Il faudra plusieurs jours avant de savoir qui a gagné l'élection présidentielle américaine. Il faut 270 grands électeurs pour remporter l'élection. (Photo: Getty images)
Pour la première fois depuis 2000, les Américains ne connaissaient pas mercredi matin le nom de leur prochain président après un vote à la participation record et dont le dépouillement se poursuivait dans la majorité des États-clés, une situation rendue encore plus tendue par la revendication de victoire de Donald Trump contre le démocrate Joe Biden.
Au terme d’une longue campagne d’une virulence exceptionnelle, perturbée par la pandémie, les résultats partiels montrent que le président républicain n’a pas subi la répudiation électorale que les sondages présageaient, prouvant que, même s’il était battu, sa base d’électeurs lui reste largement fidèle.
Jamais autant d’Américains n’avaient participé à l’élection présidentielle depuis que les femmes ont le droit de vote : 160 millions d’électeurs ont voté, soit une participation estimée à 66,9 %, contre 59,2 % en 2016, selon le US Elections Project, plus encore qu’en 2008 quand Barack Obama avait été élu.
Nombre d’États ont été débordés par le déluge de bulletins envoyés par correspondance, encouragés en raison de la crise sanitaire. Ouvrir les enveloppes et scanner ces bulletins pourrait dans certaines villes prendre plusieurs jours.
« Si tout continue à ce rythme, nous aurons les résultats totaux dans les deux prochains jours », a dit par exemple mercredi matin Al Schmidt, responsable de la ville de Philadelphie, grand réservoir de voix démocrates dans l’État-clé de Pennsylvanie, sur CNN.
Et si la justice s’en mêlait, comme en 2000, « cela pourrait durer des semaines », a dit mercredi à l’AFP Ed Foley, spécialiste du droit électoral à l’Ohio State University.
Selon lui, l’expérience a montré que la majorité des bulletins envoyés par courrier devrait porter le nom de Joe Biden, mais aucun média ne se risquait à faire de pronostic.
Tensions et incertitudes
Alors que les deux candidats peuvent encore l’emporter, le président sortant a accentué l’atmosphère de crise en affirmant avoir remporté le scrutin, lors d’une déclaration nocturne à la Maison Blanche.
« Honnêtement, nous avons gagné l’élection », a déclaré Donald Trump, évoquant ensuite une « fraude » sans livrer d’élément concret. « Nous allons aller devant la Cour suprême, nous voulons que tous les votes cessent », a-t-il ajouté, sous-entendant qu’il voulait geler les résultats et exclure les bulletins qui n’ont pas encore été comptés, ce qui lui bénéficierait notamment en Pennsylvanie, où il est en avance dans des résultats partiels.
Le camp Biden a dénoncé des propos présidentiels « scandaleux » et « sans précédent ».
« C’est une tentative délibérée de priver les citoyens américains de leurs droits démocratiques », a réagi l’équipe de campagne du démocrate, assurant être prête à « combattre » en justice si Donald Trump saisissait la Cour suprême.
Même chez les républicains, la menace du président de tenter de faire invalider des bulletins simplement parce qu’ils n’ont pas été comptés le jour de l’élection choquait. « Cet argument n’a aucun fondement, aucun », a lâché le républicain Chris Christie, ancien procureur fédéral et gouverneur, qui a conseillé Donald Trump pour la préparation des débats présidentiels.
Joe Biden, 77 ans, s’est dit lui-même « optimiste » sur l’issue, appelant les Américains à faire preuve de patience. « Gardez la foi, nous allons gagner ! », a lancé l’ancien vice-président de Barack Obama devant des sympathisants dans son fief de Wilmington, dans le Delaware.
Le spectre de batailles judiciaires hante désormais la première puissance mondiale, déjà secouée par des crises sanitaire, économique et sociale d’ampleur.
Le nom du président qui prêtera serment le 20 janvier prochain est suspendu aux résultats de plusieurs États-clés.
Un scénario potentiellement plus chaotique qu’en 2000, quand l’élection dépendait de la seule Floride. A l’époque, c’est la Cour suprême qui avait fini, plus d’un mois après le scrutin, par intervenir pour mettre fin aux procédures de recomptage et donner raison au républicain George W. Bush.
En 2004, sa réélection avait été confirmée le mercredi matin.
Suspense dans les États industriels
Une certitude : la vague démocrate « bleue », espérée par certains dans le camp Biden, qui se prenaient à rêver de victoires historiques par exemple au Texas, n’a pas eu lieu.
Le président sortant a conservé la Floride, faisant mentir de nombreux sondages, ainsi que le Texas, bastion conservateur qui avait un temps semblé menacé, et l’Ohio, remporté depuis 1964 par tous les candidats qui ont aussi accédé à la présidence.
Mais le chemin pour décrocher un second mandat reste étroit : il doit faire table rase et remporter l’essentiel des autres États-clés qui avaient contribué à sa victoire surprise de 2016.
Dans le système américain, le président est élu au suffrage universel indirect : les électeurs désignent, État par État, des grands électeurs. Un candidat doit obtenir au moins 270 des 538 grands électeurs. Mercredi matin, le président sortant (213) était en léger retard face au démocrate (238).
À la différence du président, Joe Biden disposait de plusieurs scénarios pour décrocher la victoire. Il était donné vainqueur par certains médias dans l’État crucial de l’Arizona, remporté par Donald Trump en 2016, bien que le dépouillement n’y soit pas encore terminé. Il semblait en bonne posture dans le Nevada.
Si cela se confirme, il devra gagner au moins deux ou trois des États disputés du Nord industriel (Pennsylvanie, Michigan, Wisconsin) et de l’Est (Géorgie, Caroline du Nord), tous ayant été remportés par Donald Trump il y a quatre ans.
Dans le Wisconsin et le Michigan, Joe Biden a pris mercredi matin un très léger avantage sur Donald Trump, au fur et à mesure que les machines comptaient les bulletins arrivés par courrier.
En Pennsylvanie, Donald Trump avait mercredi près de 700.000 voix d’avance au total, mais il restait 1,4 million de bulletins envoyés par courrier à compter. Or Joe Biden a remporté 78 % des bulletins par courrier dépouillés à ce stade.
C’est notamment là que M. Trump voudrait faire intervenir la Cour suprême.
En amont du scrutin, elle avait été saisie par les républicains de Pennsylvanie pour empêcher le décompte des bulletins postés avant mardi soir, mais qui arriveraient dans les trois jours suivant l’élection.
La haute juridiction avait refusé de se prononcer en urgence, mais, si le résultat est serré, elle devra examiner le fond du dossier et dire s’il faut invalider ou non les bulletins arrivés entre mercredi et vendredi.
Congrès incertain aussi
Comme cela était largement anticipé, les démocrates ont gardé le contrôle de la Chambre des représentants. Mais leurs espoirs de faire basculer dans leur camp le Sénat, aujourd’hui contrôlé par les républicains, s’éloignaient.
Les démocrates ont repris deux sièges aux républicains (Colorado, Arizona), mais en ont perdu un dans l’Alabama. La majorité précédente était de 53 républicains contre 47 démocrates et affiliés.
Dans tout le pays, le vote s’est déroulé sans incident majeur ni épisodes d’intimidations, comme cela était craint depuis plusieurs jours. Les commerces de plusieurs grandes villes, dont Washington, Los Angeles ou New York, s’étaient barricadés en prévision de possibles violences post-électorales, qui ne se sont finalement pas produites.
Mais à Portland, dans le nord-ouest, des manifestants armés de fusils d’assaut ont brûlé des drapeaux américains et défilé, sans violence.