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« Un investissement dans les sables bitumineux peut-il être considéré comme un investissement vert? »
Cette question peut sembler étrange. Pourtant, elle se pose. Surtout au Canada, une économie où le poids du secteur pétrolier est important. Compte tenu de l’empreinte carbone de ce secteur, il y aurait plus à gagner en réduction de GES à investir dans l’assainissement du processus d’extraction et de transformation des sables bitumineux qu’à financer des secteurs bas en carbone.
Ce sujet délicat était au cœur du panel «L’avenir de la finance durable au Canada», qui s’est déroulé ce matin dans le cadre de la Conférence de l’Association de l’investissement responsable (AIR).
En 2018, le gouvernement du Canada a confié à quatre experts le mandat de sonder le secteur financier afin d’établir comment le Canada pourrait développer un secteur de la finance durable robuste. Deux de ces experts (Kim Tomassin, première vp affaires juridiques et secrétariat CDPQ et Tiff Macklem, doyen de la Rotman School of Management) ont participé au panel de ce matin.
Au début juin, leur rapport sera déposé auprès du ministère des Finances et du ministère de l’Environnement et du Changement climatique. Il devrait compter une quinzaine de recommandations.
Ce rapport canadien arrive tard. Des pays comme la France, la Grande-Bretagne et même la Chine ont déjà complété leur commission d’experts et remis leur rapport. Ces rapports nationaux s’inscrivent dans la foulée des travaux du Groupe de travail sur la publication d’informations financières relatives au climat (TCFD), mis en place par le Conseil de stabilité financière (FSB).
«La finance ne réglera pas l’enjeu du changement climatique, concède Tiff Macklem. Mais ce qui est financé se concrétise.»
Revenons à la question de départ: un investissement dans les sables bitumineux peut-il être un investissement vert? Quels investissements faut-il inclure dans la finance durable?
Ce matin, les experts du Groupe de travail canadien ont insisté sur la particularité de l’économie canadienne: notre économie est une forte génératrice de carbone. Plus que l’économie européenne, pour qui le secteur pétrolier n’existe pratiquement pas. «Pour les Européens, la réponse est binaire, souligne le doyen de la Rotman School of Management. Un investissement est propre ou il est sale. Il n’existe rien entre les deux. Et les Européens souhaitent imposer leur taxonomie binaire à l’international. Ce qui exclurait les investissements dans le secteur pétrolier canadien de la finance durable» Il poursuit, «Le Canada doit être présent à l’international pour exposer la voix de pays comme lui, dont l’économie est intensive en pétrole. Il faut établir l’importance et la valeur des investissements dans la transition énergétique. Ces investissements doivent être inclus dans l’offre de la finance durable.»
Une question a été soulevée par une participante membre du comité d’experts européens: quelle étiquette les investissements dans le secteur pétrolier canadien porteront-ils : s’agira-t-il d’investissements de transition ou d’investissements verts? Appartiendront-ils à une catégorie à part nommée «investissements de transition» ou seront-ils inclus d’emblée dans la catégorie «investissements verts»?
Revenons à l’affirmation de Tiff Marklem, «Ce qui est financé se concrétise.» Alors qu’il existe un mouvement pour désinvestir dans les énergies fossiles, le panel sur l’avenir de la finance durable au Canada veut plutôt convaincre les Canadiens d’y investir davantage. Et ce, à cause de la taille des gains potentiels.
Soyons francs, c’est complexe. Alors que l’investissement responsable soulève encore le scepticisme chez les non-initiés – plusieurs y voient de l’écoblanchiment et socioblanchiment – comment y ajouter le secteur pétrolier, particulièrement les sables bitumineux? Et comment convaincre les investisseurs – ceux du marché de détail aussi bien que ceux du marché institutionnel – qu’en investissant dans le secteur pétrolier ils contribuent à sauver la planète? Il restera plus attirant d’investir dans un système de transport propre que dans les sables bitumineux. Et comment éviter de soulever un vent de scepticisme vis-à-vis le secteur de la finance durable en général si on y ajoute le secteur pétrolier.
Que penser de la double classification: investissement de transition et investissement vert? En faisant la distinction, ajoute-t-on de la crédibilité? Sans compter qu’en créant des produits de placement centrés sur la transition on attire peut-être les investisseurs soucieux du sort des travailleurs des industries polluantes?
Je n’ai pas de réponse ni d’opinion arrêtée. Le panel de ce matin a soulevé de nombreuses réflexions. C’est bien.
Je reconnais qu’en termes de virage vert le cas du Canada ne peut être comparé à celui de l’Europe. La tâche est plus imposante. Mais compte tenu de l’ampleur de cette tâche, il me semble que nous aurions dû nous y attaquer plus tôt que les Européens. Et qu’on devrait y mettre davantage d’ardeur. Souhaitons que les recommandations du Groupe d’experts sur l’avenir de la finance durable soient à la hauteur du défi.