Certaines firmes ne peuvent pas toujours soumissionner pour tous les projets qui leur semblent intéressants, en raison de la pénurie de main-d’œuvre. (Photo: 123RF)
ARCHITECTURE. Nouvelles écoles, nouvelles résidences pour aînés, quelques milliers de logements sociaux, plusieurs projets de tours de condos, le mégacomplexe Royalmount, de nombreux bâtiments vieillissants… Les projets nécessitant des architectes s’additionnent. Comment les firmes répondent-elles à cette forte demande, qui plus est en période de pénurie de main-d’oeuvre?
La firme Bisson Fortin Architecture + Design, de Laval, multiplie les efforts de recrutement et les méthodes mises de l’avant sont diverses. «C’est clair qu’il y a une rareté de main-d’oeuvre. C’est difficile de trouver des candidats qui correspondent aux profils voulus, alors on recrute des gens avec moins d’expertise et d’expérience et on les forme nous-mêmes à l’interne», dit l’architecte associé Richard A. Fortin.
Certains employés plus expérimentés, comme des technologues seniors, offrent un accompagnement aux employés qui en ont besoin. Une autre personne dans l’entreprise est une formatrice spécialisée en modélisation des données du bâtiment, et peut donc enseigner ce nouveau processus.
Comme Bisson Fortin Architecture + Design investit dans la formation, elle veut s’assurer de retenir les gens formés. «Il faut s’assurer que les employés sont heureux», souligne M. Fortin. Ce qui passe bien sûr par les salaires, qui subissent une pression à la hausse. Cela se révèle un défi, parce que les honoraires des firmes d’architecture qui réalisent les bâtiments gérés par les ministères et les organismes publics sont gelés par le gouvernement provincial depuis 2009.
Satisfaire les employés passe donc aussi par un changement des façons de faire de l’entreprise. Cela implique notamment d’offrir une plus grande flexibilité aux employés, entre autres en ce qui a trait aux congés, aux horaires et au télétravail. Mais aussi d’adapter la forme de leadership. «Il faut créer un bon climat de travail, dit M. Fortin. On essaie donc de diriger l’entreprise de façon plus ouverte, plus flexible et moins hiérarchisée pour que les gens soient et se sentent plus impliqués. On s’assure de répondre à leurs besoins et à leurs aspirations.»
Sélectionner ses projets
Bisson Fortin Architecture + Design travaille actuellement sur des dizaines de projets, incluant plusieurs de grande envergure, comme le Réseau express métropolitain (REM), la station de métro Vendôme et le garage Côte-Vertu de la Société de transport de Montréal (STM). Même si la firme est très occupée, elle n’a jamais encore dû refuser de mandats de ses clients. Elle reconnaît cependant qu’en raison de la surchauffe actuelle, elle doit parfois «se retenir» de soumissionner à des projets qui, en d’autres circonstances, l’intéresseraient.
«Il faut être plus sélectif, précise M. Fortin. On veut offrir de la qualité dans nos mandats actuels, alors on ne prend pas le risque de solliciter d’autres projets, parce qu’on sait que ce sera difficile de trouver de la main-d’oeuvre additionnelle.» Ce qui est encore plus vrai dans un contexte où les délais de réalisation sont extrêmement courts, les exigences serrées et les budgets, pas toujours adéquats, explique M. Fortin. «Ça n’a jamais été aussi difficile de répondre aux demandes des donneurs d’ouvrage.»
Moins d’appels d’offres
De cette surchauffe résulte un nombre moindre de soumissions par appel d’offres, estime M. Fortin. «Moins de firmes soumissionnent, alors les donneurs d’ouvrage reçoivent peut-être deux ou trois offres plutôt que cinq ou six.»
Une baisse qu’observe également l’Association des architectes en pratique privée du Québec (AAPPQ), qui dit être toujours plus sollicitée par les donneurs d’ouvrage, dont la Société québécoise des infrastructures, afin d’attirer plus de firmes à prendre part aux appels d’offres.
Vue la forte demande, certaines firmes ont par ailleurs peut-être tendance à choisir d’abord les projets privés – souvent plus payants – que publics, explique Julien Serra, directeur des communications de l’AAPPQ.
Pour les aider à mieux répondre aux besoins du marché, certaines firmes d’architecture aimeraient que les donneurs d’ouvrage fassent preuve de plus de souplesse, rapporte M. Serra. Plus précisément, le milieu aimerait que ceux-ci soient plus flexibles en ce qui a trait aux personnes qui ont été assignées spécifiquement aux projets, en autant, bien sûr, que l’expertise des professionnels demeure la même.
«Si une firme a indiqué dans son appel d’offres que ce serait tel gestionnaire qui serait affecté au chantier, mais qu’il n’est finalement plus disponible, elle peut subir une pénalité», précise M. Serra. Or, assigner un gestionnaire ou une équipe précise à un projet est parfois difficile pour une firme, considérant qu’elle soumissionne à plusieurs appels d’offres, et que lorsqu’elle les remporte, certains projets commencent parfois en même temps. D’où le désir pour une plus grande souplesse de la part des donneurs d’ouvrage.
Une autre façon d’alléger la surchauffe serait, dans le cas de certains donneurs d’ouvrage, d’exprimer leurs besoins de façon plus rigoureuse; à cette étape où sont définis les besoins du client dans le cadre du projet, en matière de capacité d’accueil ou de fonctionnalités, par exemple. «Si c’est bien fait, on gagne beaucoup de temps par la suite, lors de l’élaboration des plans, souligne M. Serra. Ça veut aussi dire un projet livré plus rapidement.» Une proposition gagnant-gagnant.