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Philippe Labrecque

Politique et philosophie en entreprise

Philippe Labrecque

Expert(e) invité(e)

Embaucheriez-vous un sympathisant de Donald Trump?

Philippe Labrecque|Publié le 21 juin 2022

Embaucheriez-vous un sympathisant de Donald Trump?

Embaucheriez-vous un sympathisant de Donald Trump? (Photo: Darren Halstead pour Unsplash)

BLOGUE INVITÉ. Plusieurs sujets sont tabous lors d’un entretien d’embauche pour assurer une certaine impartialité de la part de l’employeur. Les inclinaisons politiques d’un candidat ou même de l’employeur font évidemment partie de ces tabous.

Si les bénéfices de maintenir cette neutralité idéologique pour l’employeur et le candidat font sûrement l’unanimité dans l’abstrait, en pratique, il semblerait que ce ne soit pas toujours le cas.

 

Trump ou pas Trump, là est la question

Lors d’un entretien que j’ai obtenu en journalisme, à une époque où Donald Trump était toujours à la Maison-Blanche et qu’il faisait les manchettes quotidiennement, mon interlocuteur, l’employeur, m’avait lancé, dès les premières minutes, avant même que je puisse placer un mot: «Si tu supportes Donald Trump, le poste n’est pas pour toi». Le ton était donné.

Au-delà de l’impertinence de cette déclaration dans le cadre d’un entretien d’embauche, ne croyant pas qu’elle était digne d’une réponse directe, je lui avais tout de même mentionné que Trump, au-delà du personnage flamboyant, était la conséquence de fractures profondes entre une certaine élite côtière des grands centres urbains mondialisés et les Américains enracinés de l’hinterland de ce pays et que de nourrir une telle antipathie envers quelqu’un, même si cette personne est Donald Trump, empêchait peut-être une analyse rationnelle des grands mouvements de fonds qui structurent certains phénomènes politiques.

Surtout, l’employeur aurait pu au moins tenter de me disqualifier en me demandant si j’étais souverainiste ou fédéraliste, ce qui serait beaucoup plus pertinent dans le contexte québécois, même si cette question serait toujours déplacée dans le cadre d’un entretien d’embauche.

Blague à part, l’audace d’une telle déclaration m’avait surpris. Je me suis demandé si, dans certains secteurs peut-être, il ne serait pas plus honnête de simplement afficher les inclinaisons idéologiques et politiques acceptées pour un poste quelconque, dans le but de simplifier le processus et d’éviter le malaise mutuel de parler de politique lors d’un entretien.

 

L’opéra, pas pour les gens de droite?

Permettez-moi de vous raconter une deuxième anecdote sur le sujet qui me semble particulièrement éclairante. Récemment, une professionnelle française de 23 ans nommée Adélaïde, se serait fait refuser un poste à l’Opéra de Paris, car son CV indiquait qu’elle avait probablement certaines affinités philosophiques «incompatibles» avec l’institution, ayant travaillé pour des médias classés à droite de l’échiquier politique.

Pour s’assurer de bien se faire comprendre, cette responsable aurait déclaré à la candidate : «Vous pensiez vraiment qu’avec un tel CV vous pourriez être embauchée dans le monde de la culture?» avant de lui clarifier davantage ses propos, comme si cela ne crevait déjà pas les yeux (ou les tympans), en lui indiquant que «le monde de la culture est de gauche, ne perdez pas votre temps à postuler». Cela a le mérite d’être clair, nous en conviendrons.

Un des éléments les plus frappants de cette histoire est que la responsable de l’embauche avait invité la candidate en question à un entretien non pas pour discuter de ses compétences et de sa motivation à se joindre à l’Opéra de Paris, mais bien pour comprendre pourquoi cette jeune femme qu’elle réduisait à être «de droite» n’avait-elle pas compris par elle-même son incompatibilité avec cet «environnement» et donc s’éviter l’humiliation de soumettre une candidature au sort scellé d’avance?

 

Prière de ne pas appliquer si vous êtes en faveur des lois 96 et 21? 

Mon intuition me pousse à croire que ces deux anecdotes ne sont que la pointe de l’iceberg, que cette façon de faire est déjà bien implantée et risque fortement de se répandre davantage.

Ne soyons pas naïfs, la société américaine n’a pas le monopole d’une polarisation idéologique aiguë. Le Québec est tout aussi affligé par ce phénomène et l’hystérisation du discours autour des projets de loi 96 et 21 en est un exemple évident qui pourrait bien s’immiscer dans le processus d’embauche.

Étant donné la véhémence de l’opposition à ces lois, il ne serait pas surprenant que certains individus rejetant viscéralement ces projets de loi se permettent de disqualifier en amont, par l’entremise d’une analyse de vos commentaires sur les médias sociaux, notamment, si vous vous êtes du «bon côté» des choses, que vos compétences soient à la hauteur ou non.

Vous n’aurez alors même pas la (mal)chance d’être invité à un entretien aux allures de procès idéologique, à l’instar d’Adélaïde au tribunal de l’Opéra de Paris.

 

Posez-vous la question

Vous croyez que ce phénomène de disqualification idéologique est minoritaire, uniquement anecdotique? Peut-être, mais posez-vous la question ainsi qu’à votre entourage: embaucheriez-vous un sympathisant de Donald Trump?

Y répondre honnêtement servirait sûrement d’une mesure suffisamment précise pour nous donner une idée de l’ampleur du phénomène.