Oui, demain peut nous sourire... (Photo: Kazuend/Unsplash)
BLOGUE. Des centaines de malades, des dizaines de morts, jour après jour. Des milliers et des milliers de personnes mises à pied, jugées « non essentielles ». Des millions de gens confinés à domicile, contraints et forcés de rester enfermés entre quatre murs, sans pouvoir voir autrui, sans pouvoir parler de vive voix avec quiconque, sans pouvoir toucher, câliner, un autre être humain. Comment garder l’espoir d’un meilleur demain?
Tous ces entrepreneurs qui ont dû mettre la clé sous la porte et glisser leurs rêves sous le paillasson. Tous ces commerçants et artisans qui ont dû arrêter de rendre service et d’en être récompensés par un sourire. Toutes ces connexions tranchées à vif, laissant chacun de nous environné de liens coupés, défaits, pitoyables, et donc de d’immenses désillusions.
Comment garder l’espoir d’un meilleur demain?
Oui, comment garder l’espoir d’un meilleur demain?
Je viens d’écouter le podcast de la discussion entre Krista Teppett, la PDG et fondatrice du projet On Being, et Teju Cole, un écrivain et photographe nigérian-américain dont j’admire l’oeuvre, en particulier son roman «Every Day Is for the Thief» et son essai «Known and Strange Things». Un podcast fascinant pour qui entend voir le monde autrement, à travers les prismes de la poésie, de la littérature, de la philosophie.
Au détour d’une de ses pensées, Teju Cole évoque un concept incroyable, celui du… qarrtsiluni. Oui, vous avez bien lu : le qarrtsiluni.
De quoi s’agit-il? Selon ses mots, ce terme inupiaq (l’une des quatre familles de langues inuites) évoque le geste de s’asseoir dans le noir avec d’autres personnes, en attendant qu’une belle image finisse par jaillir d’elle-même. C’est que d’après lui chaque lieu est doté de «continuités», c’est-à-dire de liens et de connexions invisibles qui, si l’on prend le temps de s’y attarder et de les ressentir, finissent par vibrer en nous comme autant de «chants magiques». Et la beauté du lieu – et par suite, de nous-mêmes – se dévoile alors à nous. En dépit du fait que nous étions pourtant dans la plus grande des noirceurs…
L’explorateur danois Knud Rasmussen rapporte dans son livre «The Eagles Gift» les mots de Madjuaq, un Inuit de l’île Diomède, en Alaska. Celui-ci lui a décrit une cérémonie qui se déroulait tous les automnes, destinée à honorer l’âme des baleines. La mission des chasseurs? Composer de nouveaux chants, assez beaux pour plaire aux baleines. Pour ce faire, ils s’installent au bord de l’eau, en pleine nuit, et… ils attendent. Oui, ils attendent en silence que l’inspiration leur vienne : «Les belles choses prennent forme dans leur esprit et s’élèvent comme des bulles depuis les profondeurs de l’océan, remontant vers l’air libre pour éclater», note l’explorateur.
Pour les Inuit, l’être humain n’est pas créateur, il est découvreur; il témoigne de ce qui advient. Pour voir jaillir le neuf, il se doit de faire preuve de patience, d’humilité, de bienveillance. Il doit savoir rester calme et accueillir l’inattendu, car il sait que de celui-ci découle l’inespéré. Il doit, donc, chérir l’espoir d’une étincelle, sachant que de celle-ci naît l’éclaircie.
En quoi le qarrtsiluni nous parle-t-il aujourd’hui? Ça me semble assez simple : vous comme moi, nous sommes seuls ensemble, nous vivons confinés, loin, très loin, les uns des autres, et pourtant plongés dans les mêmes affres de l’isolement et de l’exclusion. Il fait noir tout autour de chacun de nous et de nous tous.
Et si la solution était de trouver le moyen de nous réunir dans le noir et d’explorer ensemble le champ des possibles…
Et si la solution était de tirer tous ensemble du positif à partir du négatif…
Et si la solution était de faire désormais preuve de patience, d’humilité, de bienveillance dans chacun de nos faits et gestes quotidiens…
Suis-je utopique? Non, en aucune façon. La donne a changé du tout au tout. Il nous faut apprendre à vivre autrement durant encore une année, ou deux, le temps qu’un vaccin soit mis au point. À nous, par conséquent, d’en profiter pour expérimenter de nouvelles façons de travailler, de faire des affaires et même d’évoluer en société. Nous n’avons tout simplement pas le choix de nous adapter. D’user de notre intelligence, individuelle comme collective. De briller par nos coups de génie.
Dans l’édition de dimanche du Wall Street Journal, Kwame Anthony Appiah, chroniqueur et professeur de philosophie à l’Université de New York, a rédigé un texte qui va justement en ce sens. Y figure ce passage : «Il y a un proverbe dans la langue de mon père ghanéen qui dit: «Prae, se woyi baako a na ebu; wokabomu a emmu». Ça signifie, en gros, qu’une seule tige se casse, mais pas le faisceau. Ce qui évoque le fait que la flexibilité de l’un et la force du collectif sont tout aussi vitales l’une que l’autre. Pour guérir notre monde malade, il nous faudra, donc, non seulement des personnes ingénieuses, mais aussi ce que Martin Luther King, Jr. appelait «un incontournable réseau de mutualité». Une guérison durable se déroulera nécessairement sur les deux échelles.»
À chacun de nous, par conséquent, de faire oeuvre utile. À notre échelle. Pour nous-même comme pour nous tous.
Bref, vivement demain, un demain teinté de qarrtsiluni! Vivement nos idées neuves! Vivement notre nouvelle vie commune!
En passant, le philosophe romain Sénèque disait : «Personne ne se soucie de bien vivre, mais de vivre longtemps; alors que tous peuvent se donner le bonheur de bien vivre, et aucun, de vivre longtemps».
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