Une vague qui s'annonce désespérante... (Photo: Vladimir Fedotov/Unsplash)
CHRONIQUE. Rappelez-vous… C’était le 24 juin, l’été arrivait, les vacances aussi, et Horacio Arruda, le directeur national de santé publique, clamait «On est tout prêt du déconfinement total», avant de prodiguer ses sempiternels conseils de prudence en matière de contamination du nouveau coronavirus. On criait victoire, ou peu s’en fallait, et pourtant nous aurions plutôt dû nous attrister, car c’est à ce moment-là qu’a sûrement commencé la nouvelle vague de la pandémie. Explication.
Les données de l’Institut national de santé publique du Québec (INSPQ) ne laissent pas la place au moindre doute:
> Deux fois plus de cas confirmés en trois semaines. Lorsqu’on regarde l’évolution du nombre de cas confirmés au Québec, on note qu’une semaine exactement après le déconfinement «total», soit à partir du 30 juin, de plus en plus de personnes ont contracté la COVID-19. Et ce, de manière continue jusqu’à aujourd’hui.
Ainsi, le 30 juin, la moyenne mobile (sur 7 jours) était de 77 cas confirmés; le 17 juillet, on en dénombrait 185. Soit plus du double en moins de trois semaines.
(Source : INSPQ, 2020)
> Trois fois moins de décès, mais… Lorsqu’on regarde maintenant l’évolution du nombre de décès liés à la COVID-19, on note en parallèle une baisse prononcée. Et ce, toujours de manière continue.
De fait, le 30 juin, la moyenne mobile (sur 7 jours) était de 6 décès; le 17 juillet, on n’en dénombrait plus que 2. Soit une chute du triple.
Fort bien, pourrions-nous dire. Tout va pour le mieux, si on parvient à ne plus enregistrer le moindre décès, ou presque. Félicitons-nous d’une telle performance, pourrions-nous lancer haut et fort!
Le hic? C’est que ce serait là se réjouir trop tôt. À tout le moins si l’on en croit le COVID Tracking Project…
Le COVID Tracking Project? Il s’agit d’un regroupement d’experts en épidémiologie qui, bénévolement, collectent et analysent des données fouillées au sujet de la pandémie qui sévit chez nos voisins du Sud. C’est, pour le dire simplement, l’organisme qui fait référence aux États-Unis à propos de la COVID-19, car toutes les informations qu’il produit sont totalement indépendantes (et on sait combien le sujet fait polémique dans la société américaine, ces temps-ci…).
Or, les experts du COVID Tracking Project ont remarqué quelque chose de particulier, maintenant que les États-Unis connaissent une seconde vague:
– Un décalage de trois semaines. Le nombre de décès se met à croître avec un décalage d’environ 3 semaines après que le nombre de cas confirmés s’est lui-même mis à croître. Et la croissance devient, elle aussi, continuelle dans les jours et les semaines qui suivent.
– Un phénomène récurrent. Ce phénomène s’est produit aux États-Unis deux fois : au début de la première vague de cas confirmés et au début de la seconde. Il est donc récurrent.
Autrement dit, c’est à peu près trois semaines après que le nombre de cas confirmés augmente que l’on commence à enregistrer les premiers décès qui sont liés à la nouvelle vague.
La conclusion saute aux yeux : comme le nombre de cas confirmés s’est mis à augmenter régulièrement au Québec depuis le 30 juin, le risque est élevé de voir le nombre de décès se mettre à croître à son tour à partir… d’aujourd’hui! Oui, à partir du 21 juillet.
Plus précisément, les premiers chiffres à ce sujet surviendront une semaine plus tard : le 28 juillet, on disposera de la moyenne mobile (sur 7 jours) du nombre de décès liés à la COVID-19 survenus depuis le 21 juillet, c’est-à-dire du chiffre que l’on pourra légitimement comparer à ceux que j’ai donnés plus tôt (les deux autres moyennes mobiles, celles du 30 juin et du 17 juillet). Et la probabilité est – malheureusement – forte de découvrir alors un chiffre loin, très loin, des 2 décès du 17 juillet…
À cela s’ajoute un autre fait, particulièrement problématique pour nous : le taux de mortalité de la COVID-19 est, au Québec, l’un des plus élevés du monde. D’après l’INSPQ, il est actuellement de 662 décès pour 1 million, ce qui est plus que l’Espagne (608), l’Italie (580), la France (462), ou encore les États-Unis (433). Le seul – oui le seul – pays à faire pire, c’est la Grande-Bretagne (667). À noter, en passant, que le taux n’est que de 234 dans l’ensemble du Canada.
Ce qui signifie que le nouveau coronavirus fait des ravages lorsqu’il sévit ici, et même nettement plus qu’ailleurs. Et par conséquent, qu’une seconde vague aurait le potentiel de faire des dégâts considérables en termes de vies humaines.
Voilà. Comprenez que ce n’est pas de gaieté de coeur que je partage avec vous cette information, cette prédiction qui a – malheureusement, je le répète – de fortes chances de se vérifier dans les prochaines semaines. C’est qu’il est crucial d’être bien informé pour pouvoir bien agir, surtout lorsque les informations en question sont épineuses, pour ne pas dire dramatiques.
Car là est l’important : que devrions-nous faire, maintenant qu’une seconde vague de décès est à nos portes? Est-il encore temps de l’atténuer? Voire de la stopper en plein élan?
À l’échelle individuelle, les mesures à prendre sont connues, et je ne vais pas vous les répéter. Néanmoins, chacun de nous pourrait se dire qu’il va redoubler d’attention dans les prochaines semaines, de ne surtout pas se relâcher – comme, soyons honnêtes, chacun de nous a tendance à le faire depuis un petit moment… – et d’au contraire redoubler de vigilance.
À l’échelle collective, c’est au premier ministre François Legault et à son gouvernement de réagir sans tarder, en resserrant tout de suite la vis. C’est qu’il ne suffit plus de compter sur le civisme de chacun, il faut, de toute évidence, envoyer un message fort en reprenant immédiatement des mesures empêchant de se rassembler à plusieurs, des heures durant. Une mesure en ce sens, qui marquerait les esprits, serait de revenir sur l’autorisation des rassemblements d’un maximum de 10 personnes dans un même lieu ; l’idée serait de ne plus permettre de fête ou de repas de famille ou d’amis.
Pourquoi ça? Une récente étude du quotidien El Pais a mis au jour le fait que les nouveaux foyers de COVID-19 qui sont apparus en Espagne depuis le déconfinement provenaient, dans 40% des cas, de rassemblements de famille ou d’amis. C’est là le principal facteur d’émergence de foyers de contamination.
Je sais bien, une telle mesure serait susceptible de «gâcher le party», de saboter l’été de nombre d’entre nous. Mais bon, si l’on se disait qu’un tel «sacrifice» permettrait de sauver des vies humaines, peut-être que la pilule passerait un peu mieux…
D’autant plus qu’il n’y a pas que des vies humaines en jeu. Il y a la vie de nombreuses PME, et les rêves d’entrepreneurs qui sont mis sur pause depuis maintenant une éternité. Il y a les nombreux emplois de ceux qui ont été «temporairement» mis à pied, et dont le téléphone pour les faire revenir au travail ne sonne toujours pas. Il y a les comptes d’épargne qui fondent à vue d’oeil, surtout celui de ceux qui tentent de maintenir leur niveau de vie en dépit du manque de travail. Il y a encore la souffrance psychologique de ceux qui ne peuvent plus côtoyer leurs proches comme auparavant (ex.: les personnes âgées, les personnes souffrant d’une maladie chronique,…).
Bref, plus chacun de nous se comportera correctement face à la pandémie, mieux cela se passera pour nous tous. Et donc, plus tôt François Legault aura le cran de prendre des mesures impopulaires, mais salutaires, mieux ce sera pour nous tous. Sur le plan humain comme sur le plan économique. À bon entendeur, salut!
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Un rendez-vous hebdomadaire dans Les affaires et Lesaffaires.com, dans lequel Olivier Schmouker éclaire l’actualité économique à la lumière des grands penseurs d’hier et d’aujourd’hui, quitte à renverser quelques idées reçues.
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