Du monde corporatif à l’économie sociale: aspirer au meilleur
Rayane Laddi|Publié le 12 septembre 2021L’économie sociale génère au Québec près de 47,8 milliards de dollars et emploie environ 220 000 salariés. (Photo: Arthur Humeau pour Unsplash)
BLOGUE INVITÉ. Dans un parcours professionnel, il existe des moments d’apprentissage, d’échecs, de réussites, mais aussi de grande transition. Au Québec, une tendance est passée sous silence: celle des employés du monde corporatif qui quittent l’environnement familier des entreprises pour travailler en économie sociale.
Au premier regard, cette décision peut surprendre. En effet, le monde caritatif n’est pas connu pour offrir des salaires qui rivalisent avec ceux des grandes entreprises. Alors, pourquoi des employés compétents, ambitieux et assurés d’un bel avenir décident-ils de quitter leurs fonctions pour rejoindre l’équipe d’une organisation sans but lucratif (OBNL)?
Pour le savoir, j’ai voulu rencontrer deux de ces professionnels qui ont décidé de faire le grand saut. Parler avec eux m’a permis de mieux comprendre leur démarche, mais aussi d’avoir un éclairage intéressant sur un enjeu qui trouble beaucoup d’employeurs: celui du recrutement et de la rétention d’employés.
Un besoin de faire plus
Après quinze ans dans une carrière en marketing au sein d’entreprises à vocation commerciale, Martin Goyette a décidé de faire la transition vers le domaine des organismes caritatifs. Il est aujourd’hui directeur général de l’Institut Pacifique.
«Ma carrière corporative allait bien, mais après une expérience marquante de participation à une campagne de financement j’ai eu la piqûre de la philanthropie», m’a-t-il expliqué.
Cet événement marquant fut l’occasion pour lui de découvrir qu’il éprouvait un besoin fort de contribuer davantage à la société. Ce besoin n’était tout simplement pas satisfait dans le cadre de son travail.
Quand il est question de besoins, la pyramide de Maslow reste une référence populaire pour les ressources humaines d’une organisation. Pourtant, plusieurs mythes entourent cet outil conceptuel. Par exemple, Abraham Maslow n’a jamais représenté les besoins qu’il a identifiés sous la forme simpliste d’une pyramide. Une illustration plus fidèle de sa théorie ressemblerait plutôt à une toile de besoins, variant avec le temps, l’environnement et la personne dont il est question.
Si une entreprise décidait de mettre de côté ses pyramides et autres organigrammes pour s’intéresser à la réalité empirique de leurs employés, quelles vérités révélerait-elle ? Combien de Martin Goyette découvrirait-elle ?
Un travail qui a du cœur
L’aspiration de travailler pour une cause riche de sens, Danielle Poulin, fondatrice de Caméo Consultation et professeure en philanthropie à l’Université de Montréal, l’a aussi ressentie. Elle décrit ainsi son expérience: « Après mon stage en droit, j’ai travaillé à la Commission de la santé et de la sécurité du travail (CSST), en pratique privée dans un grand bureau et finalement dans une grande entreprise. Je ne trouvais pas le sens profond de mon travail et plusieurs aspects de la pratique ne me convenaient pas.»
Selon elle, les organismes de bienfaisance offrent un milieu de travail plus humain, rempli d’authenticité, de diversité, de convivialité et de créativité, ainsi qu’un quotidien ponctué de rencontres inspirantes avec des leaders en impact social. Une opinion partagée par Martin Goyette.
Ce dont il est question ici, ce sont des environnements de travail qui intègrent l’idée d’«horizontal spirituality» ou spiritualité de l’immanence en français. Ce concept se définit comme un sentiment de sérénité, de sens et de connexion avec soi et les autres. Une notion laïque à ne pas confondre avec la religion!
Dans le contexte d’une épidémie d’anxiété, de stress, de «burnout» et de dépression en société, de plus en plus d’employés cherchent des environnements de travail spirituellement positifs dans lesquels ils peuvent s’épanouir en tant qu’individus, créer un monde meilleur et cultiver un sens de la communauté.
Par la nature de sa mission de bienfaisance, un organisme à but non lucratif réussit plus facilement qu’une corporation à développer une telle expérience de travail.
Il n’empêche que toute organisation a intérêt à se questionner sur la place que peut occuper le spirituel au bureau. Au-delà d’un salaire, quelle est la valeur du temps consacré à l’entreprise? Ou comment un lieu de travail peut gagner en dimension et richesses intrinsèques pour ses employés?
Un géant québécois
Souvent, le secteur de l’économie sociale est victime de toutes sortes de préjugés. Des mots comme «marginal» et «pauvre» y sont associés. Pourtant l’économie sociale génère au Québec près de 47,8 milliards de dollars et emploie environ 220 000 salariés. De plus, les organismes de bienfaisance d’ici font preuve d’un dynamisme et d’un sens de l’innovation exemplaires.
Sur le sujet, Martin Goyette m’a confié ceci : « Au début, je disais que le milieu caritatif avait besoin d’influence du milieu corporatif pour optimiser son impact. Maintenant, je vois que le milieu corporatif a beaucoup de choses à apprendre du secteur philanthropique qui doit constamment faire plus avec des moyens instables ou décroissants.»
«La chose la plus importante que les entreprises ont à apprendre des OBNL c’est l’ancrage dans le sens du travail, du résultat et des impacts du travail, au-delà de l’argent. Personne n’a envie de travailler pour que les actionnaires et la haute direction s’enrichissent. Les employés ont besoin de comprendre ce qu’ils créent du point de vue de la société et de la planète. Les OBNL sont exceptionnellement résilients et adaptatifs. Les plus petits et les plus près des personnes vulnérables l’ont démontré de mille façons pendant la pandémie», rappelle à juste titre Danielle Poulin.