(Illustration: Camille Charbonneau)
LES CLÉS DE LA CRYPTO. Le détaillant québécois reste discret, pour ne pas dire secret, à propos du partenariat stratégique conclu avec Bitcoin Depot il y a déjà deux ans et demi. Pourtant, les centaines de «machines à cryptos» déployées dans ses enseignes Couche-Tard et Circle K ont trouvé leur public.
«Apporter le bitcoin aux masses». Voilà l’objectif depuis 2016 de l’entreprise américaine Bitcoin Depot. Et pour y parvenir, le plan semble simple: installer à chaque coin de rue un guichet automatique à bitcoins (ou BTM pour les initiés).
Appareillages encore assez méconnus, ces distributeurs crypto offrent une approche alternative des transactions en permettant aux utilisateurs d’échanger de l’argent liquide contre des actifs numériques. «C’est une rampe d’accès entre les mondes digital et physique de la finance», résume ainsi l’autoproclamé chef de file mondial des BTM, vantant les vertus d’inclusion financière ou d’accessibilité de ses produits.
Quand Alimentation Couche-Tard a timidement dévoilé son inattendu partenariat avec Bitcoin Depot en juillet 2021, le groupe se montrait aligné sur cette mission. En ajoutant du bitcoin à sa déjà large offre commerciale — allant des friandises au cannabis en passant par le carburant — le dépanneur privilégié des Québécois réaffirmait sa dynamique entrepreneuriale: faciliter la vie à ses clients et améliorer leur expérience en magasin. «Ce partenariat donne à notre marque une présence importante et précoce sur le marché à croissance rapide de la cryptomonnaie», assurait dans un discret communiqué l’entreprise de Laval, et n’évoquant le déploiement de «kiosques à bitcoins» que pour Circle K.
Mais depuis cette annonce estivale il y a deux ans et demi, Couche-Tard s’est montré avare en commentaires sur cette stratégie de pionnière crypto parmi les grandes chaînes de vente au détail. D’emblée, plus un seul nouveau communiqué de presse sur le sujet. Plus étonnant encore, pas un seul rapport trimestriel ou annuel, de gestion ou d’états financiers consolidés, ne semble aborder cette apparition de BTM sur le réseau de magasins traditionnels. Pas même, principe de précaution oblige, une mention dans l’identification et la gestion des facteurs de risques alors que l’on imagine aisément les retombées négatives, ne serait-ce que sur l’image et la réputation, auxquelles le secteur du bitcoin peut exposer Couche-Tard.
Autre lecture possible, ce partenariat entre le géant québécois et le prestataire crypto d’Atlanta s’avère anecdotique. Pas si l’on en croit le rapport périodique le plus récent de Bitcoin Depot, dont les données sont arrêtées le 30 septembre 2023. «Le plus grand déploiement de guichets automatiques est celui de Circle K, dont nous sommes le fournisseur et l’opérateur exclusifs de BTM aux États-Unis et au Canada. Nous avons installé nos BTM dans environ 1500 magasins Circle K», signale le document remis à la SEC, le gendarme des marchés américains.
La relation avec Alimentation Couche-Tard apparaît plutôt déterminante. Sur les neuf mois de l’année dernière, Bitcoin Depot a généré 28,9% de son chiffre d’affaires total à partir des sites de son principal partenaire commercial, contre 32% sur l’ensemble de 2022. À titre indicatif, sur les mêmes périodes observées, les distributeurs crypto ont enregistré un chiffre d’affaires de 540,6 millions de dollars américains, contre 497,2M$US. Autrement formulé, Couche-Tard brasse quelque 160 millions avec du bitcoin.
Ces machines exercent bel et bien une certaine attraction sur la clientèle. Reste à savoir ce que le détaillant québécois en retire précisément, au-delà de l’aspect trophée technologique conféré par la présence dans ses magasins de 236 guichets à BTC à l’échelle du Canada, dont une vingtaine dans les Couche-Tard de la province. Sur le plan financier, son accord commercial avec Bitcoin Depot doit certainement comporter des frais perçus, à l’instar des frais attribuables aux guichets automatiques bancaires classiques.
En tout cas, jusqu’à preuve du contraire, les affaires roulent. «Il y a beaucoup de marge pour la croissance au sein de ce détaillant», a osé espérer Brandon Mintz, le PDG de Bitcoin Depot, lors d’un entretien téléphonique avec des analystes boursiers en marge d’une publication des résultats.