«Je broderai mes écrits autour des thèmes touchant l’économie, la politique, la réalité sociale et l’impact de l’histoire sur ces derniers. C’est la cocréation de partenariats qui a inspiré les modèles d’affaires de mes entreprises», écrit Mélanie Paul. (Photo: courtoise)
BLOGUE INVITÉ. Lorsque je dis aux gens le titre de ma conférence, «Mocassins et talons hauts», ils répondent que c’est «original et accrocheur». Pour moi, ce titre est toutefois beaucoup plus profond que ces qualificatifs. Il est porteur d’histoire et de sens. Les mocassins et les talons hauts représentent l’unité entre mes racines, ma culture autochtone et ma culture québécoise. Les deux font partie de moi et composent la femme, la maman et l’entrepreneure que je suis aujourd’hui.
Comme j’ai vécu du racisme quand j’étais plus jeune, j’ai longtemps ressenti cette dualité intérieure. Difficile de trouver sa place quand tu es dans ta propre communauté et que tu te fais dire que tu devrais aller rester ailleurs parce que tu es «blanche», et lorsque tu arrives «ailleurs», en dehors de la réserve, tu réalises que les «Indiens»n’ont pas leur place, qu’ils ne sont pas les bienvenus, qu’on les juge et qu’on les critique.
Même si ces paroles blessantes venaient d’enfants ou d’adolescents, elles m’ont suivi une longue partie de ma vie. Plus tard, jeune adulte, j’ai fait face à ces stéréotypes dégradants qu’on entend encore trop souvent:«Les Autochtones ne paient pas de taxes ni d’impôts, ce sont des alcooliques, ils se battent tout le temps, ils ne travaillent pas, ils profitent du système et se font vivre par le gouvernement.»Combien de fois ai-je entendu ces préjugés gratuits et dégradants ? Même si ces généralisations n’avaient rien à voir avec ma situation personnelle, je n’avais tout simplement pas envie d’être étiquetée et identifiée à «ça»! Mes cheveux noirs, mes yeux noisette foncé, les traits de mon nez de descendance algonquine auraient pu quelques fois me trahir, mais ma peau moins foncée que la moyenne des Autochtones m’a souvent permis de passer «inaperçue». Parfois, un avantage pour me fondre dans la masse et la «norme»québécoise et être traitée comme les autres. Parfois, un camouflage qui m’aura permis d’entendre des paroles hideuses de ce que les gens pensaient des Autochtones. Sans savoir d’où je venais ni qui j’étais vraiment, les gens qui ont prononcé ces paroles me blessaient profondément. Cette douleur était aussi tranchante qu’un coup de poignard. Ces mots ont résonné en moi comme un écho pendant des années, accentuant mon sentiment de honte et tuant l’«Indienne»en moi. Comment aurais-je pu me sentir fière de mes origines et de mon identité ? Il m’a fallu des années pour comprendre l’impact de notre histoire sur la mienne et sur celle de mon peuple encore profondément blessé aujourd’hui.
Ce n’est qu’après un long parcours et des années de croissance personnelle que je me suis enfin retrouvée. J’ai repris confiance en moi, j’ai compris que je n’avais pas à choisir, j’ai compris que mes forces et mes faiblesses sont une combinaison de mes origines et de la cohabitation de nos deux nations. Mon éducation est teintée des deux couleurs, mes racines et mes valeurs, elles, sont bien ancrées et profondes, rien ni personne ne pourra me les enlever. L’histoire de mon peuple, nos traditions, notre culture, notre mode de vie et nos croyances spirituelles ont trop souvent été mal racontés, mais croyez-moi, elles sont remplies d’amour, de respect, de partage et de richesse. Aujourd’hui, je suis fière d’être ilnu, je suis parce que nous sommes. Et c’est tout aussi vrai pour les autres cultures du Québec. J’ai présidé, en 2015, la table de travail sur le guide de développement de partenariats durable entre Autochtones et allochtones (chapeautée par l’ancien premier ministre du Québec, Philippe Couillard). J’ai aussi siégé à plusieurs comités provinciaux qui souhaitaient contribuer au rapprochement de nos deux peuples. Ce blogue me permettra de vous partager mes expériences et les réalités de l’entrepreneuriat autochtone.
Tout comme l’approche holistique qui teinte nos façons de faire depuis des millénaires, je broderai mes écrits autour des thèmes touchant l’économie, la politique, la réalité sociale et l’impact de l’histoire sur ces derniers. C’est la cocréation de partenariats qui a inspiré les modèles d’affaires de mes entreprises.
André Malraux écrivait, à juste titre, que «juger, c’est de toute évidence ne pas comprendre puisque, si l’on comprenait, on ne pourrait pas juger». Je crois que pour développer et construire des partenariats gagnant-gagnant, ça prend des relations solides, basées sur le respect, la reconnaissance de nos identités mutuelles, nos valeurs, nos forces et nos faiblesses! Cela demande d’accueillir la diversité et les différences, mais surtout de s’ouvrir à l’autre.