«Cessons de concentrer nos énergies sur le recyclage. La vraie magie survient aux étapes précédentes, lorsqu’on réutilise les biens, qu’on les remet à neuf et qu’on les reconditionne», dit Dominique Fularski, directrice des communications liées à la circularité, Ikea. (Photo: Courtoisie)
SPÉCIAL ENVIRONNEMENT. Agent de changement – D’ici 2030, Ikea n’achètera plus aucune matière première vierge. Elle s’approvisionnera uniquement de matériaux recyclés ou qui peuvent l’être à 100 %. Les Affaires a rencontré Dominique Fularski, directrice des communications liées à la circularité chez Ikea, pour discuter de ce défi.
Diane Bérard – Pourquoi Ikea revoit-elle sa chaîne d’approvisionnement ?
Dominique Fularski – Ikea vend 9 500 produits différents. Ils sont fabriqués à partir de ressources qui commencent à se tarir ou de moins en moins populaires, comme le bois, les textile et le plastique. Je ne sais pas jusqu’à quel point je peux changer. Cela poussera leurs prix vers le haut. Notre capacité à créer des produits et à les offrir à un coût raisonnable à nos clients sera affectée. Ikea doit réduire sa dépendance aux matières premières. Les produits que l’ont vend doivent devenir nos ressources. Nous devons nous constituer une banque de matériaux. C’est l’esprit de l’économie circulaire : vous réutilisez les matériaux, en visant la durée de vie la plus longue possible.
D. B. – Par quelles questions avez-vous amorcé votre réflexion ?
D.F. – D’où proviennent les matériaux que nous employons ? Comment sont-ils cultivés et récoltés ?
D. B. – Ces questions, vous ne les posez pas directement à vos fournisseurs…
D.F. – Ikea travaille avec des intermédiaires qui trouvent les ressources dont nous avons besoin et qui en font la traçabilité. Ces intermédiaires suivent les critères que nous leur avons communiqués. Ceux-ci sont établis conjointement par nos responsables de l’approvisionnement et nos responsables du design. Ils s’inspirent de la réglementation internationale et ils évoluent à mesure que nos connaissances et notre compréhension du développement durable se raffinent.
D. B. – Pour atteindre son objectif de 2030, Ikea devra probablement abandonner certains fournisseurs…
D.F. – En effet, c’est pourquoi nous échangeons avec des entreprises, des ONG et des individus qui développent de nouveaux matériaux qui pourront remplacer ceux que nous employons et qui ne correspondent plus à nos critères. Pour l’instant, 60 % de nos produits sont fabriqués à partir de matériaux recyclés.
D. B. – Votre objectif répond aux pressions environnementales, mais aussi aux tendances de consommation. La relation entre le consommateur et les objets évolue…
D.F. – La population urbaine augmente. Nous vivons dans des espaces plus petits. Forcément, nous possédons moins d’objets. On observe cinq tendances liées à notre relation aux objets. D’abord, la quête de valeur. Il est question de valeur financière – on veut en avoir pour notre argent – et de valeur émotive. Ensuite, l’accessibilité. On souhaite des objets abordables, ce qui explique l’attrait du seconde main. Vient le gaspillage, l’accumulation d’objets dérange. Que leur arrivera-t-il lorsqu’on s’en débarrassera ? Le côté pratique importe aussi. On veut bien consommer de façon plus responsable, mais sans se casser la tête. Finalement, on souhaite faire la bonne chose. Ce qui vient parfois en contradiction avec notre désir de simplicité.
D. B. – Employer des matériaux recyclés constitue la dernière étape d’une chaîne d’approvisionnement durable. Parlez-nous des trois autres : la réutilisation, la remise à neuf et le reconditionnement…
D.F. – Le recyclage représente la dernière étape. La vraie magie survient aux étapes précédentes, lorsqu’on réutilise les biens, qu’on les remet à neuf et qu’on les reconditionne. Réutiliser signifie allonger la durée de vie d’un produit en le réparant. Les entreprises doivent donc concevoir des produits qui peuvent être réparés, en remplaçant une composante, par exemple. Pour Ikea, cela suppose imaginer des produits qui seront assemblés plus d’une fois. Pour l’instant, le consommateur sort le produit de la boîte, il l’assemble et il n’y touche plus. Désormais, nos articles doivent résister à plus d’un assemblage. La remise à neuf, quant à elle, survient lorsqu’un article ne peut plus être réparé par son propriétaire. Alors Ikea le reprend et le remet en état. Nous développons ce service, il fera partie de notre offre régulière d’ici 2030. Quant au reconditionnement, il survient lorsque même le fabricant ne peut réparer l’objet. Alors, il le reprend et il le met en pièce pour en réutiliser des composantes. Ikea développe aussi ce service. À cette étape, nos produits deviennent des sources de matière première. Finalement, lorsqu’on a allongé la durée de vie d’un produit par l’entremise des trois étapes qui précèdent, alors seulement on le recycle.
D. B. – Pourquoi une entreprise devrait-elle privilégier les trois premières avenues au recyclage ?
D.F. – Lorsque vous recyclez un article pour lui redonner son aspect original, il perd sa valeur ajoutée. Toute entreprise a avantage à organiser ses activités pour allonger la durée de ses articles et de leurs composantes aussi longtemps que possible.
D. B. – Qu’est-ce que la logistique inversée ?
D.F. – Aujourd’hui, Ikea livre ses produits au magasin où le consommateur le ramasse, ou nous les livrons chez lui. Le déplacement s’arrête là. Dans une économie circulaire, le produit revient chez Ikea. Dans ce nouveau contexte, il ne s’agit plus uniquement d’assainir notre chaîne d’approvisionnement en revoyant nos achats et nos fournisseurs. Il faut la remodeler pour ajouter de nouvelles fonctions.
D. B. – Quelles compétences vos designers doivent-ils développer pour qu’Ikea remodèle sa chaîne d’approvisionnement avec succès ?
D.F. – Jusqu’ici, maîtriser l’assemblage suffisait. Désormais, nos designers doivent comprendre parfaitement le processus de fabrication pour que leurs produits puissent connaître plusieurs vies sous plusieurs formes.
D. B. – Et les entreprises, en général, quelle compétence doivent-elles acquérir ?
D.F. – Elles doivent apprendre à fabriquer leurs produits à partir de produits existants et non uniquement de matières premières.