Quelle personne un peu juste financièrement cracherait sur 20 000$ non imposables de prestations gouvernementales par année, durant cinq ans, dites-moi? C’est pourtant ce dont peuvent se priver des retraités, faute de bons conseils.
Je m’apprête à vous raconter une autre histoire au sujet du Supplément de revenu garanti (SRG), ou plutôt à vous livrer la suite du récit du lecteur Yves débuté dans la chronique Des «peanuts» imposées à plus de 85% publiée au printemps. Elle avait suscité beaucoup de réactions, elle me vaut encore des courriels de retraités inquiets à l’égard de leur revenu de retraite.
Avant d’entrer dans le vif du sujet, je dois avouer un sentiment mitigé à l’égard du SRG, un genre de doute moral. Il s’agit d’une prestation non imposable du gouvernement fédéral destinée aux retraités à faibles revenus, on le compare souvent à l’aide sociale.
Il y a une différence fondamentale dans les règles de qualification de chacun des programmes. Je l’ai déjà expliquée, mais rappelons-là. L’aide sociale est accordée en fonction des revenus et des actifs du demandeur, le SRG est calculé uniquement à partir du revenu. Pour avoir droit à l’aide sociale, on ne doit rien posséder alors qu’on peut toucher le SRG tout en détenant d’importants actifs, aussi longtemps qu’on ne déclare pas ou peu de revenus.
Cela donne des situations aberrantes qui contreviennent au principe de l’aide en question, comme lorsqu’un millionnaire réussit à recevoir du SRG. Entre cette situation et celle de la personne âgée démunie, il se trouve tout un tas de cas discutables, des gens qui ne sont pas pauvres, mais qui ne sont pas riches non plus. Pour eux, le SRG peut faire la différence entre une retraite à se serrer la ceinture et une autre, loin d’être opulente, où l’on coule ses vieux jours sans craindre les fins de mois.
On peut toujours s’interroger sur le bien-fondé de cette aide financière pour des retraités qui ont un peu d’épargne et une maison payée. Cela dit, puisque ce programme existe et qu’il peut faire une nette différence pour des retraités qui, sans être riches, sont loin de patauger dans l’indigence, j’ai fini par croire qu’il n’y avait rien d’immoral à tenter d’en tirer pour eux le maximum.
Pour de nombreux retraités, le scénario «optimal» nécessite des opérations réalisées dans le but d’aller capter le plus de SRG possible, des opérations souvent trop «créatives», ou contre-intuitives, pour le planificateur financier moyen travaillant en institution financière.
Voilà, c’est dit. Maintenant, Yves.
S’il s’était contenté d’appliquer les conseils que le professionnel moyen prodigue généralement aux personnes dans sa situation, il se serait probablement privé, avec sa conjointe, de 100 000$ de Supplément de revenu garanti sur cinq ans (et plus encore sur l’ensemble de sa retraite).
Je vous remets dans le bain, les chiffres ont quelque peu changé depuis que je vous en ai parlé la première fois, notre lecteur a livré tous ses documents à Denis Perrin (B.A.A., conseiller en sécurité financière, courtier en épargne collective) qui a fait du SRG une de ses spécialités et qui m’a livré son analyse de la situation.
Yves prendra sa retraite l’année prochaine, à 65 ans. Sa conjointe en aura 58 et a déjà cessé de travailler. Elle aura 60 ans en 2022. Ils détiennent 18 000$ et 17 000$ de placements non enregistrés auxquels s’ajoutent 90 000$ et 45 000$ dans leur REER respectif. Ils ont une maison d’une valeur de 500 000$ et un terrain évalué à 100 000$. Notre lecteur reçoit déjà 5700$ par année du RRQ. À 65 ans, il commencera à encaisser sa Pension de la sécurité de la vieillesse (PSV). Sa conjointe, appelons la Nicole, pourra toucher la même chose lorsqu’elle aura 65 ans.
Typiquement, on conseillerait à Yves de retirer progressivement des sommes de son REER à partir de 65 ans pour couvrir son coût de vie, ce qui viendrait considérablement réduire son SRG, s’il y a encore droit. Cette aide, il est important de le rappeler, est calculée en fonction du revenu du ménage; chaque dollar qui rentre (retrait REER/FERR, RRQ, salaire, revenu d’intérêt, 50% de gain en capital) réduit d’environ 0,50$ la prestation de SRG. La pension de la sécurité de la vieillesse (PSV), duquel le SRG est un supplément, n’est pas prise en compte.
Éventuellement, quand Nicole aura 60 ans, elle sera privée de ce qu’on appelle l’«Allocation du conjoint», une aide financière destinée, on le devine, au conjoint du prestataire du SRG dont le montant, non imposable, surpasse le SRG, et de beaucoup. Il faut avoir entre 60 et 65 ans pour avoir droit à cette allocation. Il y a donc dans notre histoire une fenêtre de cinq ans très payante.
Cette période correspond aux années où Yves peut aller chercher le SRG pour lui et l’Allocation pour Nicole. Le SRG mensuel maximum s’élève à 546$ et l’Allocation, elle atteint alors 1153$ par mois, soit près de 20 400 $ par année au total, non imposable (insistons).
Comment aller le chercher? Surtout pas en faisant des retraits du REER, mais au contraire, en y contribuant. Selon Denis Perrin, Yves devrait utiliser l’épargne non enregistrée pour cotiser au REER une somme équivalente à ce qu’il retirera des prestations du RRQ. De cette manière, le couple réduit son revenu zéro et peut récolter le maximum du SRG et de l’Allocation.
Après cette fenêtre de cinq ans, il y a encore moyen de manœuvrer pour récolter le plus possible d’aide gouvernementale. Quand Nicole aura 65 ans, elle imitera son conjoint en cotisant à son REER pour annuler l’impact qu’auraient les revenus tirés du RRQ sur son SRG et celui d’Yves. Éventuellement, Yves convertira son REER en FERR pour le vider rapidement. Nicole fera de même.
Voici les grandes étapes à suivre pour améliorer la situation du couple à l’aide du SRG, selon Denis Perrin. À noter que ce plan n’est possible que dans certaines conditions. Il faut détenir des droits de cotisation REER et des liquidités pour les combler. L’écart d’âge entre les deux conjoints, s’il est plus petit, rend la stratégie moins efficace.
1-Yves vend son terrain au plus vite, avant le début de la période payante d’Allocation, car le gain en capital réalisé à la vente n’est pas à l’abri de l’impôt et affecterait et le SRG et l’Allocation. Donc, avant les 60 ans de Nicole.
2-Le couple vend sa maison pour dégager des liquidités afin de couvrir une partie de leur coût de vie et éventuellement contribuer au REER.
3-Yves cotise au REER pour éliminer l’effet dur RRQ sur le Supplément de revenu garanti et l’Allocation au conjoint.
4-Yves transfert son REER vers son FERR qu’il vide sur six mois consécutifs chevauchant deux années (de son 72e et 73e anniversaire). Le revenu est réparti sur deux années d’imposition et doit être fractionné entre les conjoints afin de réduire leur facture fiscale. Notre lecteur peut ensuite faire une demande d’option pour éviter la perte du SRG. Pour en savoir plus là-dessus, il faut lire la chronique Quand ça vaut le coût de vider son REER d’un coup.
5-Nicole cotise à son tour à son REER à partir de 65 ans jusqu’à épuisement de ses droits pour la même raison évoquée plus haut dans le cas d’Yves.
6-Elle imite Yves une fois encore en retirant son FERR en six mois chevauchant deux années, et en fractionnant le revenu pour réduire l’impôt. Elle fait ensuite une demande d’option pour ne pas perdre son SRG et affecter celui d’Yves.
Au départ, Yves et Nicole ont estimé à 40 000$ leur coût de vie (donc net) par année. Pour couvrir le manque à gagner (éventuellement moins de 10 000$ par année), le couple devra utiliser le fruit de la vente de la maison et du terrain.
La stratégie augmente légèrement la facture fiscale totale, mais crée d’importantes entrées d’argent sur lesquelles le fisc n’a pas de prise, dont 100 000$ dans la seule période d’Allocation.
Yves est bien content.
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