $ l’an prochain pour obtenir un salaire annuel équivalent. En utilisant un taux de 5%, 215 000 $ dans 40 ans vaudraient beaucoup moins aujourd’hui. Seulement 30 540 $.
Le taux d’actualisation utilisé est important, car il entraîne d’importantes variations sur la valeur actuelle.
Calcul final
Le calcul final consiste simplement à actualiser tous les chèques de paye. Autrement dit, on ramène tous les chèques de paye en date d’aujourd’hui. Voici la valeur de chaque paye actualisée à un taux de 3%.
En additionnant toutes les années, nous obtenons un total de 2 421 494 $.
Facteurs à considérer
Comme nous le disions, le processus n’est pas compliqué. La complexité vient principalement des hypothèses que nous posons. Voici des exemples de situations qui pourraient chambouler nos résultats.
1. Léo ne termine pas ses études.
2. Il décide de retourner aux études à 30 ans et doit quitter son emploi.
3. L’entreprise pour laquelle il travaille ferme ses portes.
4. Léo décide de prendre sa retraite à 50 ans plutôt que 60 ans.
5. Léo ne réussit pas à décrocher de promotion.
6. Le taux d’actualisation utilisé est inapproprié.
Il existe une multitude de scénarios susceptibles d’améliorer ou de dégrader les résultats. Mais peu importe les scénarios, le processus d’évaluation demeure le même.
L’évaluation boursière
Enfin, transposons cet exemple à un titre boursier.
Pour y arriver, il suffit de remplacer les chèques de paye par les flux de trésorerie libres (FCF) générés par une société. Les FCF correspondent essentiellement aux liquidités qui restent après avoir exploité l’entreprise et investi dans ses immobilisations.
Imaginons que les chiffres cités plus haut ne représentent pas les chèques de paye de Léo, mais plutôt les FCF de la société Pizza inc. Selon nos hypothèses, nous pourrions conclure
que la valeur de Pizza inc. s’établit à 2 421 494 $. En Bourse, cette valeur équivaut à la capitalisation boursière.
Aux fins de simplification, j’ai intentionnellement omis les éléments qui peuvent altérer le processus d’évaluation tel que la valeur de certains actifs ou passifs.
Conclusion
Je vous invite à tenter d’estimer vos propres chèques de paye futurs. Si l’exercice vous semble difficile, vous trouverez que l’estimation des FCF d’une société est encore plus difficile. Voilà pourquoi il est préférable, à mon avis, de se concentrer sur les sociétés profitables, peu cycliques et dotées d’un modèle d’affaires simple.
Le niveau de complexité et d’incertitude augmente passablement lorsqu’on tente d’estimer les FCF de sociétés non rentables, cycliques ou en forte croissance. Par conséquent, le risque d’obtenir une évaluation erronée augmente aussi.
En restant à l’intérieur de son cercle de compétence, l’investisseur boursier peut plus facilement anticiper les risques et améliorer la précision de ses estimations.
En résumé, quand on achète un titre boursier, on achète généralement l’ensemble des flux de trésorerie libres futurs d’une société. Le processus est simple, mais les hypothèses et les subtilités sont nombreuses.