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COVID-19: les employeurs réembauchent-ils ceux qu’ils ont viré?

Olivier Schmouker|Publié le 06 juillet 2020

COVID-19: les employeurs réembauchent-ils ceux qu’ils ont viré?

1 employé remercié sur 3 a retrouvé son employeur. (Ph.: You X Ventures/Unsplash)

CHRONIQUE. «Ce n’est qu’un au revoir, promis juré. Dès qu’on a le go pour redémarrer nos activités, on vous rappelle, on va reprendre le dessus tous ensemble.» Ça, c’était le discours tenu par nombre d’employeurs qui ont dû se résoudre à licencier à cause de la «mise sur pause» de l’économie décrétée en mars par le premier ministre François Legault. Maintenant que la reprise est amorcée, la promesse est-elle vraiment tenue?

Une étude toute fraîche permet de s’en faire une juste idée. Intitulée «Back to Business and (Re)employing Workers? Labor Market Activity During State COVID-19 Reopenings», elle est signée par une équipe de 12 chercheurs internationaux pilotée par Wei Cheng, professeur à l’école de commerce de l’Université de science et de technologie de la Chine de l’Est (华东理工大学) à Shanghai (Chine). Regardons ça ensemble…

L’équipe de Wei Cheng a réalisé le tour de force de collecter une foule de données permettant d’observer avec précision le comportement des Américains en matière d’emploi en cette période de pandémie du nouveau coronavirus. Par exemple, ils ont considéré les déplacements quotidiens effectués par leur cellulaire, histoire de voir si ceux qui ne faisaient plus l’aller-retour entre leur domicile et leur lieu de travail depuis février ou mars avaient recommencé à faire ce même trajet quotidien depuis que leur employeur avait redémarré ses activités. Ou s’ils avaient continué à rester chez eux (signe que soit ils continuaient de télétravailler, soit d’être au chômage). Ou s’ils avaient adopté un autre trajet quotidien (signe qu’ils avaient changé d’employeur).

Autre exemple : ils ont considéré les recherches effectuées sur Internet par les Américains dans l’optique de trouver un nouvel emploi. Cela permettait de savoir, entre autres, s’ils étaient peu actifs de ce point de vue (signe que leur espoir est d’être réembauché par le même employeur dès que cela lui sera possible), ou encore hyper actifs (signe que leur priorité est de saisir l’occasion de trouver un meilleur emploi, pour ne pas dire un meilleur employeur).

Idem, ils ont considéré les nouvelles demandes d’assurance-chômage. L’idée était ici de voir si les personnes récemment au chômage retrouvaient un emploi plus rapidement que les autres (signe que les employeurs ont tenu, en général, leur promesse de réembaucher dès que possible), ou pas.

Résultat de ce travail de fourmi au milieu de toutes ces données disparates? Il tient en trois points:

> 1 employé remercié sur 3 est réembauché pour relancer graduellement les activités de l’entreprise. En général, les employeurs se sont mis à réembaucher dès qu’ils sentaient que le moment allait être propice, c’est-à-dire juste avant que l’annonce officielle de la réouverture de leur secteur d’activité. Cela étant, ce mouvement d’embauches s’est montré prudent, pour ne pas dire timoré : ne sachant pas comment allait se dérouler la reprise (ex.: les clients vont-ils se remettre à acheter comme auparavant?), ils n’ont pas réembauché tout le monde mis à pied, mais certains d’entre eux, ceux jugés les plus nécessaires pour une reprise graduelle des activités. Cette proportion avoisine pour l’heure le tiers des employés mis à pied.

> 9 employés réembauchés sur 10 demeurent dans la même branche. 92% des employés réembauchés l’ont été par le même employeur, ou à tout le moins par un employeur du même secteur d’activités. Autrement dit, les personnes mises à pied n’ont pas profité de leur période off pour tenter de rebondir sur le plan professionnel (ex.: changer de métier).

> Plus le temps s’écoule, plus les chances d’être réembauché s’amenuisent. Un signe est de mauvais augure pour ceux qui ont été remerciés dès le début de la «mise sur pause» de l’économie : plus le temps passe, plus les chances d’être rappelé par leur ex-employeur s’amenuisent. Ce qui indique que soit leur poste n’est plus jugé si nécessaire que ça, soit leurs compétences ne sont plus requises pour le succès futur de l’entreprise. La donne est visiblement en train de changer, d’où la nécessité pour eux de songer à rebondir professionnellement sans trop tarder (ex.: trouver un autre employeur, un autre métier,…).

Ce dernier point indique, d’après l’équipe de Wei Cheng, que le marché du travail est en train de connaître une «mutation», en ce sens qu’il ne va pas ressembler demain matin à ce qu’il était hier. Fini, aux États-Unis comme au Canada, la situation de plein emploi qu’on connaissait au tout début de 2020. Fini la pénurie de main-d’oeuvre dont souffraient à ce moment-là les employeurs nord-américains. Car aujourd’hui, demain et après-demain, tout le monde ne va pas retrouver un emploi.

C’est que «la reprise économique se faisant graduellement, l’embauche de la main-d’oeuvre est en train de se faire graduelle elle aussi», note l’étude, en soulignant qu’il va falloir «du temps pour que nombre de travailleurs retrouvent un emploi», la nouvelle donne exigeant de leur part de «trouver un autre employeur, possiblement à des conditions moins bonnes qu’auparavant» ou bien d’«acquérir de nouvelles compétences». Ce qui ne peut en aucun cas se produire en un claquement de doigts.

Et c’est d’ailleurs ce qui explique sûrement un curieux phénomène connexe, mis au jour par une autre étude toute fraîche intitulée «Early Evidence on the Impact of COVID-19 and the Recession on Older Workers» et signée par une équipe de trois chercheurs pilotée par Truc Thi Mai Bui, doctorante en économie de l’Université Tulane à La Nouvelle-Orléans (États-Unis). Quel phénomène? Regardons ça ensemble…

Les trois chercheurs se sont plongés dans la base de données de la Current Population Survey, histoire de voir si la crise économique actuelle, consécutive à la pandémie du nouveau coronavirus, avait un impact similaire aux récessions précédentes sur les travailleurs âgés (les 65 ans et plus). Et cela les a amenés à découvrir le fait que ces derniers étaient, cette fois-ci, frappés de manière «disproportionnée», et tout particulièrement «les femmes âgées».

Ainsi, le taux de chômage des 65 ans et plus était en avril de 15,4% chez nos voisins du Sud, alors qu’il était de 13% pour les 25-44 ans. Or, cela ne s’était jamais vu qu’il y ait une proportion nettement plus grande de chômeurs chez les boomers que chez les X et les milléniaux. Jamais.

L’explication de cette particularité inédite de la récession actuelle? «Cela est dû non seulement au fait que la récession actuelle est d’une plus grande ampleur que les précédentes – nombre d’économistes s’accordent pour dire qu’elle est plus grave que celle de la Grande dépression des années 1930 -, mais aussi au fait que nombre de boomers ont fait le choix de quitter définitivement le marché du travail, sentant qu’il leur serait complexe – voire impossible – de retrouver un emploi lors de la reprise économique», note l’étude.

Autrement dit, la COVID-19 a eu pour effet de précipiter le départ à la retraite d’un grand nombre de boomers. Ceux qui pouvaient se le permettre financièrement ont fait le choix irrévocable de s’en aller, de ne plus revenir au travail, de laisser la place aux plus jeunes qu’eux. D’autant plus qu’entrait en ligne de compte une autre donnée, sanitaire : la COVID-19 pouvant être mortelle pour les personnes âgées et le virus continuant de circuler au sein de la population, un retour au travail aurait représenté un risque réel pour leur santé.

Bref, le marché du travail est en train de prendre un tout nouveau visage:

> Le retour du chômage. Ceux qui ont été «temporairement» mis à pied et qui n’ont pas encore été rappelés par leur ex-employeur doivent s’attendre à des temps difficiles, dans les mois et peut-être les années à venir. Si bien que les moins résilients risquent fort de connaître le chômage pendant un certain temps, malheureusement.

> Le bye-bye des boomers. Quant aux employeurs, il va vite leur falloir abandonner l’idée de se reposer sur l’expérience et le savoir-faire des boomers – comme ils en avaient pris l’habitude -, car ceux-ci sont en train de plier bagage à tout jamais.

> Des effets négatifs en cascade. Enfin, les gouvernements vont devoir manoeuvrer avec une toute nouvelle réalité, dès demain matin. D’une part, un taux de chômage élevé pour une longue durée. D’autre part, un bond du nombre de retraités. Et par suite, «une baisse du taux d’emploi, une baisse globale des revenus (et donc, de la richesse du pays), une baisse de l’épargne-retraite, une augmentation des demandes de prestations sociales en tous genres (ex.: chômeurs, retraités,…), et potentiellement un accroissement de la pauvreté», indique l’étude des trois chercheurs.

Voilà. Le marché du travail prend un nouvel aspect, et celui-ci n’est pas des plus réjouissants. Loin de là. À moins, bien entendu, que chacun de nous ne prenne conscience du changement qui est en train de se produire sous nos yeux, et agisse en conséquence : un chômeur se doit de prendre son courage à deux mains et de tenter de rebondir; un employé se doit d’évoluer, en faisant preuve de davantage de souplesse et d’intelligence; un employeur se doit de faire preuve d’empathie et d’audace, en soutenant comme jamais l’écosystème dans lequel il évolue; un gouvernement, enfin, se doit de comprendre, d’éveiller et d’encourager toutes les idées originales qui permettront de propulser toute la société vers de nouveaux horizons (et donc, ne surtout pas recourir à des recettes surannées de relance économique – vouées d’emblée à l’échec comme en attestent d’ores et déjà nombre d’études à ce sujet -, comme de miser sur «le béton et le goudron» dans l’espoir que de vastes projets d’infrastructures permettront de s’assurer de lendemains qui chantent…). À bons entendeurs, salut!

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Espressonomie

Un rendez-vous hebdomadaire dans Les affaires et Lesaffaires.com, dans lequel Olivier Schmouker éclaire l’actualité économique à la lumière des grands penseurs d’hier et d’aujourd’hui, quitte à renverser quelques idées reçues.

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