Une victoire écrasante et sans équivoque: le premier ministre a non seulement récolté plus de sièges qu’il y a quatre ans; il a aussi recueilli plus de votes qu’en 2018 à l’échelle nationale. (Photo: La Presse Canadienne)
BLOGUE INVITÉ. On dit souvent qu’une image vaut mille mots. Un coup d’œil rapide à la nouvelle carte électorale du Québec suffit à lui seul à bien résumer les résultats de la soirée électorale d’hier: à part quelques petites taches rouges, oranges et bleu foncés ici et là, la province a été presque complètement repeinte en bleu pâle… aux couleurs de la Coalition Avenir Québec (CAQ).
Sans grande surprise, le rouleau compresseur caquiste a raflé une majorité renforcée, avec 90 sièges sur 125. C’est 16 circonscriptions de plus qu’il y a quatre ans.
Malgré une fin de campagne difficile par moments, François Legault remporte donc son pari, bénéficiant largement de la division du vote d’opposition — 59% des électeurs ont tout de même voté contre la réélection de la CAQ — séparé en parts quasi égales entre les quatre autres partis. Il devient ainsi le premier chef, depuis Jean Charest, à sécuriser un second mandat pour son gouvernement — et le premier à être réélu pour un deuxième mandat majoritaire consécutif depuis Robert Bourassa.
Une victoire écrasante et sans équivoque: le premier ministre a non seulement récolté plus de sièges qu’il y a quatre ans; il a aussi recueilli plus de votes qu’en 2018 à l’échelle nationale.
Des perdants aux airs de vainqueurs
Signe que le changement de cycle politique amorcé depuis l’élection 2018 se confirme, le succès de la CAQ s’est fait majoritairement au détriment des deux «vieux partis» — le Parti libéral du Québec (PLQ) et le Parti québécois (PQ) —, qui perdent respectivement 10 et 7 sièges par rapport au dernier scrutin.
Qu’à cela ne tienne; l’air était plutôt à la fête hier soir, tant au QG des libéraux que du côté des péquistes.
Les libéraux ont poussé un énorme soupir de soulagement. Alors que certains prédisaient une débandade catastrophique pour les troupes de Dominique Anglade, celle-ci a tant bien que mal réussi à sauver les meubles pour s’accrocher à son statut de cheffe de l’opposition officielle, et ce, même si les libéraux ont obtenu leur pire score en 155 ans d’existence avec seulement 14% du vote, en quatrième place derrière la CAQ, Québec solidaire (QS) et le PQ. Ils peuvent assurément remercier les électeurs de l’Ouest de l’île de Montréal, qui sont demeurés fidèles au PLQ malgré ses déboires des derniers mois sur la question linguistique.
Mais surtout, les libéraux doivent une fière chandelle au futur ex-ministre de l’Immigration Jean Boulet, dont les déclarations maladroites de la dernière semaine sur les nouveaux arrivants sont venues donner un sérieux coup de barre à leur parti en toute fin de course. Un incident qui a sans conteste coûté cher à la CAQ, particulièrement dans les circonscriptions du Grand Montréal où elle espérait faire des gains supplémentaires. Pensons entre autres à l’île de Laval, où elle a perdu des luttes serrées. Gageons que cette onéreuse bévue privera le député de Trois-Rivières d’un siège au conseil des ministres.
Pour les péquistes, même s’ils ont essuyé de lourdes de pertes, notamment dans l’Est du Québec et dans Joliette, ils peuvent se consoler avec l’élection de leur chef Paul St-Pierre-Plamondon dans la circonscription de Camille-Laurin. Il permet du coup à son parti d’effectuer un retour sur l’île de Montréal après quatre ans d’absence — le seul et unique siège que la CAQ se sera fait voler au Québec, d’ailleurs.
Après une campagne positive où il a su se faire connaître et remarquer, c’est une mince consolation, certes, mais tout de même une victoire morale bien méritée pour celui que l’on surnomme PSPP. Sa présence à l’Assemblée nationale sera sans contredit un atout pour le PQ.
Alors que son parti a réussi un score somme toute honorable au niveau du vote populaire, le plus grand exploit de PSPP aura été de faire mentir ceux qui présidaient une fois de plus la mort du parti de René Lévesque. De loin le moins connu des cinq chefs au début de la campagne, il a su s’imposer comme un leader crédible du début à la fin. Il entre ainsi au Salon bleu par la grande porte, avec une notoriété renforcée.
Les vrais perdants
Québec solidaire et le Parti conservateur du Québec (PCQ) ressortent comme les grands perdants de cette soirée électorale.
D’un côté, les troupes solidaires déçoivent alors que Gabriel Nadeau-Dubois a été incapable de sortir son parti de sa base électorale traditionnelle. En termes de sièges, ses gains sont faméliques; seulement une circonscription de plus qu’il y a quatre ans — et de justesse. S’il s’empare d’anciens bastions libéraux sur l’île de Montréal, il perd du même souffle la circonscription de Rouyn-Noranda–Témiscamingue, où la position de son parti sur l’avenir de la Fonderie Horne, véritable cœur économique de la région, a joué en défaveur de la députée sortante Émilise Lessard-Therrien. Au niveau du vote national, QS a même reculé par rapport à l’élection de 2018 — une première depuis la formation du parti de gauche en 2006.
Serait-ce l’effet des fameuses «taxes orange» qui ont tant collé à la peau de GND tout au long de la campagne? Chose certaine, pour celui qui aspirait à ravir l’opposition officielle aux libéraux, la cible est pour le moins ratée.
De son côté, Éric Duhaime aura beau se consoler en se disant qu’il a su faire passer son parti d’un maigre 2% d’intentions de vote à près de 13% en à peine un an, il n’en demeure pas moins que l’absence totale de sièges à l’Assemblée nationale est un coup dur pour le PCQ, qui a mordu la poussière partout malgré quelques bonnes batailles, notamment en Beauce. Force est de constater que la colère post-pandémique, qui continue s’estomper avec le temps, n’aura pas été assez forte pour faire «entrer la grogne au Salon bleu», pour reprendre les mots du chef conservateur.
Sa principale victoire aura été de parvenir à positionner sa formation comme un acteur incontournable sur la scène politique québécoise. Mais alors qu’il n’aura plus accès aux couloirs de l’Assemblée nationale, n’ayant même pas réussi à se faire lui-même élire dans Chauveau, l’élan du PCQ ne risque-t-il pas de s’essouffler d’ici la prochaine élection?
En somme, alors que la fenêtre d’opportunité que lui a offerte la pandémie semble en voie de se refermer pour de bon, le Parti conservateur du Québec n’aura-t-il été, en bout de piste, qu’un simple feu de paille?
Au nom de la démocratie
N’empêche que, sans remettre en cause la légitimité du résultat, la CAQ et le PLQ se partagent près de 90% de tous les sièges à l’Assemblée nationale, et ce, même s’ils n’ont récolté à eux deux que 55% des voix exprimées.
Une situation que le François Legault d’avant 2018, alors que son parti était relégué aux banquettes de la deuxième opposition, se serait empressé de dénoncer haut et fort en appelant à réformer le mode de scrutin.
Si quelqu’un doutait encore jusqu’à hier soir de la pertinence de revoir notre système électoral de fond en comble, les résultats de cette élection devraient envoyer un message clair à tous nos élus, tous partis confondus.
Pour le bien de notre démocratie, on devrait faire en sorte que chaque voix puisse compter. Pour de vrai.
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