(Photo: 123RF)
BLOGUE INVITÉ. Combien d’entreprises tombent en ce moment dû à la pression de leurs investisseurs d’aller toujours plus vite? Le nombre est effrayant! Juste dans mon réseau rapproché, je connais trois jeunes pousses prometteuses qui ont brûlé beaucoup trop rapidement leurs capitaux et devront probablement fermer leurs portes prochainement.
Cela m’a amené à me questionner sur une question clé : «devons-nous croître aussi vite que nos investisseurs le souhaiteraient»? Mon point de vue aujourd’hui : je ne pense pas.
Voici pourquoi.
«Ne t’inquiète pas, Dominic. Nous vous soutiendrons», m’a dit «Simon» (nom fictif), l’un de nos investisseurs, après une réunion du conseil d’administration. Simon voulait que nous allions plus vite que prévu initialement. Nous n’étions pas «suffisamment ambitieux» malgré notre proposition de doubler nos revenus durant les deux prochaines années.
Et Simon pensait vraiment ce qu’il disait. Il était, à ce moment-là, en train de me dire qu’il continuerait à nous financer si nous avions besoin de plus d’argent.
Ce fut aussi le cas, en plein milieu de la COVID, il nous recommanda d’accélérer le développement produit et les ventes pour être très bien positionnés à la sortie de la crise, réinjectant des capitaux. C’est principalement cette décision qui fait aujourd’hui que Connect&GO est l’un des joueurs clés de l’industrie des attractions touristiques après seulement quatre ans dans cette industrie.
Lors de notre dernier financement, l’équipe de direction prit la décision de ralentir un peu la croissance dans le but de protéger ses liquidités et d’être certain de ne pas manquer d’argent avant d’avoir atteint nos objectifs. Nous avons avisé nos investisseurs que nous n’aurions pas besoin de nouvelles liquidités avant fin 2023, ce qui nous donnait une certaine indépendance.
Les investisseurs ne veulent pas que vous demandiez plus d’argent rapidement, mais ils veulent que vous alliez vite.
Rapidement, nous avons constaté que la fin de la crise sanitaire liée à la COVID-19 présentait une foule d’occasions et qu’il y avait une possibilité d’aller beaucoup plus rapidement.
Nous avons donc présenté à nos investisseurs plusieurs scénarios : soit le statu quo, le retour très rapide à la profitabilité (avec un gel de la croissance) ou encore d’y aller plus vite à pleins gaz.
Quel fut le choix des investisseurs : accélérer maintenant. Cependant, cela allait évidemment affecter nos liquidités. Il était clair qu’une nouvelle mise de fonds serait nécessaire — rapidement. D’un côté, nos investisseurs souhaitent que nous accélérions dès maintenant, de l’autre, nous n’avions même pas commencé les discussions sur les conditions d’un prochain financement.
Si je m’étais écouté, j’aurai accéléré sur le champ (mauvaise idée comme vous pourrez le voir plus tard). Mon chef des opérations, plus conservateur, refusera de faire la majorité des embauches «avant que le chèque soit reçu»).
Les discussions n’allant pas à la vitesse requise, j’ai dû aviser le conseil que nous n’atteindrions pas les objectifs si le financement n’était pas fermé d’ici deux semaines. Le tout m’aura permis de rapidement fermer le financement et de débuter le nouveau plan de croissance. Mais cela aurait pu être très différent.
Vos objectifs et ceux de vos investisseurs peuvent être différents
Vous devez comprendre la motivation de vos investisseurs. Les investisseurs en capital-risque investissent dans plusieurs entreprises à la fois.
Pour que l’investissement d’un fonds en capital de risque dans votre entreprise soit «très intéressant», ils doivent gagner au moins 10 fois leur mise. En d’autres termes, si vous ne devenez pas une entreprise de plusieurs centaines de millions de dollars, il n’y a que peu de chance que vous ayez une réelle influence sur le rendement de votre fonds d’investissement.
C’est pourquoi vos investisseurs risquent de toujours vous pousser à aller plus vite! Ce n’est pas un plan machiavélique pour augmenter leur propriété. Il est simplement dans l’intérêt du fonds d’investissement que vous embauchiez plus d’ingénieurs, afin d’introduire plus de produits, plus rapidement, augmentant ainsi vos revenus et votre valorisation. Une entreprise qui stagne pour un fonds d’investissement est automatiquement perçue comme une perte.
Vous devez faire ce que vous pensez être juste, pas ce que vos investisseurs vous poussent à faire.
Si, comme dans le cas de Connect&GO, le résultat de l’investissement débouche sur une hausse très rapide des revenus et des clients et de la valorisation de l’entreprise, c’est excellent. Mais imaginons le cas contraire avec des revenus n’augmentant pas comme prévu, disons… dû à une récession? Et que vous tombiez dans un moment où de nouvelles liquidités sont nécessaires, mais que vu le contexte, vous n’êtes pas en mesure d’en lever plus. Vous ne serez donc qu’un autre investissement «raté» pour votre fonds de capital de risque.
Dès lors, votre fond se concentrera uniquement sur ses autres investissements de son portefeuille : vous serez mis aux oubliettes! Tant que certains investissements du fonds se transforment en licornes valant des milliards, les responsables du fonds seront très satisfaits de leurs rendements et oublieront très vite votre échec! D’où le mot RISQUE dans le capital de risque!
Contrairement au fonds d’investissement pour qui votre entreprise n’est «qu’un de ses investissements», il s’agit pour les fondateurs d’une question de vie ou de mort. Si l’entreprise échoue, l’investisseur perdra ses billes. Mais les entrepreneurs, qui servent souvent de cautions personnelles pour des prêts bancaires, ne possèdent pas toutes ces autres entreprises sur lesquelles s’appuyer comme un fonds d’investissement. Très souvent, l’entrepreneur à toutes ses billes dans un seul panier : son entreprise!
C’est pour cette raison que vous avez tout à fait le droit de penser différemment que vos investisseurs quant à la meilleure façon d’aller de l’avant.
Nous vous soutiendrons
Dernièrement, je parlais avec un ami entrepreneur de la situation de sa «scale-up». Ayant connu une superbe croissance durant la pandémie (étant dans le domaine des technologies médicales), il s’est fait demander par ses investisseurs d’accélérer de manière très rapide ses embauches et sa croissance malgré les risques de trésorerie. Ses investisseurs le rassurent en lui mentionnant «nous allons vous soutenir». Soyons transparent, «nous allons vous soutenir» ne signifie pas écrire un chèque.
Lorsqu’est venu le temps de demander le chèque, le contexte économique avait changé, la croissance avait un peu ralentit et le coût des capitaux augmenté. Résultat : l’entreprise n’avait plus de 3 mois de liquidités et ses investisseurs ne l’ont pas soutenu!
Après rétrospective, mon ami entrepreneur n’aurait jamais dû faire une seule embauche avant d’avoir le chèque. Sa réponse aurait dû être : «Génial. Embaucher plus d’ingénieurs va clairement diminuer nos liquidités. Pouvez-vous me confirmer quand nous recevrons votre nouvelle offre de financement et votre chèque?»
Au lieu de cela, il a pensé naïvement qu’il avait le soutien «à jamais» de ses investisseurs, et il a brûlé tout l’argent de la compagnie pour aller plus rapidement!
Résultat : le fond a rapidement essuyé la perte (vendant la compagnie pour la valeur de leurs actions privilégiée) et mon ami entrepreneur a tout perdu.
Réfléchissez à cette histoire avant de faire ce que vos investisseurs vous disent de faire. Faites ce qui est bon pour vous, pour l’entreprise et si vous avez un bon investisseur, pour lui aussi, mais pas à tout prix!