Sébastien Fournel, professeur au Département des sols et de génie agroalimentaire de l’Université Laval, fait partie des scientifiques impliqués dans Laboratoire vivant — Lait carboneutre. (Photo: courtoisie)
AGRI-AGRO. Une expérience à petite échelle qui s’est récemment mise en branle dans une poignée de fermes laitières du Québec pourrait changer la donne dans le secteur.
L’avenir de la production laitière québécoise se joue (un peu) à la ferme Vimo de la municipalité de Hatley, en Estrie. L’entreprise familiale de quatrième génération est en effet l’une des vingt fermes laitières dans quatre régions du Québec qui s’est porté volontaire pour adhérer au projet pilote Laboratoire vivant — Lait carboneutre. L’objectif est ambitieux : paver la voie à une production laitière à la ferme neutre en carbone d’ici 2050.
Depuis l’automne dernier, une trentaine de chercheurs travaillent donc de pair avec ces producteurs pour cerner les meilleurs moyens d’améliorer l’empreinte carbone de leur exploitation. « Ce sont surtout des initiatives aux champs, comme les types de bandes riveraines (arbustives, herbacées, etc.) qui seront d’abord mises de l’avant », raconte Pascal Viens, copropriétaire de la ferme Vimo.
Même la manière de comptabiliser les gaz à effet de serre (GES) sera considérée. À la lumière des différents protocoles de quantification mis en œuvre, chacune des fermes participantes pourra par exemple comparer ses performances à venir à celle de 2022, l’année de référence. « Des mesures seront prises à même les sols pour apprécier leur potentiel à séquestrer du carbone », illustre le producteur laitier.
Les leçons apprises lors de ces projets de recherche collaborative en continu seront partagées avec tous les producteurs laitiers québécois et canadiens. C’est d’ailleurs ce qui a motivé la famille Viens à embarquer, elle qui avait déjà tissé d’autres partenariats du genre, notamment avec l’organisme Régénération Canada. « Il faut que ça alimente les meilleures pratiques dans l’industrie », souhaite Pascal Viens.
Croûtes à manger
Laboratoire vivant — Lait carboneutre est chapeauté par les Producteurs de lait du Québec (PLQ), qui représente les quelque 10 000 producteurs laitiers de la province. L’organisme bénéficie d’un investissement fédéral de l’ordre de 7 millions de dollars sur cinq ans pour mener à terme ce projet, rapporte un communiqué de presse d’Agriculture et Agroalimentaire Canada, à l’origine du financement, datant de juillet 2023.
Il faut dire que le secteur de la production laitière a des croûtes à manger. L’empreinte carbone par kilogramme de lait produit au pays a beau figurer parmi les plus faibles du monde, elle n’en demeure pas moins importante. Une vache laitière produit ainsi chaque année une quantité de méthane équivalant aux émissions de GES produites par une voiture moyenne qui parcourt 20 000 kilomètres, selon Agriculture et Agroalimentaire Canada.
« Ce type de projet de recherche vise justement à identifier les gestes qui auront une réelle incidence pour améliorer encore plus ce bilan, fait valoir François Dumontier, directeur des communications, des affaires publiques et de la vie syndicale des PLQ. Quelles sont les technologies, pratiques de gestion et innovations qui sont avantageuses à la fois pour les producteurs et l’environnement ? »
Laboratoire vivant — Lait carboneutre s’inscrit de manière plus globale dans un virage vers la durabilité entamé par les PLQ. En 2023, l’organisme s’est par exemple doté d’un plan d’action en développement durable qui fait la part belle à la lutte contre les changements climatiques. On y lit notamment que l’empreinte carbone d’un kilogramme de lait au Québec a diminué de 8,7 % entre 2011 et 2016.
Étables durables
Sébastien Fournel, professeur au Département des sols et de génie agroalimentaire de l’Université Laval, fait partie des scientifiques impliqués dans Laboratoire vivant — Lait carboneutre. Le titulaire de la Chaire de leadership en enseignement des bâtiments agricoles durables s’intéresse aux moyens de rendre les étables de demain plus respectueuses à la fois des vaches laitières et de l’environnement.
Cela passe entre autres par l’aménagement d’espaces intérieurs qui imitent les pâturages, de manière à offrir une plus grande liberté aux animaux. En plus d’être lumineux et dénués de divisions, ces bâtiments seraient dotés de planchers artificiels confortables propices à une meilleure gestion des différentes phases du fumier, qui contiennent de l’ammoniac, de l’azote, du phosphore et, surtout, du méthane.
« Le bien-être et l’environnement vont souvent à l’encontre l’un de l’autre, explique le chercheur. Il y a donc un compromis d’autant plus difficile à trouver que les producteurs laitiers sont soumis à des enjeux de rendement. » Ce projet constitue selon lui une occasion de « fournir des réponses concrètes » à leurs questions en matière de durabilité.
Cette sensibilité à la réalité du secteur représente d’ailleurs l’une des forces de Laboratoire vivant — Lait carboneutre, pense Pascal Viens. « Les chercheurs viennent mesurer sur nos fermes, nous ne sommes pas dans la théorie. Ce faisant, ils généreront des données ancrées dans des conditions réelles. » Cela vaut bien la peine d’ajouter par-ci, par-là quelques heures de travail à son emploi du temps déjà bien chargé.