Photo: Pressmaster pour 123rf.com
EXPERT INVITÉ. Dans les 10 dernières années, j’ai eu le privilège de siéger à plus d’une dizaine de conseils d’administration et comités consultatifs.
Autant dans des start-ups et des entreprises en croissance telles que Loop Mission que dans des organisations comme Zù, l’incubateur-accélérateur fondé par Guy Laliberté, ou le conseil stratégique de l’ESG-UQAM. Pour moi, siéger à un conseil est un privilège. Il s’agit d’un espace extraordinaire pour réfléchir et aider les entrepreneurs à voir les choses différemment et éviter des pièges, mais dans certains cas, j’avoue avoir eu l’impression de totalement perdre mon temps et d’être au milieu d’un «boys club» où l’égo de chaque individu prenait une place prédominante.
Il y a quelques jours, je parlais de mon expérience de membre de conseil avec un ami entrepreneur et celui-ci me demanda simplement: «Dominic, c’est quoi être un bon membre de conseil selon toi?». Sur le coup, j’ai eu l’impression que j’avais besoin d’un peu de recul et j’ai simplement lancé: tu liras mon blogue la semaine prochaine. Alors : le voici!
Différentes perspectives
Lors d’une discussion avec un capital-risqueur membre de plusieurs conseils, je lui ai dit qu’un membre du conseil d’administration crée le plus grand niveau de valeur possible lorsqu’il devient un interlocuteur intelligent et respectueux du PDG en place. J’utilise ici le PDG comme image, car il reste la personne la plus importante avec qui traite le conseil, mais évidemment tout ce que je dis sur le PDG s’applique aux membres de l’équipe de direction.
Celui-ci m’a rapidement fait savoir que ce n’était pas du tout sa façon de voir les choses. Selon lui, le principal rôle du conseil d’administration était de protéger les intérêts des actionnaires en surveillant de près les actions du PDG. Étant moi-même fondateur, et lui principalement actionnaire, nous avions sans aucun doute des perspectives différentes.
C’est donc la perspective d’un «fondateur» et PDG, membre de conseil d’administration que je vous soumets ici.
L’importance de la confiance
Il y a quelque temps, j’ai siégé à un conseil où il avait une vive tension entre certains membres du conseil et le PDG en place. Évidemment, étant moi-même fondateur et ayant un conseil d’administration, je me suis rapidement mis dans la peau du PDG pour me rappeler à quel point cette tension allait à l’encontre de l’entreprise.
Tout d’abord, il est crucial d’être réaliste: le PDG est présent 24 heures sur 24, 7 jours sur 7, et contrôle généralement la majorité des flux d’informations vers le conseil d’administration. Les membres du conseil d’administration sont là à l’occasion et n’obtiennent que ce que le PDG souhaite qu’ils voient. Par conséquent, un des risques les plus importants s’il n’y a pas de confiance est que le PDG garde les membres du conseil d’administration dans l’ignorance en ne communiquant pas toutes les informations nécessaires. Cela vous rappelle peut-être différentes histoires: Enron, Lehman Brothers, Nortel, Wirecard, etc.
Le plus payant pour un conseil d’administration, c’est la collaboration entre tous. C’est là que les grandes choses se produisent. Par conséquent, si vous êtes membre d’un conseil, vous devez encourager le PDG à partager avec vous leurs questions et problèmes les plus importants. Comment le faire? Principalement en prodiguant des conseils intelligents et respectueux. Lorsque les PDG estiment que s’ils soulèvent un problème, ils recevront des conseils intelligents et respectueux, croyez-moi, ils se sentiront à l’aise de le faire – et ils le feront.
Au contraire, si ce n’est pas intelligent, les PDG se contenteront de passer à autre chose. En tant que PDG, nous avons un million de tâches à accomplir et souvent pas la patience de perdre notre temps à discuter de sujets avec des personnes qui ne peuvent pas apporter de valeur ajoutée.
Être un bon membre du conseil d’administration
Être un bon administrateur, c’est une foule de choses, mais la principale est de développer un dialogue intelligent et respectueux avec le PDG plutôt que de la confrontation. Voici quelques conseils pour ce faire:
1) Faites vos devoirs
Cela commence par faire suffisamment de devoirs pour avoir un point de vue intelligent et créer de la valeur. Vous ne pouvez pas prodiguer de conseils intelligents sans comprendre l’entreprise. Si vous n’êtes pas prêt à effectuer le travail nécessaire pour vraiment comprendre l’entreprise, n’envisagez même pas de rejoindre un conseil d’administration. L’une des meilleures façons de devenir intelligent dans l’entreprise est d’écouter avec une grande attention le PDG et son équipe de direction. En tant que fondateur, ma plus grande frustration fut d’arriver au conseil d’administration et de devoir répéter une foule d’éléments qui étaient déjà présents dans les lectures préparatoires. Oui, je comprends que vous êtes occupés, mais siéger à un conseil, c’est un engagement.
2) La curiosité (dis-moi en plus svp)
Si vous ne comprenez pas bien, utilisez les trois mots magiques : dites-m’en plus. Toute personne à qui vous demandez de «m’en dire plus» vous en dira plus et vous respectera pour avoir demandé de cette façon. C’est magique. Pas besoin d’être passif agressif ou de faire sentir à l’autre personne qu’il n’est pas clair. Le rôle d’un bon administrateur est de creuser plus loin que la première réponse. D’être certain de bien comprendre les tenants et aboutissant tout en reconnaissant ne pas être aux opérations quotidiennes de l’entreprise. L’un des bons moyens est aussi de simplement récapituler ce que vous avez entendu et demander «est-ce que j’ai bien compris?»
3) Poser des questions basées sur votre expérience
Abordez des questions qui s’appuient sur votre propre expérience tout en respectant celle du PDG. N’oubliez pas que votre expérience est pertinente, mais que le contexte peut aussi être très différent. Plutôt que de remettre en question directement le jugement du PDG, optez plutôt pour une approche du type: «dans mon expérience professionnelle, j’ai rencontré des difficultés similaires. Pensez-vous que cela puisse avoir un impact sur les objectifs?»
Répétez ces trois pratiques jusqu’à ce que le PDG perçoive que le dialogue avec le conseil d’administration est à la fois intelligent et respectueux grâce à une approche proactive des questions cruciales pour l’entreprise. Bien sûr, chaque échange ne sera pas nécessairement agréable, mais tant qu’il est perçu comme étant constructif et respectueux le PDG sera enclin à revenir vers vous pour discuter des questions importantes.
Un travail d’équipe
Ma perspective est évidemment teintée de mon rôle de fondateur et de PDG, mais je reste convaincu que la valeur ajoutée d’un conseil d’administration réside dans sa collaboration avec le PDG et l’équipe de direction. Dernièrement, je demandais à une amie hyperactive qui siège à de multiples conseils si elle trouvait qu’elle perdait parfois son temps. Sa réponse ne m’a pas surpris: lors de la réunion du conseil, oui, parfois. Cependant, tout le travail qu’on fait avec les PDG et les équipes en dehors des réunions, jamais. C’est aussi le sentiment qui m’habite, lorsqu’on développe une vraie complicité avec les équipes en place et qu’ils ont confiance en nos connaissances et notre expérience. La magie s’opère alors.
C’est pour cette raison que je suis de plus en plus exigeant lorsque j’accepte de siéger à un conseil. Je veux m’assurer que tous les intervenants ont le même objectif: le succès de l’entreprise et surtout un fort désir de collaborer, d’apprendre et d’évoluer.