Eileen Murray (Photo: courtoisie)
BLOGUE INVITÉ. Durant sa jeunesse, Eileen Murray, co-PDG de Bridgewater Associates, n’a jamais estimé qu’elle était désavantagée. Bien au contraire, grandir dans un logement social de New York lui a permis de s’initier à la collaboration et au soutien des autres, atouts qu’elle met aujourd’hui en pratique à la tête d’une grande société américaine de gestion de placements.
«J’ai le privilège d’avoir grandi dans un voisinage où se côtoyaient des gens de partout dans le monde, dit Mme Murray. Notre voisine d’à côté était italienne et préparait des mets formidables; à droite vivait une famille qui venait de Cuba, et plus loin à l’étage, nous avions des voisins portoricains. Il y avait beaucoup d’entraide. Lorsqu’une mère partait travailler, elle pouvait compter sur une autre pour emmener son enfant chez le médecin.»
Cette enfance multiculturelle lui a donné l’assurance nécessaire pour croire en elle et faire entendre sa voix. Et elle a l’a amenée à placer la méritocratie véritable, celle qui récompense le travail acharné, très haut dans son échelle de valeurs.
Toutefois, en gravissant les échelons, Eileen Murray s’est rendu compte que certaines populations étaient désavantagées sur le marché du travail. Elle a donc choisi de mettre son influence à profit pour bousculer les préjugés d’embauche de ses collègues et s’attaquer à la discrimination systémique dans le monde des affaires.
«Lorsque j’ai commencé à travailler chez Morgan Stanley à titre de contrôleure, on ne comptait que 10% de femmes parmi les cadres supérieurs. Au moment de mon départ, ce chiffre avait grimpé à 52%. Tout ce que j’ai fait pour qu’on en arrive là, c’est de demander aux gens pourquoi ils choisissaient une personne pour un poste plutôt qu’une autre. On en discutait en profondeur. J’ai découvert que le fait de parler longuement de ces décisions était efficace en amont.»
C’est ce désir de diversification de la main-d’œuvre qui a incité Eileen Murray à rester dans le secteur des services financiers. Car si elle aime bien les aspects logiques du travail comptable, sa vraie passion se situe plutôt du côté de la gestion.
«Ce n’est pas qu’une question de chiffres: ce qui compte, ce sont les personnes et la manière dont on les traite, explique-t-elle. Ma grande passion, c’est de travailler avec les autres et leur permettre d’évoluer. Je pourrais le faire dans n’importe quel domaine.»
Lorsqu’elle étudiait la possibilité de se joindre à Bridgewater, elle n’était pas certaine que la vision du développement de l’entreprise lui convenait. En effet, la société de gestion de placements n’est pas peu fière de sa culture d’entreprise unique, dont la ferveur l’a d’abord étonnée. Au fil du temps, toutefois, elle s’est laissée convaincre par l’approche de vérité et de transparence de Bridgewater.
«J’ai compris que nous étions liés par un contrat social qui stipulait que nous devions être honnêtes les uns avec les autres pour nous améliorer et nous comprendre mutuellement», dit Mme Murray.
D’après elle, le style de communication ouverte de Bridgewater aide ses membres à mieux évaluer les risques, facteur clé du succès de l’entreprise. Mme Murray attribue d’ailleurs en partie les crises économiques, comme celle de 2007, à une certaine réticence à parler ouvertement des lacunes en gestion.
«Croyez-vous vraiment que personne, au sein de ces sociétés, ne comprenait ce qui se passait pendant ces crises financières? demande-t-elle. Je crois que, lors de la crise, les gens se sont mis à avoir peur de s’exprimer et d’émettre des doutes. À mon avis, nous sommes à l’abri de ce genre de choses chez Bridgewater, précisément parce que nous osons dire les choses telles qu’elles sont.»
Par ailleurs, on a pensé la structure d’entreprise de Bridgewater de manière à gérer au mieux les risques du secteur des services financiers. La société compte plusieurs co-PDG, cochefs de l’investissement et coprésidents, qui se partagent à la fois les responsabilités de la direction et le poids des répercussions des décisions de l’entreprise.
Eileen Murray partage donc ses tâches de PDG avec David McCormick, affecté au bureau de Westport. Pour sa part, elle travaille à celui de Stamford, situé tout près en voiture. Les valeurs qui régissent leur partenariat sont celles qui guident toute l’entreprise : la vérité et la transparence.
«C’est parfois difficile, car il faut laisser son ego au vestiaire et toujours faire de la société sa priorité absolue. Ce n’est pas fait pour tout le monde, convient Mme Murray. Nous ne sommes pas toujours d’accord, mais c’est ça, la beauté de la chose. Parler ouvertement de nos différences d’opinions pour recueillir le point de vue de chacun est très enrichissant.»
Mme Murray a aussi à cœur de convier d’autres membres du personnel de Bridgewater aux échanges importants afin qu’ils se sentent davantage investis dans l’entreprise. Les stratégies naissent d’un dialogue constant entre différents acteurs, et les dirigeants, elle la première, encadrent ces dialogues en amenuisant la pression liée au risque et en adhérant pleinement aux décisions issues de cette collaboration.
«La partie la plus importante de mon travail, selon moi, est de permettre à mes collègues de donner le meilleur d’eux-mêmes tout en atteignant les objectifs de la société, explique Mme Murray. J’ai déjà vu deux équipes entreprendre le même projet; l’une a réussi et l’autre non, malgré des compétences égales. Ce qui importe, c’est d’avoir un dirigeant prêt à tendre un filet de sécurité afin que les membres osent prendre des risques.»
Lien vers le balado (en anglais seulement)
Le présent article est une transcription condensée et modifiée d’une entrevue animée par Karl Moore, professeur agrégé à l’Université McGill, dans le cadre de l’émission The CEO Series, présentée sur les ondes de CJAD et produite par Marie Labrosse, étudiante à la maîtrise en langue et littérature anglaises à l’Université McGill.. L’entrevue intégrale fait partie de la plus récente saison de The CEO Series et est disponible en baladodiffusion.