Logo - Les Affaires
Logo - Les Affaires
  • Accueil
  • |
  • Crise chez Gildan: les actionnaires doivent se prononcer
Jean-Paul Gagné

Droit au but

Jean-Paul Gagné

Analyse de la rédaction

Crise chez Gildan: les actionnaires doivent se prononcer

Jean-Paul Gagné|Édition de janvier 2024

Crise chez Gildan: les actionnaires doivent se prononcer

(Photo: 123RF)

CHRONIQUE. La crise dans la gouvernance de Gildan est surréaliste. Elle oppose deux échelons de protagonistes.

Il y a d’abord le conseil d’administration (CA) de cette multinationale montréalaise contre Glenn Chamandy, qui en a été le président et chef de la direction pendant 19 ans, jusqu’à son congédiement, le 11 décembre dernier. Glenn Chamandy, 62 ans, qui a cofondé Gildan il y a 40 ans, veut réintégrer son poste.

Le même jour, le CA a nommé son successeur, Vince Tyra, un Américain de 58 ans proche de Donald C. Berg, président du conseil de Gildan. On ignore tout du processus de recrutement de Vince Tyra, entré en poste le 15 janvier. Les deux hommes se sont connus à l’Université de Louisville, au Kentucky. Donald C.Berg était conseiller du président, et Vince Tyra, directeur des sports de 2018 à 2021.

Vince Tyra a travaillé à Fruit of the Loom de 1997 à 2000, jusqu’à son rachat par Berkshire Hathaway à la suite d’une faillite, et chez Broder Bros, un distributeur de vêtements, de 2000 à 2005. Il n’a jamais travaillé à l’international. Or, Gildan est une société complexe, intégrée verticalement: de la production du fil jusqu’à la mise en marché de vêtements, en passant par la fabrication de tissus, de tricot et de produits finis (t-shirts, bas, sous-

vêtements). Elle gère huit usines en Caroline du Nord, huit au Honduras, quatre au Nicaragua, quatre en République dominicaine et quatre au Bangladesh. Gildan compte plus de 50 000 employés et a réalisé des revenus de 3,1 milliards de dollars américains et un profit net de 464 millions de dollars américains

(M$ US) à ses quatre derniers trimestres.

L’autre conflit oppose le CA et neuf investisseurs institutionnels, qui veulent réintégrer Glenn Chamandy dans son poste. Ces investisseurs, dont Jarislowsky Fraser, de Montréal, possèdent 35% des droits de vote de Gildan. Toutefois, le CA a l’appui de Coliseum Capital, au Connecticut, qui a obtenu un siège à son CA.

Browning West, un des investisseurs récalcitrants, demande la convocation d’une assemblée extraordinaire des actionnaires pour faire élire au CA de Gildan sept nouveaux administrateurs et y replacer Glenn Chamandy. Cette demande est à l’étude par le CA.

 

Chicane épique

Il est rarissime qu’une telle chicane se fasse sur la place publique. Le CA de Gildan a publié deux lettres pour justifier sa décision et un administrateur a donné une entrevue pour expliquer que Glenn Chamandy s’intéressait plus à un centre de villégiature avec golf qu’il développe à la Barbade qu’à Gildan, qu’il allait rarement au bureau, qu’il n’a pas préparé le plan de relève convenu avec le CA, que son plan d’investissement de plusieurs milliards de dollars est trop risqué et, finalement, qu’il a vendu «presque toutes» ses actions.

Toutefois, ces allégations n’émeuvent pas les neuf fonds d’investissement qui demandent le retour de Glenn Chamandy. Un gestionnaire de Jarislowsky Fraser a insisté sur le fait que Glenn Chamandy a réalisé avec succès de nombreuses acquisitions, qu’il a bien dirigé l’entreprise et que celle-ci gère bien la diversité et l’inclusion. Il estime que la réputation de Vince Tyra est surfaite et que ses expériences en fabrication et en marketing sont limitées. Il voit un conflit d’intérêts dans l’octroi à Coliseum d’un siège au CA de Gildan.

 

Assemblée des actionnaires

Les explications exprimées de part et d’autre pour congédier ou garder Glenn Chamandy sont tellement contradictoires qu’il doit y avoir une ou plusieurs raisons qui demeurent cachées. D’une part, il paraît invraisemblable que le CA, qui est formé de personnes qualifiées, ait pu agir de façon improvisée.

D’autre part, il semble également invraisemblable que des gestionnaires expérimentés de fonds institutionnels qui gèrent des centaines de milliards d’investissements puissent se ranger derrière un PDG simplement parce que celui-ci ne veut pas quitter son poste.

Il est évident que le CA de Gildan a perdu confiance en son PDG et qu’il a voulu crever un abcès avant que celui-ci se transforme en cancer, tout en sachant que cette décision allait créer des remous chez les employés et les investisseurs (valeur boursière en baisse de 15% depuis le 11 décembre).

Le CA, qui n’avait pas prévu l’ampleur de la révolte des fonds institutionnels qui s’opposent à la destitution de Glenn Chamandy, ne peut plus jouer à l’autruche en attendant que la tempête passe.

Étant donné que des actionnaires contrôlent 35% des droits de vote, ce qui est bien supérieur au seuil de 5% prévu par la loi pour exiger la convocation d’une assemblée extraordinaire pour contester une décision du CA ou encore pour proposer de nouveaux administrateurs, le CA doit convoquer l’assemblée demandée. Il a 21 jours pour en annoncer la date. À moins d’un règlement à l’amiable du différend, chaque partie devra envoyer aux actionnaires l’information justifiant sa décision. C’est une crise qui aurait dû être évitée, mais on ne peut plus reculer. Amen!

 

***

J’aime

Le militantisme actionnarial continue de croître. Selon Lazard, grande firme d’investissement, il y a eu 252 campagnes de militantisme en 2023 en Amérique du Nord, en Europe et en Asie, comparativement à une moyenne de 210 au cours des cinq années précédentes. De nouveaux militants ont mené 77 campagnes en 2023, en regard de 44 en moyenne de 2018 à 2022. En outre, 122 batailles ont été gagnées en 2023 pour changer des administrateurs, une hausse de 13% en un an, mais sans augmentation sur la moyenne des cinq années précédentes.

Je n’aime pas

Le Québec recevra moins de transferts fédéraux et de péréquation. Selon La Presse, la baisse des transferts pour la santé et les programmes sociaux baissera cette année à 90M$ en raison de la plus faible croissance de sa population que celle du reste du Canada. Quant à la péréquation fédérale, elle diminuera de 721M$ (-5,1%) selon The Globe and Mail, en raison d’une plus faible croissance de la capacité fiscale du Québec, par rapport à celles des autres provinces. Ajoutée aux baisses des impôts et aux chèques préélectoraux du gouvernement Legault ainsi qu’à la hausse des salaires des fonctionnaires, la baisse des transferts fédéraux pèsera lourd sur les finances de l’État.