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Dépenser des grosses sommes d’argent, est-ce investir?

Les investigateurs financiers|Publié le 02 août 2019

Dépenser des grosses sommes d’argent, est-ce investir?

(Photo: 123RF)

BLOGUE INVITÉ. Un jour, une vieille connaissance m’a téléphoné pour me demander conseil. Il voulait s’acheter un 2e condo de luxe sur l’île de Montréal. Au téléphone, il me dit : « Tout le monde à qui j’en ai parlé est contre l’idée ; cependant, je crois qu’avec ton expérience, tu seras en mesure de comprendre. » Sachant d’avance sa situation financière précaire, je me suis dit : « Ouf ! Il sera déçu en obtenant mon avis. »

En discutant autour d’un café, il m’a énuméré ses arguments. En gros, il entrevoyait une augmentation substantielle de sa qualité de vie, avec un gain potentiel à la revente de son condo ainsi que la possibilité de faire de l’argent en le louant au besoin. Sans surprise, je me suis rangé du côté de l’opinion générale. Il semblait déçu, mais comprenait qu’il serait trop serré financièrement. Pourtant, j’apprends à peine deux semaines plus tard qu’il suivrait son plan comme prévu.

Voilà une situation typique lorsque vient le temps d’acheter un bien que l’on ne devrait pas. On commence par le convoiter. Ensuite, on le déguise en « investissement » pour absorber le choc émotionnel de la dépense. Dans ce cas-ci, notre acheteur savait fort bien qu’il s’exposait à un risque financier important. Il souhaitait toutefois trouver des raisons pour justifier son achat, et cherchait une confirmation de ma part. Ne l’ayant pas obtenue, il a probablement rencontré une autre personne qui a finalement acquiescé. Ironiquement, si j’avais approuvé son projet, il aurait cessé de sonder les gens autour de lui et aurait immédiatement envoyé son offre d’achat.

Nous sommes ici en présence du biais de confirmation. Présent chez bien des investisseurs, il s’agit d’un biais cognitif menant une personne à privilégier les informations confirmant ses idées préconçues, tout en rejetant ou en diminuant l’importance des informations qui vont dans le sens contraire. Par exemple, un investisseur enthousiaste envers le titre Beyond Meat (NASDAQ:BYND) portera attention à tout ce qui se dit sur la popularité du végétarisme et les ententes commerciales pour vendre ce nouveau produit. Cela renforce sa conviction. À l’opposé, tout commentaire selon lequel la société n’est toujours pas profitable, le fait qu’elle fait face à une forte compétition et la riche évaluation de son titre seront presque totalement ignorés.

L’an passé, j’observais des sofas dans un magasin de meuble, et j’ai cru comprendre que les vendeurs connaissent bien, probablement inconsciemment, l’importance du biais de confirmation. En m’entendant dire que je trouvais cher un sofa qui se vendait dans les 6 000 $, le vendeur a répliqué : « Ah, mais vous savez, c’est un investissement ! »

Ce commentaire sous-entendait d’une part qu’on « investissait » dans le confort et le luxe, et d’autre part, dans la durabilité, permettant d’économiser à long terme. Cependant, le terme semble évoquer qu’il ne s’agit pas vraiment d’une dépense. On se retrouverait plutôt dans une autre catégorie plus ou moins définie, permettant à l’esprit de se concentrer moins sur la dure réalité qu’une dépense demeure une dépense ! Or, je songe aux vieux meubles que je recevais jadis de mes proches, qui s’empressaient de les remplacer par des meubles coûteux qu’ils n’entrevoyaient pas vraiment comme étant des dépenses. Il me suffit de considérer tout l’argent que j’ai ainsi économisé et pu placer à la Bourse à l’époque : voilà le vrai investissement !

L’endroit où j’assiste le plus à ce phénomène, c’est bien dans le secteur de la rénovation, avec la réplique : « C’est un gros montant à mettre, mais ça donnera de la valeur à la maison ! ». Pourtant, dans bien des cas, on ne récupère pas la totalité de l’investissement. J’ai connu quelqu’un qui avait refait un étage de sa maison au complet, pour plus de 90 000 $. Un événement survint dans sa vie, et il s’est retrouvé dans l’obligation de vendre peu après. Quelle ne fut pas sa surprise lorsque cette personne a constaté qu’elle récupérerait à peine la moitié du montant.

En outre, on oublie trop souvent le coût d’opportunité. Si vous dépensez immédiatement 20 000 $ et que vous n’avez pas l’intention de vendre à court terme, vous devez considérer le rendement sacrifié sur cette somme. Ajoutons à cela l’usure : à partir du premier jour où la rénovation est terminée, on se rapproche tranquillement du prochain jour où tout sera à refaire. Il y a bien des années, la cuisine de mon ancienne maison était vraiment mûre pour un changement complet. Étant un peu excessif sur la question du coût d’opportunité je dois l’avouer, j’ai patienté 10 ans.

Grâce aux bons rendements moyens de la Bourse sur cette période (même en incluant la crise financière), je me suis retrouvé avec plusieurs fois la somme que j’aurais déboursée, en plus d’avoir une cuisine toute neuve. Bien sûr, je n’ai pas pu en bénéficier durant une décennie. C’était ça, « l’investissement ».

Avoir été en proie au biais de confirmation pour justifier la dépense dans ce cas particulier, je n’aurais pas eu de difficulté à obtenir l’approbation d’autrui. D’ailleurs, je n’avais pas à demander. Il me suffisait d’écouter les commentaires ! Il faut donc beaucoup de discipline. Dans le cas contraire, il n’y a rien de mal à se faire plaisir. Il suffit de reconnaître que la dépense sert principalement à améliorer votre confort ou votre bien-être, et non celui de votre portefeuille. 

 

Rémy Morel, CIM, Associé Barrage Capital