En Suède, l'insouciance a un coût élevé en vies humaines... (Ph.: Johanna Dahlberg/Unsplash)
CHRONIQUE. Pas une journée sans entendre parler du nouveau coronavirus. C’est bien simple, vous comme moi, nous pensons tout savoir à son sujet. Avoir tout lu. Ne plus avoir rien à découvrir.
Erreur! La preuve, voici trois choses purement incroyables à propos de la COVID-19, dénichées çà et là. Trois choses qui, loin d’être anecdotiques, sont, en vérité, révélatrices des oeillères que nous avons installées de nous-mêmes – qui sait? – pour nous éviter de prendre peur (comme on installe des oeillères aux chevaux pour qu’ils ne prennent peur de l’environnement inconnu dans lequel on veut les amener…)
1. L’expérience suédoise? Un ratage!
La Suède n’a pas fait face à la pandémie comme les autres pays. D’emblée, elle a misé sur le concept d’immunité collective qui veut qu’une population entière parvient à éradiquer un virus à partir du moment où de 70% à 80% de ses individus contractent la maladie et, ce faisant, fabriquent naturellement des anticorps. Grosso modo, il «suffit» que tout le monde, ou presque, tombe malade pour que le problème soit réglé une bonne fois pour toutes; ce qui présente l’avantage théorique de supprimer tout risque de seconde, voire de troisième, vague de la pandémie.
Résultat? Pas de confinement de la population, contrairement aux autres pays du monde entier. Ne sont fortement déconseillés que les rassemblements de plus de 50 personnes, les voyages «superflus» et les contacts rapprochés avec les personnes âgées. Cafés, restaurants et autres boîtes de nuit demeurent ouverts. Ne sont fermés que les cégeps et les universités, les cours se donnant désormais à distance. Quant au télétravail, il est vivement recommandé, chaque fois que cela est possible.
Différents médias se sont émerveillés de l’audace de l’approche suédoise, et sont allés jusqu’à clamer haut et fort que cette expérience se révélait «fructueuse». La pandémie n’y frappait «pas plus fort qu’ailleurs», et l’économie accusait moins le coup qu’ailleurs, laissant même planer l’espoir d’éviter une récession qui, partout ailleurs sur la planète, promet de faire très très mal, des mois et des mois durant. Et ces mêmes médias de se lamenter, de déplorer le gâchis perpétré par tous ces dirigeants qui ont «mis sur pause» l’économie de leur pays dans le but – «erroné» – de sauver une poignée de vies humaines…
Bon. Mais une question saute aux yeux, tellement évidente qu’elle n’a pas été perçue par ces médias-là: l’expérience suédoise est-elle vraiment un succès? J’ai vérifié. Et la réponse est… négative. Explication.
Les statistiques parlent d’elles-mêmes:
– Près de 4.000 morts. La Suède a enregistré 3.743 morts pour 30.779 personnes ayant contracté la COVID-19, selon les données de l’Université Johns Hopkins (en date du 19 mai, 13h).
– Top 5 mondial. Le taux de mortalité est par conséquent de 12,2%. Ce qui place la Suède dans le Top 5 des pays où la maladie entraîne le plus de décès, derrière la France, la Grande-Bretagne et l’Italie, et devant l’Espagne.
– Top 5 mondial encore. Cela fait une moyenne de 36,2 morts pour 100.000 habitants, sa population étant de 10,3 millions d’habitants. Ce qui place encore la Suède dans le Top 5 des pays où la maladie se révèle la plus mortelle, derrière l’Espagne, l’Italie, la Grande-Bretagne et la France.
C’est clair, la Suède est actuellement l’un des points les plus chauds de la planète. Le virus y fait même plus de morts qu’aux États-Unis – l’épicentre actuel de la pandémie mondiale-, proportionnellement parlant; chez nos voisins du Sud, le taux de mortalité avoisine les 6% et on dénombre 25 morts pour 100.000 habitants.
«Ces chiffres sont horrifiques, a confessé Anders Tegnell, l’épidémiologiste en chef de l’Agence de la santé publique de la Suède, la semaine dernière, lors d’un point de presse. En conséquence, je ne suis plus convaincu que notre politique ait été la bonne.»
Anders Tegnell est l’homme qui a prôné le laisser-faire suédois, la politique d’immunité collective. Et voilà que face aux chiffres déplorables de «l’expérience suédoise», il est pris de remords : «Je n’arrête pas de penser à ce que nous avons fait, à tous ces morts que nous n’avions pas anticipés, et j’en perds le sommeil», a-t-il dit au quotidien suédois Aftonbladet.
Cecilia Soderberg-Naucler est professeure de pathogenèse microbienne à l’Institut Karolinska, à Stockholm. Elle a signé avec 2.300 chercheurs de son pays une lettre ouverte implorant le gouvernement suédois d’adopter des mesures de confinement nettement plus strictes, un peu à l’image de ce qui s’est fait partout ailleurs. «Nous risquons à présent un véritable chaos en Suède, le système de santé menaçant de plus en plus d’être débordé par le nombre de nouveaux malades de la COVID-19, a-t-elle dit au magazine américain Newsweek. Il est devenu urgent de corriger le tir, et de prendre les mesures sanitaires qui s’imposent.»
2. Nouvelle vague de confinement en Chine
Quelque 108 millions de personnes vivant dans le nord-est de la Chine sont contraintes et forcées depuis la fin de semaine dernière de revivre les affres du confinement. Les autorités de la province de Jilin ont en effet imposé aux habitants des grandes villes de nouvelles mesures sanitaires visant à éradiquer le soudain regain de la pandémie de COVID-19.
Ainsi, trains et bus ont été mis à l’arrêt. Les écoles et autres universités ont été fermées. Et des dizaines de milliers de personnes ont été mises en quarantaine. Bien entendu, le masque est redevenu de rigueur dès lors qu’on sort de chez soi.
La Ville de Shulan est allée un cran plus loin. Elle a diffusé sur WeChat un message avertissant que les immeubles et autres résidences communautaires hébergeant des personnes contaminées par le nouveau virus seraient totalement fermés «jusqu’à nouvel ordre». Un seul membre de chaque famille serait autorisé à faire des courses d’alimentation, à condition que cette sortie ne dure pas plus de deux heures et n’ait lieu que tous les deux jours.
Ces mesures, aussi strictes que celles qui avaient prévalu en février et mars, consternent nombre d’habitants des grandes villes de Jilin. Car ceux-ci pensaient – à tort – que le pire de la pandémie était derrière eux. «C’est désespérant, personne ne sait quand tout ça se terminera», s’est lamenté auprès de l’agence de presse américaine Bloomberg Fan Pai, un vendeur de Shenyang, une ville de la province voisine du Liaoning qui fait également face à de nouvelles restrictions.
Comment expliquer ce brutal regain de la pandémie? Aucune explication n’a encore été donnée par la Chine. Cela étant, le vice-premier ministre Sun Chunlan, qui dirigeait le groupe de travail sur le virus à Wuhan, l’épicentre originel de la pandémie mondiale, a été dépêché à Jilin pour faire toute la lumière sur ce sujet. Une piste principale est pour l’instant explorée : des Chinois auraient été récemment rapatriés de la Russie voisine, et il se pourrait que ceux-ci y aient contracté la maladie; comme les mesures sanitaires étaient allégées depuis plusieurs semaines dans la province de Jilin, ces personnes contaminées auraient pu aisément passer le virus aux autres.
3. Noir c’est noir
> Une plaie pour le travail au noir. En Espagne, le tiers des femmes de ménage se retrouvent dans une misère noire à cause de la pandémie du nouveau coronavirus. Pourquoi? Parce qu’elles travaillaient au noir, et ne peuvent donc pas bénéficier des aides gouvernementales pour les personnes ayant perdu leur emploi.
D’après la dernière enquête sur la population active de l’Institut national des statistiques, l’Espagne compte quelque 580.000 femmes de ménage, indique le site web El Confidencial. Or, 394.171 d’entre elles étaient dûment enregistrées avant les mesures de confinement. En conséquence, le tiers travaillent de manière informelle, sans être déclarées.
Ce qui les empêche de bénéficier de la mesure prise le 12 mai par l’État espagnol, laquelle donne droit aux femmes de ménage de toucher une aide financière exceptionnelle visant à compenser les ruptures de contrat temporaires dues aux mesures de confinement en vigueur depuis le 15 mars. Une aide rétroactive correspondante à 70% du revenu mensuel d’avant le 15 mars, pour un maximum de 950 euros (1.445$) par mois.
> Le blé plus précieux que l’or noir. La Russie a décidé de ne plus exporter son blé, à tout le moins jusqu’au 1er juillet. Pourquoi? Parce que la pandémie du nouveau coronavirus a complètement déstabilisé la chaîne de production de blé, et par suite a créé de telles perturbations de son prix qu’il est devenu une priorité économique pour le premier exportateur mondial de blé de stabiliser le cours du blé.
COVID-19 oblige, la chaîne de production du blé – mais aussi d’autres céréales comme le seigle, l’orge et le maïs – s’est mise à souffrir de manque de main-d’œuvre, de mesures sanitaires et autres difficultés de transport de distribution. Résultat? Une hausse constante des prix depuis mars, selon le magazine russe Expert. À tel point que «le blé est devenu plus cher que le pétrole», indique l’agence de presse russe Ria Novosti.
D’où l’idée du ministère de l’Agriculture de suspendre temporairement les exportations céréalières: la constitution de stocks permettra logiquement de faire baisser les prix et d’éviter toute pénurie. Comme des objectifs d’exportation sont tout de même à atteindre – 25 G$ US d’ici la fin de l’année – les ventes à l’étranger devraient reprendre cet été, sinon à l’automne.
> Le noir destin des poussins. Chaque année, la Pologne donne naissance à un milliard de poulets et à plusieurs dizaines de millions de dindes, d’oies et de canards, selon le quotidien polonais Gazeta Wyborcza. Et la moitié de cette production est destinée aux restaurants et aux cantines d’un peu partout en Europe de l’Ouest.
Mais voilà, comme les restaurants et les cantines sont fermés en raison de la pandémie, les éleveurs polonais ne voient plus aucun débouché pour leurs volailles. En conséquence, nombre d’entre eux n’ont pas d’autre choix que de «mettre sur pause» leur production, et donc de gazer et incinérer leurs poussins et autres oisillons.
C’est l’hécatombe chez le numéro 1 européen en termes de production et d’exportation de volailles. C’est que les poussins représentent un coût élevé pour les producteurs – nourriture, entretien,… – et s’ils ne sont pas achetés au bout de six semaines, ce coût devient une perte sèche. D’où la décision – déchirante pour un éleveur – d’arrêter les frais sans attendre jusque-là, sachant pertinemment que plus aucune vente n’a lieu, ces temps-ci.
«À la fin du mois d’avril, les chambres froides se retrouvaient déjà avec 120.000 tonnes de viande de volaille en trop, a expliqué au quotidien polonais un représentant de la Chambre des producteurs de volailles. Le marché polonais est clairement incapable d’absorber à lui seul une telle quantité de nourriture.»
C’est comme ça que des poussins sont maintenant exterminés par millions en Pologne. À cause d’un virus qui, a priori, ne pouvait leur causer le moindre mal. Et dire – ô ingratitude humaine – que le salut de l’humanité viendra de nos chers poulets, leurs oeufs étant une nécessité absolue pour concocter et expérimenter le vaccin qui viendra à bout de la COVID-19…
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Un rendez-vous hebdomadaire dans Les affaires et Lesaffaires.com, dans lequel Olivier Schmouker éclaire l’actualité économique à la lumière des grands penseurs d’hier et d’aujourd’hui, quitte à renverser quelques idées reçues.
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