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SPÉCIAL 95 ANS D’INNOVATION. Combien de temps, en moyenne, une action est-elle détenue aujourd’hui? Si vous répondez un an, vous êtes loin du compte. C’est bien moins.
«Nous observons de façon générale, dans les marchés boursiers, que l’horizon d’investissement rétrécit énormément. Si on regarde la période de détention moyenne d’une action aujourd’hui, c’est à peu près trois mois. Aux débuts de LetkoBrosseau et de Jarislowsky Fraser, on investissait pour les 20 prochaines années. On investissait dans des gens, des actifs, des plans de développement», explique David Després, vice-président aux services d’investissement chez LetkoBrosseau.
Ce qui lui fait dire que les investisseurs ne sont plus propriétaires des actions qu’ils possèdent. Puisque l’actionnariat des entreprises est devenu très diffus, souvent, avec la montée des fonds indiciels, cela crée un «actionnariat qui donne un pouvoir au gestionnaire qui ne se voit plus comme un fiduciaire, mais comme un propriétaire. C’est un problème».
«Si tu détiens une entreprise pendant trois mois, tu ne vas pas t’investir pour la comprendre de fond en comble. Tu ne vas pas t’investir dans sa gouvernance et s’assurer qu’elle traite bien ses clients et ses employés. Tu vas penser à ta prochaine aventure et tu vas vendre. Ce n’est pas quelque chose qui est sain pour la société en général», poursuit-il.
«La nouvelle génération est plus portée à acheter et à vendre que de détenir à long terme, de même qu’à s’aventurer dans des secteurs où elle n’est pas familière, renchérit Reena Atanasiadis. Les investisseurs plus âgés connaissent leurs compétences et ils savent où s’arrêter. Alors, ils investissent dans les choses qu’ils connaissent et où ils auront du succès.»
Au tournant des années 2000, Stephen A. Jarislowsky visitait encore près de 200 entreprises par année. Son but:connaître les entreprises dans leurs moindres détails, leur secteur d’activité ainsi que les personnes qui les dirigeaient. «Le côté relationnel était beaucoup plus fort qu’aujourd’hui», dit-il.
Cela dit, insiste-t-il, la gestion de portefeuille est «beaucoup plus facile aujourd’hui. Tous les calculs sont faits par ordinateur. Pas besoin de faire ça à la main. On peut aussi obtenir de l’information que nous n’avions jamais auparavant. Tout ça en quelques secondes. Cela fait en sorte que nous avons aujourd’hui plus de connaissances que jamais dans l’histoire».
Beaucoup plus de connaissances et beaucoup plus de façon de naviguer dans les marchés financiers, et aussi les marchés privés, qui sont de plus en plus prisés par les gestionnaires de portefeuille.
Jean-Guy Desjardins se rappelle que lorsqu’il dirigeait sa première firme de gestion de portefeuille, TAL, il avait mis au point une vingtaine de stratégies de placement. Aujourd’hui, son entreprise, Fiera Capital, en compte une centaine.
«Au début de la théorie du portefeuille moderne (sur lequel il a construit son succès), tu avais du cash, des obligations et des actions. C’était juste du marché boursier et c’était très limité. Aujourd’hui, même à l’intérieur des marchés boursiers, il y a une multiplicité de stratégies de placement. Chez nous, juste pour les marchés émergents, nous avons trois stratégies. Il y a 30 ans, on ne parlait pas d’investir au Bangladesh. En actions canadiennes, c’est pareil. Tu as beaucoup plus de choix», dit-il.
Plus diversifiés, donc, les marchés, mais toujours de plus en plus complexes avec la multiplication des possibilités d’y investir. Ce qui pousse l’ancienne directrice générale de la Bourse de Montréal, Joan Paiement, à faire une mise en garde. «Un terme qui m’a toujours choquée est celui de ‘‘jouer à la Bourse’’. Ça m’insultait. Ce n’est pas un jeu. C’est sérieux, il faut faire ses devoirs et se fier à des gens qui sont qualifiés», insiste-t-elle.