(Photo: 123RF)
PHILANTHROPIE. Donne-t-on plus par orgueil mal placé que par charité bien ordonnée ? Depuis la mi-mars, les entreprises québécoises de toutes tailles font preuve d’une formidable générosité. Tour d’horizon de leurs motivations philanthropiques et de leurs adaptations au contexte de pandémie.
Saisir toutes les occasions
Les entreprises du Québec rivalisent d’originalité pour remettre des dons aux organismes et aux institutions qui viennent en aide à leurs concitoyens. Toute-fois, se pourrait-il qu’elles se servent avant tout de l’action philanthropique comme d’un outil de communication, l’espace médiatique étant presque entièrement occupé par la COVID-19 ?
Les Affaires a posé la question à Jean-Marc Fontan, professeur de sociologie à l’Université du Québec à Montréal et codirecteur du PhiLab, le réseau canadien de recherche partenariale sur la philanthropie.
Le professeur divise les motivations des entreprises, ainsi que des entrepreneurs, en trois types. «Il y a d’abord l’altruisme sincère de ceux qui constatent qu’ils ont la capacité d’aider et qui le font sans recherche de profit ou de visibilité, simplement pour participer aux solutions, mentionne le professeur. Ensuite, il y a l’opportunisme positif des entreprises qui se disent : « Pourquoi ne pas en profiter pour se faire connaître, pour montrer qu’on fait partie des gens qui ont donné un coup de pouce ? ». Finalement, il existe malheureusement de l’opportunisme négatif : ceux qui profitent de la crise soit pour détourner des fonds ou pour flouer des personnes.»
Donner mieux
Jean-Marc Fontan distingue également trois types de comportements dans les entreprises actuellement engagées dans des activités philanthropiques.
1. Donner ce qu’on a
Les entreprises dont les produits ou services sont intéressants à offrir tels quels, gratuitement ou au prix coûtant.
Parmi les exemples inspirants, les Producteurs de lait du Québec et la Fromagerie St-Guillaume (La Coop Agrilait) ont fabriqué gratuitement 2 000 kg de cheddar qui ont été remis à des banques alimentaires du Centre-du-Québec et de la Montérégie. L’entreprise M2GO a pour sa part fourni 50 commodes fabriquées au Québec au CIUSSS de l’Est-de-l’Île-de-Montréal afin de meubler une unité temporaire destinée aux patients atteints de la COVID-19 à l’hôpital Maisonneuve-Rosemont. L’entreprise montréalaise a aussi acheminé à l’organisme Les bergers de l’espoir 27 lits pliants destinés à accueillir des personnes sans domicile.
2. Créer ce qu’on veut donner
Les entreprises dont l’équipement ou l’expertise ne sont pas directement liés à des besoins immédiats, mais qui peuvent les adapter afin de produire ou de distribuer de nouveaux produits et services, gratuitement ou au prix coûtant. Celles-ci investissent donc dans les modifications nécessaires, parfois avec l’aide de subventions.
Une entreprise d’ici a compté des buts de cette manière. Le fabricant d’équipement de hockey CCM a fait don de 500 000 masques chirurgicaux aux travailleurs hospitaliers du Canada. Son usine de Montréal s’est aussi associée avec Industrie Orkan et le Dr René Caissie, de l’hôpital du Sacré-Coeur de Montréal, pour concevoir et produire des combinaisons recouvrant la tête qui contiennent des purificateurs d’air. CCM a publié tous les plans de fabrication sur son site web afin que d’autres usines puissent produire ces mêmes combinaisons ailleurs dans le monde.
3. Donner «vert» demain
Les entreprises qui s’interrogent sur comment apprendre de la crise afin d’apporter des modifications et des améliorations à leur modèle d’affaires dans le but intégrer différentes dimensions du développement durable, que ce soit en matière de rapport à l’environnement, de gouvernance, de consommation et de production. «C’est beaucoup plus difficile [que les deux autres comportements], mais c’est intéressant pour les entreprises qui ont la capacité d’aller dans cette direction-là», souligne Jean-Marc Fontan.
Second Harvest récupère les surplus de nourriture pour éviter leur rejet dans les décharges et ses conséquences environnementales. Depuis le début de la pandémie, l’organisme a décidé d’offrir 4,5 millions de dollars en subventions directes aux groupes communautaires par sa plateforme FoodRescue.ca. Cette dernière met en relations les entreprises disposant de surplus alimentaires à des organisations caritatives et sans but lucratif.
Des initiatives surprenantes
Jean-Marc Fontan souligne aussi que les comportements «classiques» – les magasins d’alimentation qui donnent leurs excédents aux banques alimentaires, pour ne donner qu’un exemple – côtoient des initiatives plus «surprenantes» que prennent certaines entreprises à vocation technique ou technologique.
Element AI, par exemple, a offert une plateforme de recherche sémantique gratuite alimentée par l’intelligence artificielle pour aider les chercheurs scientifiques à trouver des réponses et des modèles dans les documents de recherche en passant au peigne fin le corpus COVID-19 Open Research Dataset. Cette plateforme permet de connecter différentes sources de données configurées pour fonctionner avec l’ensemble des données de recherche ouverte.
Du plus petit au plus grand
Même s’il est trop tôt pour dresser un portrait de la situation, Jean-Marc Fontan estime que des comportements philanthropiques seront observés dans tous les secteurs économiques, considérant qu’il s’agit d’une crise qui touche l’ensemble de la société québécoise, mais aussi mondiale. «Il s’agit d’un spectre qui va aller de la petite action qui passe sous le radar jusqu’à au grand don médiatisé», précise le spécialiste en philanthropie.
Avec Marie-Pier Frappier.